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Mais le bruit de pas s'est vanoui car le lait a t sauv, l'enfant a t consol, la pompe, la broche ou le moulin ont repris la rcitation de leur litanie. On a par une menace. On a guri une blessure. On a rpar un oubli. Lequel? Je ne sais rien. Je ne suis plus de cette patrie.

Voici que je pntre dans le royaume des odeurs. Mon palais ressemble un cellier qui prpare lentement le miel de ses fruits, l'arme de ses vins. Et je navigue comme travers d'immobiles provinces. Ici de coings mrs. Je ferme les yeux, se prolonge loin leur influence. Ici du santal des coffres de bois. Ici plus simplement de dalles frachement laves. Chaque odeur s'est taill un empire depuis des gnrations, et l'aveugle s'y pourrait reconnatre. Et sans doute mon pre rgnait-il dj sur ces colonies. Mais je vais, sans bien y songer. Je ne suis plus de cette patrie.

L'esclave, selon le rituel des rencontres, s'est effac contre le mur mon passage. Mais je lui ai dit dans ma bont: Montre-moi ta corbeille, afin qu'il se sentt important dans le monde. Et, de l'anse de ses bras luisants, il l'a descendue avec prcaution de sur sa tte Et il m'a prsent, les yeux baisss, son hommage de dattes, de figues et de mandarines. J'ai bu l'odeur. Puis j'ai souri. Son sourire alors s'est largi et il m'a regard droit dans les yeux contre le rituel des rencontres. Et, de l'anse de ses bras, il a remont sa corbeille, me tenant droit dans son regard: Qu'est-il, me suis-je dit, de cette lampe allume? car vont comme des incendies les rbellions ou l'amour! Quel est le feu secret qui brle dans les profondeurs de mon palais, derrire ces murs? Et j'ai considr l'esclave, comme s'il et t abme des mers. Eh! me suis-je dit, vaste est le mystre de l'homme! Et j'ai poursuivi mon chemin, sans rsoudre l'nigme, car je n'tais plus de cette patrie.

J'ai travers la salle du repos. J'ai travers la salle du Conseil o mon pas s'est multipli. Puis j'ai descendu pas lents, de marche en marche, l'escalier qui conduit au dernier vestibule. Et, quand j'ai commenc de l'arpenter, j'ai entendu un grand bruit sourd et un cliquetis d'armes. J'ai souri dans mon indulgence: dormaient sans doute mes sentinelles, mon palais de midi tant comme une ruche en sommeil, toute ralentie, peine remue par la courte agitation des capricieuses qui ne trouvent pas le repos, des oublieuses qui courent leur oubli, ou de l'ternel brouillon qui toujours te rajuste, te perfectionne et te dmantibule quelque chose. Et ainsi, du troupeau de chvres, il en est toujours une qui ble, de la ville endormie il te monte toujours un appel incomprhensible, et, dans la ncropole la plus morte, il est encore le veilleur de nuit qui dambule. De mon pas lent, j'ai donc poursuivi mon chemin, la tte penche pour ne point voir mes sentinelles en hte se rajuster, car peu m'importe: je ne suis plus de cette patrie.

Donc s'tant durcis, ils me saluent, m'ouvrent le vantail deux battants et je plisse les paupires dans la cruaut du soleil, et demeure un instant sur le seuil. Car l sont les campagnes. Les collines rondes qui chauffent au soleil mes vignes. Mes moissons tailles en carr. L'odeur de craie des terres. Et une autre musique qui est d'abeilles, de sauterelles et de grillons. Et je passe d'une civilisation une autre civilisation. Car j'allais respirer midi sur mon empire.

Et je viens de natre.

CCVI

De ma visite au seul vritable gomtre mon ami.

Car m'mut de le voir si attentif au th et la braise, et la bouilloire, et au chant de l'eau, puis au got d'un premier essai puis l'attente, car le th livre lentement son arme. Et me plut que, durant cette courte mditation, il ft plus distrait par le th que par un problme de gomtrie:

Toi qui sais, tu ne mprises point l'humble travail

Mais il ne me rpondait pas. Cependant quand il eut, tout satisfait, empli nos verres:

Moi qui sais qu'entends-tu par l? Pourquoi le joueur de guitare ddaignerait-il le crmonial du th pour la seule raison qu'il connat quelque chose sur les relations entre les notes? Je connais quelque chose sur les relations entre les lignes d'un triangle. Cependant me plat le chant de l'eau et le crmonial qui honorera le roi, mon ami

Il songea, puis:

Que sais-je je ne crois pas que mes triangles m'clairent beaucoup sur le plaisir du th. Mais il se peut que le plaisir du th m'claire un peu sur les triangles

Que me dis-tu l, gomtre!

