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Je dclinai donc la proposition de mon ministre de la justice lequel me prtendait avec obstination me faire glorifier et rcompenser la vertu, alors que d'une part tu dtruis par l mme ce que tu prtends clbrer, et que d'autre part je le souponnais de s'intresser la vertu comme il se ft intress un emballage pour fruits dlicats, non qu'il ft exagrment licencieux, mais parce qu'il l'tait avec dlicatesse, gotant d'abord la qualit.

La vertu, lui rpondis-je, je la chtie.

Et comme il paraissait perplexe:

Je te l'ai dit de mes capitaines dans le dsert. Je les rcompense de leur sacrifice dans le sable par l'amour du sable qui leur vient au cur. Et, de les enfermer dans leur misre, je la fais somptueuse.

Tes vertueuses, si elles gotent la couronne de carton d'or, les suffrages des admirateurs et la fortune qui leur choit, o loge donc leur vertu? Les filles du quartier rserv te font payer moins cher un don moins avare.

Je dclinai enfin les propositions des architectes. Vois, dirent-ils, tu peux changer ce trsor strile contre un seul temple qui serait la gloire de l'empire, et vers lequel, au cours des sicles, s'puiseront les caravanes de voyageurs.

Et certes, je hais l'usuel qui ne t'apporte rien. Et respecte le don aux hommes de l'tendue et du silence Plus utile que la possession d'un grenier de plus me parat tre la possession des toiles du ciel, et de la mer bien que tu ne saches me dire en quoi elles cultivent ton cur. Mais du quartier de la misre o tu meurs touff tu les dsires. Elles sont appel vers une migration merveilleuse. Peu importe si elle est impossible. Le regret de l'amour, c'est l'amour. Et te voil sauv dj quand tu tentes d'migrer vers l'amour.

Cependant je ne croyais point en la dmarche. Tu n'achtes point la joie, ni la sant ni l'amour vritable. Tu n'achtes point les toiles. Tu n'achtes point un temple. Je crois au temple qui te pille. Je crois aux temples grandissants qui arrachent leur sueur aux hommes. Ils dlguent au loin leurs aptres et ceux-ci te vont ranonner, au nom de leur Dieu. Je crois au temple du roi cruel qui fonde son orgueil dans la pierre. Il draine les mles du territoire vers son chantier. Et les adjudants, munis de fouets, tirent d'eux le charroi des pierres. Je crois au temple qui t'exploite et te dvore. Et, en retour, te convertit. Car celui-l seul te paie en retour. Car le charrieur de pierres du roi cruel reoit son tour le droit l'orgueil. On le voit se croiser les bras devant l'trave dont le navire de granit commence de menacer les sables dans la lenteur des sicles venir. Sa majest est pour lui, comme pour les autres, car un Dieu, une fois fond, se donne tous sans se rduire. Je crois au temple n de l'enthousiasme de la victoire. Tu gres un navire vers l'ternit. Et chacun chante en btissant le temple. Et le temps chantera en retour.

Je crois en l'amour qui se change en temple. Je crois en l'orgueil qui se change en temple. Et je croirais, si tu savais me les btir, aux temples de colre. Car alors je vois l'arbre qui plonge ses racines dans l'amour, ou l'orgueil, ou l'ivresse de la victoire, ou la colre. Il t'arrache ton suc pour se nourrir. Mais voici que tu offres l'ambition de ses racines une cave misrable, ft-elle comble d'or. Elle ne saura nourrir qu'un entrept pour marchandises. Un sicle de vent, de pluie et de sable te l'effondrera.

Donc ayant ddaign que le trsor ft enrichissement, ayant ddaign qu'il ft rcompense, ayant ddaign qu'il se transformt en navire de pierre, n'tant point satisfait dans la recherche d'un visage lumineux et qui embellit le cur des hommes, je m'en fus rflchir en silence.

Il n'est l, songeais-je, qu'engrais et fumier. J'ai tort de prtendre tirer de lui une autre signification.

