Alors tu te souviens de tels camarades qui s'aimaient.
L'un venait chercher l'autre, au cur de la nuit, par simple besoin de ses plaisanteries, de ses conseils, ou plus simplement encore de sa prsence. Et l'un manquait l'autre s'il voyageait. Mais un malentendu absurde les a brouills. Et ils feignent de ne point se voir, s'ils se rencontrent. Le miracle est ici qu'ils ne regrettent rien. Le regret de l'amour, c'est l'amour. Ce qu'ils recevaient l'un de l'autre, cependant ils ne le recevront de nul au monde. Car chacun plaisante, conseille, ou simplement respire sa propre faon et non d'une autre. Donc les voil amputs, diminus, mais incapables d'en rien connatre. Et mme tout fiers et comme enrichis du temps disponible. Et ils te vont flnant devant les talages, chacun pour soi. Ils ne perdent plus leur temps avec l'ami! Ils refuseront tout effort qui les rattacherait au grenier o ils puisaient leur nourriture. Car est morte la part d'eux-mmes qui en vivait, et comment cette part rclamerait-elle, puisqu'elle n'est plus?
Mais toi, tu passes en jardinier. Et tu vois ce qui manque l'arbre. Non du point de vue de l'arbre, car du point de vue de l'arbre rien ne lui manque: il est parfait. Mais de ton point de vue de dieu pour arbre qui greffe les branches l o il faut. Et tu rattaches le fil rompu et le cordon ombilical. Tu rconcilies. Et les voil qui repartent dans leur ferveur.
Moi aussi j'ai rconcili et j'ai connu le matin frais o la bien-aime te rclame le lait de chvre et le pain tendre. Et te voil pench sur elle, une main soutenant la nuque, l'autre haussant le bol jusqu'aux lvres ples, et toi regardant boire. Tu es chemin, vhicule et charroi. Il te semble, non que tu la nourrisses, ni mme que tu la gurisses, mais que tu la recouses ce dont elle tait, ces campagnes, ces moissons, ces fontaines, ce soleil. Un peu pour elle dsormais, le soleil fait tourner le moulin chantant des fontaines. Un peu pour elle on construit l'aqueduc. Un peu pour elle la carriole fait son grelot. Et, car elle te semble enfantine ce matin, et non dsireuse de sagesse profonde, mais bien plutt des nouvelles de la maison et des jouets, et des amis, tu lui dis donc: coute Et elle reconnat l'ne qui trottine. Alors elle rit et se tourne vers toi, son soleil, car elle a soif d'amour.
Et moi qui suis vieux gomtre, j'ai ainsi t l'cole car il n'est de relations que celles auxquelles tu as song. Tu dis: Il en est de mme Et une question meurt. J'ai rendu tel la soif de l'ami: je l'ai rconcili. J'ai rendu telle la soif du lait et de l'amour. Et j'ai dit: Il en est de mme Je l'ai gurie. Et, d'noncer telle relation entre la pierre qui tombe et les toiles, qu'ai-je fait d'autre? J'ai dit: Il en est de mme Et d'noncer ainsi telle relation entre des lignes, j'ai dit: En le triangle cela ou ceci c'est la mme chose Et ainsi, de mort des questions en mort des questions, je m'achemine doucement vers Dieu en qui nulle question n'est plus pose.
Et, quittant mon ami, je m'en fus de mes pas lents, moi qui me guris de mes colres, cause que, de la montagne que je gravis, se fait une paix vritable qui n'est point de conciliation, de renoncement, de mlange, ni de partage. Car je vois condition l o ils voient litige. Comme il en est de ma contrainte qui est condition de ma libert, ou de mes rgles contre l'amour qui sont condition de l'amour, ou de mon ennemi bien-aim qui est condition de moi-mme, car le navire n'aurait point de forme sans la mer.
