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Voici donc que mon jardinier ne connut plus le repos. Tu l'eusses pu entendre qui s'informait sur la gographie, la navigation, les courriers et les caravanes et les guerres entre les empires. Et trois annes plus tard vint le jour de hasard de quelque ambassade que j'expdiai de l'autre ct de la terre. Je convoquai donc mon jardinier: Tu peux crire ton ami. Et mes arbres en souffrirent un peu et les lgumes du potager, et ce fut fte chez les chenilles, car il te passait les journes chez soi, griffonner, raturer, recommencer la besogne, tirant la langue comme un enfant sur son travail, car il se connaissait quelque chose d'urgent dire et il lui fallait se transporter tout entier, dans sa vrit, chez son ami. Il lui fallait construire sa propre passerelle sur l'abme, rejoindre l'autre part de soi travers l'espace et le temps. Il lui fallait dire son amour. Et voici que tout rougissant, il me vint soumettre sa rponse afin de guetter cette fois encore sur mon visage un reflet de la joie qui illuminerait le destinataire, et d'essayer ainsi sur moi le pouvoir de ses confidences. Et (car il n'tait rien en vrit de plus important faire connatre, puisqu'il s'agissait l pour lui de ce en quoi d'abord il s'changeait, la faon des vieilles qui s'usent les yeux aux jeux d'aiguille pour fleurir leur dieu) je lus qu'il confiait l'ami, de son criture applique et malhabile, comme une prire toute convaincue, mais de mots humbles: Ce matin, moi aussi, j'ai taill mes rosiers Et je me tus, sur ma lecture, mditant sur l'essentiel qui commenait de m'apparatre mieux, car ils Te clbraient, Seigneur, se joignant en Toi, au-dessus des rosiers, sans le connatre.

Ah! Seigneur, je prierai pour moi-mme, ayant de mon mieux enseign mon peuple. A cause que j'ai reu de Toi trop de travail pour rejoindre en particulier tel ou tel que j'eusse pu aimer, et qu'il a bien fallu que je me sevrasse d'un commerce qui procure seul les plaisirs du cur, car sont doux les retours ici et non ailleurs et les sons de voix particuliers et les confidences enfantines de telle qui croit pleurer son bijou perdu, quand elle pleure dj la mort qui spare de tous les bijoux. Mais Tu m'as condamn au silence afin qu'au-del du vent des paroles j'en entendisse la signification, puisqu'il est de mon rle de me pencher sur l'angoisse des hommes dont j'ai dcid de les gurir.

Certes, tu m'as voulu conomiser le temps que j'eusse us en bavardage, et l'enfer des paroles sur le bijou perdu (et nul ne sortira jamais de ces litiges puisqu'il ne s'agit point ici d'un bijou mais de la mort) comme sur l'amiti ou sur l'amour. Car amour ou amiti ne se nouent vritablement qu'en Toi seul et il est de ta dcision de ne me permettre d'y accder qu' travers ton silence.

Que recevrai-je, puisque je sais qu'il n'est point de ta dignit, ni mme de ta sollicitude, de me visiter mon tage et que je n'attends rien du guignol des apparitions d'archanges? Car moi qui m'adresse non tel ou tel, mais au laboureur comme au berger, j'ai beaucoup donner mais je n'ai rien recevoir. Et, s'il se trouve que mon sourire puisse enivrer la sentinelle, puisque je suis le roi et qu'en moi l'empire se noue qui est fait de leur sang, et qu'ainsi en retour l'empire travers moi paie leur propre sang par mon sourire, qu'ai-je, Seigneur, attendre du sourire de celle-l? Des uns comme des autres je ne sollicite point pour moi l'amour, et peu m'importe s'ils m'ignorent ou me hassent, condition qu'ils me respectent comme le chemin vers Toi, car l'amour je le sollicite pour Toi seul dont ils sont et dont je suis nouant la gerbe de leurs mouvements d'adoration, et Te la dlguant de mme que je dlgue l'empire, non moi, la gnuflexion de ma sentinelle, car je ne suis point mur mais opration de graine qui de la terre tire des branchages pour soleil.

