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Car, une fois encore, sont mpriser ces peuplades qui rcitent les pomes d'autrui et mangent le bl d'autrui ou font venir des architectes qu'ils paient pour difier leurs villes. Ceux-l, je les appelle des sdentaires. Et je ne dcouvre plus, autour d'eux, comme une aurole, le poudroiement d'or du bl que l'on bat.

Car il est juste que je reoive en mme temps que je donne afin d'abord de pouvoir continuer de donner. Je

bnis cet change entre le don et le retour, qui permet de poursuivre la marche et de donner plus loin encore. Et si le retour permet la chair de se refaire, c'est le don seul qui alimente le cur.

J'ai vu des danseuses composer leur danse. Et la danse une fois cre et danse, certes personne n'emportait le fruit du travail pour en faire des provisions. La danse passe comme un incendie. Et cependant je dis civilis le peuple qui compose ses danses, malgr qu'il ne soit pour les danses ni rcolte ni greniers. Alors que je dis brut le peuple qui aligne sur ses tagres des objets, fussent-ils les plus fins, ns du travail d'autrui, mme s'il se montre capable de s'enivrer de leur perfection.

L'homme, disait mon pre, c'est d'abord celui qui cre. Et seuls sont frres les hommes qui collaborent. Et seuls vivent ceux qui n'ont point trouv leur paix dans les provisions qu'ils avaient faites.

On lui fit un jour une objection:

Qu'appelles-tu crer? Car s'il s'agit d'une inven-tion qui se remarque, bien peu en sont capables. Et tu parles ds lors pour quelques-uns seulement, mais les autres?

Mon pre leur rpondit:

Crer, c'est manquer peut-tre ce pas dans la danse. C'est donner de travers ce coup de ciseau dans la pierre. Peu importe le destin du geste. Cet effort t'apparat strile toi, aveugle, qui te tiens le nez contre, mais recule-toi. Considre de plus loin le mouvement de ce quartier de ville. Il n'est plus l qu'une grande ferveur et qu'une poussire dore du

travail. Et les gestes manques tu ne les remarques plus. Car ce peuple pench sur l'ouvrage, bon gr mal gr, difie ses palais ou ses citernes ou ses grands jardins suspendus. Ses uvres naissent comme ncessaire-ent de l'enchantement de ses doigts. Et je te le dis, elles naissent autant de ceux-l qui manquent leurs gestes que de ceux-l qui les russissent, car tu ne peux partager l'homme, et si tu sauves seuls les grands sculpteurs tu seras priv de grands sculpteurs. Qui serait assez fou, pour choisir un mtier qui donne si peu de chances de vivre? Le grand sculpteur nat du terreau de mauvais sculpteurs. Ils lui servent d'escalier et l'lvent. Et la belle danse nat de la ferveur danser. Et la ferveur danser exige que tous dansent mme ceux-l qui dansent mal sinon il n'est point de ferveur mais acadmie ptrifie et spectacle sans signification.

Ne condamne pas leurs erreurs la faon de l'historien qui juge une re dj conclue. Mais qui reprochera au cdre de n'tre encore que graine ou tige ou brindille pousse de travers? Laisse faire. D'erreur en erreur se soulvera la fort de cdres qui distribuera, les jours de grand vent, l'encens de ses oiseaux.

Et mon pre disait pour conclure:

Je te l'ai dj dit. Erreur de l'un, russite de l'autre, ne t'inquite point de ces divisions. Il n'est de fertile que la grande collaboration de l'un travers l'autre. Et le geste manqu sert le geste qui russit. Et le geste qui russit montre le but qu'ils poursuivaient ensemble celui-l qui a manqu le sien. Celui qui trouve le dieu le trouve pour tous. Car mon empire est semblable un temple et j'ai sollicit les hommes. J'ai convi les hommes le btir. Ainsi c'est leur temple. Et la naissance du temple tire d'eux-mmes leur plus haute signification. Et ils inventent la dorure. Et celui-l qui la cherchait sans la russir aussi l'invente. Car c'est de cette ferveur d'abord que la dorure nouvelle est ne.

