Vient l'heure o son seul nom est suffisant comme prire car tu n'as rien ajouter. Vient l'heure o tu n'exiges rien. Ni les lvres, ni le sourire ni le bras tendre, ni le souffle de sa prsence. Car il te suffit qu'Elle soit.
Vient l'heure o tu n'as plus t'interroger, pour les comprendre, ni sur ce pas, ni sur ce mot, ni sur cette dcision, ni sur ce refus, ni sur ce silence. Puisque Elle est.
Mais telle exige que tu te justifies. Elle t'ouvre un procs sur tes actes. Elle confond l'amour et la possession. A quoi bon rpondre? Que trouveras-tu dans son audience? Tu demandais d'abord tre reu dans le silence, non pour tel geste, non pour tel autre, non pour telle vertu, non pour telle autre, non pour ce mot ni l'autre mot, mais dans ta misre, tel que tu es.
CCIV
Me vint le repentir de n'avoir point us avec mesure des dons offerts, lesquels ne sont jamais que signification et chemin, et, les ayant convoits pour eux-mmes, de n'y avoir trouv que le dsert. Car ayant confondu mesure avec ladrerie de chair ou de cur, je n'ai point souhait de m'y exercer. Me plat d'incendier la fort pour me chauffer une heure car le feu m'en parat plus royal. Et me semble de peu d'intrt, si j'coute siffler du haut de mon cheval les balles de guerre, d'conomiser mes jours. Je vaux ce que je suis dans chaque instant et le fruit ne nat point qui a nglig quelque tape.
C'est pourquoi me parat risible tel cracheur d'encre qui, au cours du sige de sa ville, refusa de se montrer sur les remparts, par mpris, disait-il, du courage physique. Comme s'il s'agissait l d'un tat et non d'un passage. D'un but et non d'une condition simple de la permanence de la ville.
Car moi, de mme, je mprise l'apptit vulgaire, et n'ai point vcu pour la digestion des quartiers de viande. Mais j'ai fait servir les quartiers de viande l'clat de mon coup de sabre, et j'ai soumis mon coup de sabre la permanence de l'empire.
Et certes, bien que je me refuse au cours du combat mesurer mes coups par avarice de muscle ou pleurni-chage de peur, il ne me plairait point que les historiographes de l'empire fissent de moi un moulin coups, car je ne loge point dans mon sabre. Et si je me mfie des dlicats qui avalent leur repas comme une mdecine, les narines closes, il ne me plairait point que mes historiographes me fissent mangeur de viande, car je ne loge point dans mon ventre. Je suis un arbre bien install sur ses racines et je ne mprise rien de la pte qu'elles malaxent. J'en tire mes branches.
Mais il m'est apparu que je me trompais au sujet des femmes.
Vint la nuit de mon repentir o je connus que je ne savais point user d'elles. J'tais semblable celui-l, le pillard, ignorant du crmonial, qui te remue les pices du jeu d'checs avec une hte aride et, de ne point trouver sa joie dans ce dsordre, te les distribue aux quatre vents.
Cette nuit-l, Seigneur, je me suis lev de leur lit avec colre ayant compris que j'tais btail dans l'table. Je ne suis point, Seigneur, serviteur des femmes.
Autre chose est de russir l'ascension de la montagne, ou, port en litire, de rechercher de paysage en paysage la perfection. Car peine as-tu mesur les contours de la plaine bleue, que tu y trouves dj l'ennui et pries tes guides de te porter ailleurs.
J'ai cherch dans la femme le cadeau qu'elle pouvait fournir. Telle, je l'ai dsire comme un son de cloche dont j'eusse got la nostalgie. Mais que vas-tu faire d'un mme son de cloche, nuit et jour? Tu remises vite la cloche au grenier et n'en connais plus le besoin. Telle autre, je l'ai dsire pour une inflexion subtile de la voix quand elle disait Toi, mon Seigneur mais bien vite tu te lasses du mot et tu rves d'une autre chanson.
Et te donnerais-je dix mille femmes que, l'une aprs l'autre, tu les viderais aussitt de leur vertu particulire, et qu'il t'en faudrait bien plus encore pour te combler, car tu es divers selon les saisons, selon les jours, selon les vents.