Me vient donc quelquefois, puisqu'il n'est point de roi pour moi qui me puisse rembourser par un sourire, qu'il convient que j'aille ainsi jusqu' l'heure o tu daigneras me recevoir et me confondre avec ceux-l de mon amour, me vient donc, de temps autre, la lassitude d'tre seul, et le besoin de rejoindre ceux de mon peuple, car, sans doute, je ne suis point encore assez pur.

De juger heureux le jardinier qui communiquait avec son ami me vient donc parfois le dsir de me lier ainsi, selon leur dieu, aux jardiniers de mon empire. Et il m'arrive de descendre pas lents, un peu avant l'aube, les marches de mon palais vers le jardin. Je m'achemine dans la direction des roseraies. J'observe ici et l, et me penche attentif sur quelque tige, moi qui, midi venu, dciderai le pardon ou la mort, la paix ou la guerre. La survie ou la destruction des empires. Puis, me relevant de mon travail avec effort, car je me fais vieux, je dis simplement, en mon cur, afin de les rejoindre par la seule voie qui soit efficace, tous les jardiniers vivants et morts: Moi aussi, ce matin, j'ai taill mes rosiers. Et peu importe, d'un tel message, s'il chemine ou non des annes durant, s'il parvient ou non tel ou tel. L n'est point l'objet du message. Pour rejoindre mes jardiniers j'ai simplement salu leur dieu, lequel est rosier au lever du jour.

Seigneur, ainsi de mon ennemi bien-aim que je ne rejoindrai qu'au-del de moi-mme. Et pour qui, car il me ressemble, il en est galement ainsi. Donc je rends la justice selon ma sagesse. Il rend la justice selon la sienne. Elles paraissent contradictoires et, si elles s'affrontent, nourrissent nos guerres. Mais lui et moi, par des chemins contraires, nous suivons de nos paumes les lignes de force du mme feu. En Toi seul, Seigneur, elles se retrouvent.

J'ai donc, mon travail achev, embelli l'me de mon peuple. Il a, son travail achev, embelli l'me de son peuple. Et moi qui pense lui, et lui qui pense moi, bien que nul langage ne nous soit offert pour nos rencontres, quand nous avons jug, ou dict le crmonial, ou puni ou pardonn, nous pouvons dire, lui pour moi, comme moi pour lui: Ce matin j'ai taill mes rosiers

Car tu es, Seigneur, la commune mesure de l'un et de l'autre. Tu es le nud essentiel d'actes divers.

INDEX

DES PRINCIPALES RUBRIQUES DE CITADELLE

Citadelle n'est pas une uvre acheve. Dans la pense de l'auteur elle devait tre lague et remanie selon un plan rigoureux qui, dans l'tat actuel, se reconstitue difficilement. L'auteur a souvent repris les mmes thmes, soit pour les exprimer avec plus de prcision, soit pour les clairer d'une de ces images dont il a le secret.

A dfaut d'une table des matires rendue impossible par ce plan diffus, un index parat indispensable pour permettre au lecteur de retrouver rapidement les multiples formes verbales que revt la pense de Saint-Exupry; pour les comparer, les associer ou lire parmi elles la formule la plus heureuse, l'image la mieux frappe.

Conu mthodiquement, l'index devrait comporter une numra-tion des principaux thmes spirituels ( notre connaissance plusieurs essais ont t dj tents), suivie d'un glossaire des mots utiliss, certaines expressions, certains symboles revenant avec une prdilection marque sous la plume de l'auteur.

A ce travail minutieux, nous avons prfr une prsentation plus sommaire. Les mots-vedettes, classs alphabtiquement, renvoient par des sous-rubriques aux diffrentes utilisations qu'en a faites Saint-Exupry, aux diffrents angles sous lesquels il les a considrs.

Ils renvoient donc indiffremment un thme, un fait, un passage descriptif ou anecdotique, ou simplement ces images blouissantes qui confrent, des sujets parfois svres, l'envotement de la posie. Nous avons cru devoir reproduire en italique les priphrases ou expressions empruntes directement au texte.