CXCIX

Je priai donc Dieu de m'instruire et il me fit, dans sa bont, me souvenir des caravanes vers la ville sainte, bien que je ne comprisse point tout d'abord en quoi une vision de chameliers et de soleil me pouvait clairer mon litige.

Je te vis, mon peuple, prparant sur mon ordre ton plerinage. J'ai toujours got comme un miel unique l'activit du dernier soir. Car il en est de l'expdition que tu montes comme d'un navire que tu grerais l'ayant achev de btir, et qui, ayant eu sens de sculpture ou de temple, lesquels usent les marteaux et te provoquent dans tes inventions et tes calculs et la puissance de ton bras, prend maintenant sens de voyage, car tu l'habilles pour le vent. Ainsi de ta fille que tu as nourrie et enseigne et dont tu as chti l'amour des parures mais vient l'aube du jour o l'poux l'attend et, ce matin-l, de ne jamais la juger assez belle, tu te ruines pour elle en toffe de lin et bracelets d'or, car il s'agit aussi pour toi du lancer d'un navire la mer.

Donc ayant achev d'amonceler les provisions, de clouer les caisses, de nouer les sacs, tu passais royal parmi les btes, flattant l'une, gourmandant l'autre, t'aidant du genou pour serrer un peu telle courroie de cuir, et t'enorgueillissant, une fois hiss le chargement, de ne le voir glisser ni vers la droite ni vers la gauche, connaissant que les btes, te le balanant durement dans le roulis de leur dmarche et le trbuchement parmi les pierres et l'agenouillement pour les haltes, te le tiendront cependant suspendu dans un quilibre lastique, la faon de l'oranger qui balance au vent sans menacer sa cargaison d'oranges.

Je savoure alors ta chaleur, mon peuple, qui prpares la chrysalide de tes quarante jours de dsert, et, n'coutant point le vent des paroles, ne me suis jamais tromp sur toi. Car, me promenant aux veilles de dpart, dans le silence de mon amour, parmi les craquements des courroies, les grognements des btes, et les discussions aigres au sujet de la route suivre, ou du choix des guides, ou du rle dsign chacun, je ne m'tonnais point de vous entendre, non vanter le voyage, mais bien au contraire peindre en noir le rcit des souffrances de l'expdition de l'anne passe, et les puits taris, et les vents brlants, et les piqres de serpents pris dans le sable comme d'invisibles nerfs, et l'embuscade des pillards, et la maladie et la mort, sachant qu'il n'tait rien l que pudeur de l'amour.

Car il est bon que tu feignes de ne point t'exalter sur ton dieu en clbrant d'abord les coupoles dores de la ville sainte, car ton dieu n'est point cadeau tout fait, ni provision rserve pour toi quelque part, mais fte et couronnement du crmonial de tes misres.

Ainsi s'intresseraient-ils d'abord aux matriaux de leur lvation, de mme que les btisseurs du voilier, s'ils te parlent trop tt de voiles et de vent et de mer, je me mfierai d'eux, craignant qu'ils ne ngligent les planches et les clous, la faon du pre qui prierait trop tt sa fille d'tre belle. J'aime les cantiques des forgeurs de clous et scieurs de planches, car ils clbrent non la provision faite, laquelle est vide, mais l'ascension vers le navire. Et, le navire une fois gr, quand il a pris sens de voyage, je veux entendre de mes mains qu'ils chantent, non d'abord les merveilles de l'le, mais les prils du sige par la mer, car alors je vois leur victoire.

Ils lisent eux-mmes, dans leur souffrance, chemin, vhicule et charroi. Et tu te montres myope et crdule s'il te vient d t'inquiter des plaintes comme des jurons dont ils se caressent le cur, et leur expdies tes chanteurs aux confitures sucres qui nieront les prils de la soif et leur vanteront la batitude des crpuscules dans le dsert. Car peu me tente le bonheur, lequel n'a point de forme. Mais me gouverne la rvlation de l'amour.