Si j'prouve, me vient le besoin de dcrire. Celle-l que j'aime, je te parlerai sur ses cheveux, et sur ses cils, et sur ses lvres, et sur son geste qui est musique pour le cur. Parlerais-je sur les gestes, les lvres, les cils, les cheveux, s'il n'tait point tel visage de femme lu travers? Je te montre en quoi son sourire est doux. Mais d'abord tait le sourire

Je n'irai point te remuer un tas de pierres pour y trouver le secret des mditations. Car la mditation ne signifie rien l'tage des pierres. Il faut que soit un temple. Alors me voil chang de cur. Et je m'irai, rflchissant sur la vertu des relations entre les pierres

Je n'irai point chercher dans les sels de la terre l'explication de l'oranger. Car l'oranger n'a point de signification l'tage des sels de la terre. Mais, d'assister l'ascension de l'oranger, j'expliquerai par lui l'ascension des sels de la terre.

Que d'abord j'prouve l'amour. Que je contemple l'unit. J'irai ensuite mditant les matriaux et les assemblages. Mais je n'irai point enquter sur les matriaux si rien ne les domine, vers quoi je tende. J'ai d'abord contempl le triangle. Puis j'ai cherch, en le triangle, les obligations qui rgissent les lignes. Tu as d'abord aim, toi aussi, une image de l'homme, de telle ferveur intrieure. Et tu en as dduit ton crmonial afin qu'elle y ft contenue, comme la capture dans le pige, et ainsi perptue dans l'empire. Mais quel sculpteur s'intressera pour eux-mmes au nez, l'il et la barbe? Et quel rite du crmonial imposeras-tu pour lui-mme? Et qu'irai-je dduire sur les lignes si elles ne sont point d'un triangle?

Je me soumets d'abord la contemplation, je raconterai ensuite, si je puis. Je n'ai donc jamais refus l'amour: le refus de l'amour n'est que prtention. Certes j'ai honor telle ou telle qui ne savait rien sur les triangles. Mais elle en savait plus long que moi sur l'art du sourire. As-tu vu sourire?

Certes, gomtre

Celle-l, des fibres de son visage et de ses cils et de ses lvres qui sont matriaux sans signification encore, te btissait sans effort un chef-d'uvre inimitable et, d'tre tmoin d'un tel sourire, tu habitais la paix des choses et l'ternit de l'amour. Puis elle te dfaisait son chef-d'uvre dans le temps qu'il te faut pour baucher un geste et t'enfermer dans une autre patrie o le dsir te venait d'inventer l'incendie dont tu l'eusses sauve, toi le rdempteur, tant elle se montrait pathtique. Et, de ce que sa cration ne laissait point ces traces dont on peut enrichir les muses, pourquoi l'euss-je mprise? Je sais formuler quelque chose sur les cathdrales bties, mais elle me btissait les cathdrales

Mais que t'enseignait-elle sur les relations entre les lignes?

Peu importent les objets relis. Je dois d'abord apprendre lire les liaisons. Je suis vieux. J'ai donc vu mourir qui j'aimais, ou gurir. Vient le soir o la bien-aime, la tte penche vers l'paule, dcline l'offre du bol de lait la faon du nouveau-n dj tranch d'avec le monde et qui refuse le sein, car le lait lui est devenu amer. Elle a comme un sourire d'excuse car elle te peine de ne plus se nourrir de toi. Elle n'a plus besoin de toi. Et tu vas contre la fentre cacher tes larmes. Et l sont les campagnes. Alors tu sens, comme un cordon ombilical, ton lien avec les choses. Les champs d'orge, les champs de bl, l'oranger fleuri qui prpare la nourriture de ta chair, et le soleil qui te fait tourner depuis l'origine des sicles le moulin des fontaines. Et te vient le bruit du charroi de l'aqueduc en construction qui dsaltrera la ville, en place de l'autre, que le temps a us, ou, plus simplement, de la carriole, ou du pas de l'ne qui porte le sac. Et tu sens circuler la sve universelle qui fait durer les choses. Et tu reviens pas lents vers le lit. Tu ponges le visage qui luit de sueur. Elle est l encore, auprs de toi, mais toute distraite de mourir. Les campagnes ne chantent plus pour elle leur chant d'aqueduc en construction, ou de carriole, ou d'ne qui trottine. L'odeur des orangers n'est plus pour elle, ni ton amour.