Et cependant, d'avoir toujours estim que nul ne parviendra jamais la connaissance d'une seule me d'homme, et qu'il est, au secret de chacun, un paysage intrieur aux plaines invioles, aux ravins de silence, aux pesantes montagnes, aux jardins secrets, et que, sur tel ou tel, je puis sans te lasser parler durant toute une vie, je ne comprenais point la misre de la provision que l'une ou l'autre de mes femmes m'apportait, laquelle ne suffisait gure au repas d'un soir.
Ah! Seigneur, je ne les ai point considres comme terre arable, o je dois me rendre, toute l'anne durant, ds avant l'aube, avec mes lourdes chaussures de boue et ma charrue, et mon cheval, et ma herse et mon sac de graines et ma prvision des vents et des pluies, et ma connaissance des mauvaises herbes et par-dessus tout ma fidlit, pour recevoir d'elles ce qui est pour moi mais je les ai rduites au rle de ces mannequins de bienvenue que poussent devant toi les notables de l'humble village par o passe ta ronde dans l'empire, et qui te rcitent leur compliment, ou te font hommage, dans une corbeille, des fruits du pays. Et certes, tu reois, car est pur de lignes le sourire, et chantant le geste qui offre les fruits, et naf d'intention le discours, mais tu les as puises de leurs dons et vides d'un seul coup de leur miel, quand tu as tapot leurs joues fraches et savour des yeux le velout de leur confusion. Certes celles-l mmes sont, elles aussi, terres arables aux grands horizons, o tu te perdrais peut-tre jamais si tu savais par o l'on y pntre.
Mais je cherchais rcolter le miel tout fait de ruche en ruche, et non pntrer cette tendue qui d'abord ne t'offrira rien et te rclamera des pas et des pas et des pas, car il importe que longtemps, dans le silence, tu accompagnes le matre des domaines, si tu veux t'en faire une patrie.
Moi qui ai connu le seul vritable gomtre mon ami, lequel pouvait m'instruire nuit et jour, et auquel j'apportais mes litiges afin de les connatre, non rsolus, mais vus par lui, et dj autres, car tant tel, lui-mme et non un autre, il n'entendait pas comme moi cette note, il ne voyait pas comme toi ce soleil, il ne gotait pas comme toi ce repas, mais, des matriaux qui lui taient soumis, il faisait tel fruit de tel got, et non un autre lequel tait, tout simplement, ni mesurable, ni mensurable, mais pouvoir en marche de telle qualit et non d'une autre, dans telle direction et non dans une autre moi qui ai connu en lui l'espace et qui allais lui comme l'on cherche le vent de mer, ou la solitude, qu'aurais-je reu de lui si j'avais fait appel non l'homme, mais aux provisions, aux fruits, non l'arbre, et prtendu me satisfaire l'esprit et le cur de quelques prceptes de gomtrie?
Seigneur, telle que je fais de ma maison, tu me la donnes labourer et accompagner et dcouvrir.
Seigneur, me disais-je, pour celui-l seul qui gratte sa terre, plante l'olivier et sme l'orge, sonne l'heure des mtamorphoses dont il ne saurait se rjouir s'il achetait son pain chez le marchand. Sonne l'heure de la fte des moissons. Sonne l'heure de la fte de l'engrangement, et il pousse lentement de l'paule la porte gmissante sur la rserve de soleil. Car dtient le pouvoir d'embraser, l'heure venue, tes grands carrs de terre noire, la colline de semence que tu viens d'enfermer, et au-dessus de laquelle flotte encore la gloire d'une poussire de son qui ne s'est point tout fait dpose.
Ah! Seigneur, me disais-je, je me suis tromp de chemin. Je me suis ht parmi les femmes comme dans un voyage sans but.
J'ai pein auprs d'elles comme dans un dsert sans horizon, la recherche de l'oasis qui n'est point de l'amour, mais au-del.
J'ai cherch un trsor qui y ft cach, comme un objet dcouvrir parmi d'autres objets. Je me suis pench sur leur souffle court comme un rameur. Et je n'allais nulle part. J'ai mesur des yeux leur perfection, j'ai connu la grce des jointures et l'anse du coude o l'on veut boire. J'ai souffert une angoisse qui avait une direction. J'ai prouv une soif qui avait un remde. Mais, m'tant tromp de chemin, j'ai regard ta vrit en face, sans la comprendre.