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Mais je le soignerai cause de Dieu. Car il est aussi demeure de Dieu. Mais non point selon son dsir qui n'est que dsir exprim par l'ulcre.

Quand je l'aurai nettoy et lav et enseign, alors son dsir sera autre et il se reniera lui-mme tel qu'il tait. Et pourquoi, aurais-je, moi, servi d'alli celui-l qu'il aura lui-mme reni? Pourquoi l'aurais-je, selon le dsir du lpreux vulgaire, empch de natre et d'embellir?

Pourquoi prendrais-je le parti de ce qui est contre ce qui sera. De ce qui vgte contre ce qui demeure en puissance?

La justice selon moi, me dit mon pre, est d'honorer le dpositaire cause du dpt. Autant que je m'honore moi-mme. Car il reflte la mme lumire. Aussi peu visible qu'elle soit en lui. La justice est de le considrer comme vhicule et comme chemin. Ma charit c'est de l'accoucher de lui-mme.

Mais dans cet gout qui plonge vers la mer je m'attriste devant cette pourriture. Dieu s'y trouve dj tellement gt J'attends d'eux le signe qui me montrera l'homme et ne le reois point.

Cependant, j'ai vu tel ou tel, dis-je mon pre, partager son pain et aider plus pourri que lui dcharger son sac, ou prendre en piti tel enfant malade

Ils mettent tout en commun, rpondit mon pre, et de cette bouillie font leur charit. Ce qu'ils appellent charit. Ils partagent. Mais dans ce pacte, que savent faire aussi les chacals autour d'une charogne, ils veulent clbrer un grand sentiment. Ils veulent nous faire croire qu'il est l un don! Mais la valeur du don dpend de celui qui on l'adresse. Et ici au plus bas. Comme l'alcool l'ivrogne qui boit. Ainsi le don est maladie. Mais si moi c'est la sant que je donne, je taille alors dans cette chair et elle me hait.

Ils en arrivent, me dit encore mon pre, dans leur charit, prfrer la pourriture Mais si moi je prfre la sant?

Quand on te sauvera la vie, me dit encore mon pre, ne remercie jamais. N'exagre point ta reconnaissance. Car celui-l qui t'a sauv, s'il attend ta reconnaissance, c'est qu'il est bas, car que croit-il? T'avoir servi? Alors que c'est Dieu qu'il a servi en te gardant si tu vaux quelque chose. Et toi, si tu exprimes trop fort ta reconnaissance, c'est que tu manques la fois et de modestie et d'orgueil. Car l'important qu'il a sauv, ce n'est point ton petit hasard personnel, mais l'uvre laquelle tu collabores et qui s'appuie aussi sur toi. Et comme il est soumis la mme uvre, tu n'as point le remercier. Il est remerci par son propre travail de t'avoir sauv. C'est l sa collaboration l'uvre.

Tu manques aussi d'orgueil de te soumettre ses motions les plus vulgaires. Et le flatter dans sa petitesse en faisant de toi son esclave. Car s'il tait noble, il refuserait ta reconnaissance.

Je ne vois rien qui m'intresse, disait mon pre, qu'admirable collaboration de l'un travers l'autre. Je me sers de toi ou de la pierre. Mais qui est reconnaissant la pierre d'avoir servi d'assise au temple?

Mais eux ne collaborent point vers autre chose qu'eux-mmes. Et cet gout qui plonge vers la mer n'est point nourricier de cantiques ni source de statues de marbre, ni caserne pour les conqutes. Il ne s'agit pour eux que de pactiser le mieux possible pour l'usage des provisions. Mais ne t'y trompe point. Les provisions sont ncessaires mais plus dangereuses que la famine -

Ils ont tout divis en deux temps, lesquels n'ont point de signification: la conqute et la jouissance. As-tu vu l'arbre grandir, puis, une fois grandi, se prvaloir d'tre arbre? L'arbre grandit tout simplement. Je te le dis: ceux-l qui ayant conquis se font sdentaires sont dj morts

La charit selon le sens de mon empire c'est la collaboration.