D'ennemi concili en ennemi concili mais d'ennemi nouveau en ennemi nouveau je m'achemine moi aussi le long de la pente que je gravis, vers le calme en Dieu sachant qu'il ne s'agit point, pour le navire, de se faire indulgent aux assauts de la mer, ni pour la mer de se faire douce au navire, car, des premiers, ils sombreront, et des seconds, ils s'abtardiront en bateaux plats pour laveuses de linge mais sachant qu'il importe de ne point flchir, ni pactiser par faux amour, au cours d'une guerre sans merci qui est condition de la paix, abandonnant sur le chemin des morts qui sont condition de la vie, acceptant des renoncements qui sont condition de la fte, des paralysies de chrysalides qui sont condition des ailes, car il se trouve que tu me noues en plus haut que moi-mme, Seigneur, selon ta volont, et que je ne connatrai point la paix ni l'amour hors de Toi, car en Toi seul celui-l qui rgnait au nord de mon empire, lequel j'aimais, et moi-mme seront concilis, parce qu'accomplis, car en toi seul tel que j'ai d chtier malgr mon estime, et moi-mme, serons concilis parce qu'accomplis, car il se trouve qu'en Toi seul se confondent enfin dans leur unit sans litige l'amour, Seigneur, et les conditions de l'amour.
CCVII
Certes est injuste la hirarchie qui te brime et t'empche de devenir. Cependant tu iras, lutter contre cette injustice, de destruction d'architecture en destruction d'architecture jusqu' la mare tale o les glaciers se seront confondus.
Tu les souhaites semblables les uns aux autres, confondant ton galit avec l'identit. Mais moi je les dirai gaux de pareillement servir l'empire et non de tant se ressembler.
Ainsi du jeu d'checs: il est un vainqueur et un vaincu. Et il arrive que le vainqueur s'habille d'un sourire narquois pour humilier le vaincu. Car ainsi sont les hommes. Et tu viens, selon ta justice, interdire les victoires d'checs. Tu dis: Quel est le mrite du vainqueur? Il tait plus intelligent ou connaissait mieux l'art du jeu. Sa victoire n'est que l'expression d'un tat. Pourquoi serait-il glorifi pour tre plus rouge de visage ou plus souple, ou plus chevelu, ou moins chevelu?
Mais j'ai vu le vaincu d'checs jouer des annes durant dans l'espoir de la fte de la victoire. Car tu es plus riche de ce qu'elle existe si mme elle n'est point pour toi. Ainsi de la perle du fond des mers.
Car ne te trompe point sur l'envie: elle est signe d'une ligne de force. J'ai fond telle dcoration. Et les lus s'en vont se pavanant avec mon caillou sur la poitrine. Tu envies donc qui je dcore. Et tu viens selon ta justice, laquelle n'est qu'esprit de compensation. Et tu dcides: Tous porteront des cailloux contre leur poitrine. Et certes, dsormais, qui s'affublera d'un pareil bijou? Tu vivais non pour le caillou mais pour sa signification.
Et voil, diras-tu. J'ai diminu les misres des hommes. Car je les ai guris de la soif de cailloux auxquels la plupart ne pouvaient prtendre. Car tu juges selon l'envie, laquelle est douloureuse. L'objet de l'envie est donc un mal. Et tu ne laisses rien subsister qui soit hors d'atteinte. L'enfant tend la main et crie vers l'toile. Ta justice, donc, te fait un devoir de l'teindre.
Ainsi pour la possession des pierreries. Et tu les entreposes dans le muse. Tu dis: Elles sont tous. Et certes ton peuple dfilera le long des vitrines, les jours de pluie. Et ils billeront sur les collections d'meraudes car il n'est plus de crmonial qui les claire d'une signification. Et en quoi sont-elles plus rayonnantes que du verre taill?
Tu as purg jusqu'au diamant de sa nature particulire. Car il pouvait tre pour toi. Tu l'as chtr du rayonnement qui lui venait d'tre souhaitable. Ainsi des femmes, si tu les interdis. Si belles qu'elles soient, elles seront mannequins de cire. Je n'ai jamais vu quiconque mourir, aussi admirable qu'en ft l'image, pour telle ou telle que le bas-relief d'un sarcophage a perptue jusqu' lui. Elle verse la grce du pass ou sa mlancolie, non la cruaut du dsir.