Il disait ailleurs:

N'invente point d'empire o tout soit parfait. Car le bon got est vertu de gardien de muse. Et si tu mprises le mauvais got tu n'auras ni peinture, ni danse, ni palais, ni jardins. Tu auras fait le dgot par crainte du travail malpropre de la terre. Tu en seras priv par le vide de ta perfection. Invente un empire o simplement tout soit fervent.

Mes armes taient lasses comme d'avoir port un lourd fardeau. Mes capitaines me venaient voir:

Quand rentrons-nous chez nous? Le got des femmes des oasis conquises ne vaut pas le got de nos femmes.

L'un me disait:

Seigneur, je rve de celle-l qui est faite de mon temps, de mes disputes. Je voudrais revenir et planter l'aise. Seigneur, il est une vrit que je ne sais plus approfondir. Laisse-moi crotre dans le silence de mon village. Ma vie, j'prouve le besoin de la mditer.

Et je compris qu'ils avaient besoin de silence. Car dans le silence seul, la vrit de chacun se noue et prend des racines. Car le temps d'abord compte comme dans l'allaitement. Et l'amour maternel lui-mme est d'abord fait d'allaitement. Et qui voit crotre l'enfant dans l'instant? Personne. Ce sont ceux qui viennent d'ailleurs qui disent: Comme il a grandi! Mais la mre ni le pre ne l'ont vu grandir. Il est devenu, dans le temps. Et il tait chaque instant, ce qu'il devait tre.

Voil donc que mes hommes avaient besoin de temps, ne ft-ce que pour comprendre un arbre. Pour s'asseoir chaque jour sur la marche du seuil en face du mme arbre aux mmes branches. Et peu peu voil que l'arbre se rvle.

Car ce pote, un soir auprs du feu dans le dsert, racontait simplement son arbre. Et mes hommes l'coutaient dont beaucoup n'avaient jamais vu qu'herbe chameau et palmiers nains et ronces. Tu ne sais pas, leur disait-il, ce qu'est un arbre. J'en ai vu un qui avait pouss par hasard dans une maison abandonne, un abri sans fentres, et qui tait parti la recherche de la lumire. Comme l'homme doit baigner dans l'air, comme la carpe doit baigner dans l'eau, l'arbre doit baigner dans la clart. Car plant dans la terre par ses racines, plant dans les astres par ses branchages, il est le chemin de l'change entre les toiles et nous. Cet arbre, n aveugle, avait donc droul dans la nuit sa puissante musculature et ttonn d'un mur l'autre et titub et le drame s'tait imprim dans ses torsades. Puis, ayant bris une lucarne dans la direction du soleil, il avait jailli droit comme un ft de colonne, et j'assistais, avec le recul de l'historien, aux mouvements de sa victoire.

Contrastant magnifiquement avec les nuds ramasss pour l'effort de son torse dans son cercueil, il s'panouissait dans le calme, talant tout grand comme une table son feuillage o le soleil tait servi, allait par le ciel lui-mme, nourri superbement par les dieux.

Et je le voyais chaque jour dans l'aube se rveiller de son fate sa base. Car il tait charg d'oiseaux. Et ds l'aube commenait de vivre et de chanter, puis, le soleil une fois surgi, il lchait ses provisions dans le ciel comme un vieux berger dbonnaire, mon arbre maison, mon arbre chteau qui restait vide jusqu'au soir

Ainsi racontait-il et nous savions qu'il faut longtemps regarder l'arbre pour qu'il naisse de mme en nous. Et chacun jalousait celui-l qui portait dans le cur cette masse de feuillage et d'oiseaux.

Quand, me demandaient-ils, quand finira la guerre? Nous voudrions aussi comprendre quelque chose. Il est temps pour nous de devenir

Et, si l'un d'eux capturait un renard des sables encore jeune et qu'il pt nourrir de ses mains, il le nourrissait, ou des gazelles quelquefois quand elles daignaient ne point mourir, et le renard des sables chaque jour lui devenait plus prcieux de s'enrichir de ses poils soyeux et de son espiglerie et surtout de ce besoin de nourriture qui exigeait si imprieusement la sollicitude du guerrier. Et celui-l vivait de l'illusion "vaine de faire passer de lui au petit animal quelque chose de soi comme si l'autre tait nourri, form et compos de son amour.