Le chirurgien, j'ordonne qu'il s'puise dans la traverse d'un dsert s'il peut celui-l au loin refaire son instrument. Et cela mme s'il s'agit de quelque vulgaire casseur de pierres mais qui a besoin de ses muscles pour casser ces pierres. Et cela mme si le chirurgien est de haute valeur. Car il ne s'agit point d'honorer la mdiocrit mais de rparer le vhicule. Et ils ont tous deux le mme conducteur. Ainsi de ceux-l qui protgent et aident les femmes enceintes. C'tait d'abord cause du fils qu'elles servaient de leurs vomissements et de leurs douleurs. Et la femme n'avait point remercier, sinon au nom de son fils. Mais voici qu'aujourd'hui elle rclame l'aide au nom de ses vomissements et de ses douleurs. Alors s'il n'tait qu'elles, je les supprimerais, car leurs vomissements sont laids. Car il n'est d'important en elles que ce qui se sert d'elles et elles n'ont point qualit pour remercier. Car qui les aide et elles-mmes ne sont que serviteurs de la naissance et les remerciements n'ont point de signification.

Ainsi du gnral qui vint trouver mon pre: Je me moque bien de toi-mme! Tu n'es grand qu' cause de l'empire que tu sers. Je te fais respecter pour, travers toi, faire respecter l'empire.

Mais je sentais aussi la bont de mon pre. Quiconque, disait-il, a eu un grand rle, quiconque a t honor ne peut tre avili. Quiconque a rgn ne peut tre dpossd de son rgne, tu ne peux transformer en mendiant celui-l qui donnait aux mendiants, car ce que tu abmes ici c'est quelque chose comme l'armature et la forme de ton navire. C'est pourquoi j'use de chtiments la mesure des coupables. Ceux-l que j'ai cru devoir ennoblir, je les excute mais ne les rduis point l'tat d'esclaves, s'ils ont failli. J'ai rencontr un jour une princesse qui tait laveuse de linge. Et ses compagnes riaient d'elle: O est ta royaut, laveuse de linge? Tu pouvais faire tomber les ttes et voil enfin qu'impunment nous pouvons te salir de nos injures Ce n'est que justice! Car la justice selon elles tait compensation.

Et la laveuse de linge se taisait. Peut-tre humilie pour elle-mme mais surtout pour plus grand qu'elle-mme. Et la princesse s'inclinait toute raide et blanche sur son lavoir. Et ses compagnes impunment la poussaient du coude. Rien d'elle n'invitant la verve car elle tait belle de visage, rserve de geste et silencieuse, je compris que ses compagnes raillaient non la femme mais sa dchance. Car celui-l que tu as envi, s'il tombe sous tes griffes, tu le dvores. Je la fis donc comparatre:

Je ne sais rien de toi sinon que tu as rgn. A dater de ce jour tu auras droit de vie et de mort sur tes compagnes de lavoir. Je te rinstalle dans ton rgne. Va.

Et quand elle eut repris sa place au-dessus de la tourbe vulgaire elle ddaigna justement de se souvenir des outrages. Et celles-l mme du lavoir, n'ayant plus nourrir leurs mouvements intrieurs de sa dchance, les nourrirent de sa noblesse et la vnrrent. Elles organisrent de grandes ftes pour clbrer son retour la royaut et se prosternaient son passage, ennoblies elles-mmes de l'avoir autrefois touche du doigt.

C'est pourquoi, me disait mon pre, je ne soumettrai point les princes aux injures de la populace ni la grossiret des geliers. Mais je leur ferai trancher la tte dans un grand cirque de clairons d'or.

Quiconque abaisse, disait mon pre, c'est qu'il est bas.

Jamais un chef, disait mon pre, ne sera jug par ses subalternes.

IX

Ainsi me parlait mon pre:

Force-les de btir ensemble une tour et tu les changeras en frres. Mais si tu veux qu'ils se hassent, jette-leur du grain.

Il me disait encore:

Qu'ils m'apportent d'abord le fruit de leur travail. Qu'ils versent dans mes granges la rivire de leurs moissons. Qu'ils se btissent en moi leurs greniers. Je veux qu'ils servent ma gloire quand ils flagellent les bls et qu'clat autour l'corce d'or. Car alors le travail qui n'tait que fonction pour la nourriture devient cantique. Car voil qu'ils sont moins plaindre, ceux dont les reins plient sous les sacs lourds, quand ils les portent vers la meule. Ou les remportent, blancs de farine. Le poids du sac les augmente comme une prire. Et voil qu'ils rient, joyeux, quand ils portent la gerbe comme un candlabre de graines avec ses pointes et son rutilement. Car une civilisation repose sur ce qui est exig des hommes, non sur ce qui leur est fourni. Et certes ce bl, ensuite ils reviennent y puiser et s'en nourrissent. Mais l n'est point pour l'homme la face importante des choses. Ce qui les nourrit dans leur cur ce n'est point ce qu'ils reoivent du bl. C'est ce qu'ils lui donnent.