Mais je n'ai point observ que le prince ft infrieur au dbardeur ni le gnral au sergent, ni le chef aux manuvres quoi qu'ils fussent plus amples dans l'usage des biens. Et ceux qui btissent des remparts de bronze, je ne les ai point trouvs infrieurs ceux qui alignent leurs murs de boue. Je ne refuse point l'escalier des conqutes qui permet l'homme de monter plus haut. Mais je n'ai point confondu le moyen et le but, l'escalier et le temple. Il est urgent qu'un escalier permette d'accder au temple sinon il restera dsert. Mais le temple est seul important. Il est urgent que l'homme subsiste et trouve autour de soi les moyens de grandir. Mais il ne s'agit l que de l'escalier qui mne l'homme. L'me que je lui btirai sera basilique car elle seule est importante.
Alors je vous condamne non de favoriser l'usuel. Mais de le prendre comme fin. Car, certes, sont urgentes les cuisines du palais mais en fin de compte le palais compte seul que les cuisines doivent servir. Et je vous convoque pour vous demander:
Montrez-moi la part importante de votre travail? Et vous demeurez devant moi muets.
Et vous me dites: Nous rpondons aux besoins des hommes. Nous les abritons. Oui, comme l'on rpond aux besoins du btail que l'on installe dans l'table sur sa litire. Et l'homme, certes, a besoin de murs pour s'y enterrer et devenir comme la semence. Mais il a besoin aussi de la grande Voie Lacte et de l'tendue de la mer, malgr que ni les constellations ni l'ocan ne lui servent de rien dans l'instant. Car qu'est-ce que servir? Et j'en connais qui ont longuement et durement gravi la montagne, s'corchant aux genoux et aux paumes, s'usant dans leur ascension, pour gagner avant l'aube la cime et s'abreuver de la profondeur de la plaine bleue encore, comme l'on cherche l'eau d'un lac pour y boire. Et ils s'asseyent et ils regardent une fois l, et ils respirent. Et le cur leur bat joyeusement, et ils y trouvent un remde souverain leurs dgots.
Et j'en connais qui cherchent la mer au pas lent de leur caravane et qui ont besoin de la mer. Et qui, lorsqu'ils arrivent sur le promontoire et dominent cette tendue pleine de silence et d'paisseur et qui interdit leurs regards ses provisions d'algues ou de coraux, respirent l'cret du sel et s'merveillent d'un spectacle qui ne leur sert de rien dans l'instant, car on ne saisit point la mer. Mais ils sont lavs dans leur cur de l'esclavage des petites choses. Peut-tre assistaient-ils avec curement, comme de derrire les barreaux d'une prison, la bouilloire, aux ustensiles de mnage, aux plaintes de leurs femmes, la gangue journalire, laquelle peut tre visage lu travers et sens des choses, mais parfois devenir tombeau et s'paissir et enfermer.
Alors ils prennent des provisions d'tendue et rapportent chez eux la batitude qu'ils y ont trouve. Et la maison est change de ce qu'il existe quelque part la plaine au lever du jour et la mer. Car tout s'ouvre sur plus vaste que soi. Tout devient chemin, route et fentre sur autre chose que soi-mme.
Alors ne me prtendez pas que vos murs usuels lui suffisent, car si l'homme n'avait jamais vu les toiles et s'il tait en votre pouvoir de lui btir une Voie Lacte aux traves gantes condition d'engloutir une fortune dans l'tablissement d'une telle coupole, iriez-vous me dire que cette fortune serait gche dans son usage?
Et c'est pourquoi je vous le dis: Si vous btissez le temple inutile puisqu'il ne sert ni la cuisson, ni au repos, ni l'assemble des notables, ni aux rserves d'eau, mais simplement l'agrandissement du cur de l'homme, et au calme des sens, et au temps qui mrit, car il est tout semblable un cellier du cur o l'on s'installe pour baigner quelques heures dans la paix quitable et l'apaisement des passions et la justice sans dshrits, si donc vous btissez un temple o la douleur due aux ulcres devient cantique et offrande, o la menace de mort devient port entrevu dans les eaux enfin calmes, croiriez-vous avoir gch vos efforts?
Si pour ceux-l qui se dchirent les mains manuvrer les voiles les jours de tempte, et qui bourlinguent durement nuit et jour et ne sont plus que chair vive durement gratte par le sel, s'il tait possible de les recevoir de temps autre dans les eaux calmes et lumineuses d'un port, l o il n'est plus ni mouvement, ni heurt, ni effort, ni pret du combat, mais silence des eaux que froisse peine l'arrive quand le grand vaisseau court sur son erre, croirais-tu avoir gch ton travail? Car elle leur est douce, cette eau de citerne, aprs toutes ces chevelures qui courent sur le poitrail des vagues, toutes ces crinires de la mer.
Et voil ce qu'il t'est possible d'offrir l'homme et qui ne dpend que de ton gnie. Car tu construis le got de l'eau du port et du silence et des esprances merveilleuses par le seul arrangement de tes pierres.
Alors ainsi ton temple les sollicite et ils vont s'essayer dans son silence. Et ils s'y dcouvrent. Car autrement il ne serait pour les solliciter que les boutiques. Rien d'autre ne serait appel en eux que l'acheteur par les marchands. Et ils ne natraient point dans leur grandeur. Et ils ne connatraient point leur tendue.
Certes, me diras-tu, ces boutiquiers gras sont combls et ils ne demandent rien d'autre. Mais il est facile de combler celui-l qui n'a point d'espace dans le cur.
Et certes, vos travaux, un stupide langage les prsente comme inutiles. Mais que le comportement des hommes dment donc bien avec sret ces raisonnements! Vous les voyez, les hommes, de toutes les contres du monde, courir la recherche de ces russites de pierre que vous ne fabriquez plus. Ces greniers pour l'me et le cur. O avez-vous vu l'homme prouver le besoin de courir le monde pour visiter des entrepts? L'homme use, certes, des marchandises, mais il en use pour subsister et il se trompe sur lui-mme s'il croit qu'il les souhaite d'abord. Car leurs voyages ont d'autres buts. Tu les as vus se dplacer, les hommes. As-tu considr leurs buts? Sans doute parfois une baie bienheureuse ou quelque montagne vtue de neige ou ce volcan qui s'paissit de sa fiente, mais avant tout ces navires ensevelis qui seuls conduisaient quelque part.
Ils en font le tour et la visite, rvant, sans bien le savoir, d'y tre embarqus. Car ils ne sont en route vers rien. Et ces temples ne reoivent plus les foules et ne les emportent plus et ne les changent plus en race plus noble comme une chrysalide. Tous ces migrants n'ont plus de navire et ils ne peuvent plus muer et, d'mes d'abord pauvres et dbiles, se faire, au cours de cette traverse bord de navires de pierre, des mes riches et gnreuses. C'est pourquoi tous ces visiteurs tournent autour du temple enseveli et visitent et cherchent et marchent sur les grandes dalles rayonnantes que l'usure des pas a lustres, coutant retentir leurs seules voix dans le silence monumental, perdus dans la fort des piliers de granit et croyant simplement comme des historiens, s'instruire, quand, aux battements de leurs curs ils pourraient comprendre que de pilier en pilier, de salle en salle, de nef en nef, ce qu'ils cherchent, c'est le capitaine et qu'ils sont tous l grelottants de cur mais sans le connatre, appelant une aide qui ne vient pas, attendant une mue qui se refuse, renfoncs comme ils sont en eux-mmes parce qu'il n'est plus que des temples morts, demi ensabls, parce qu'il n'est plus que des navires chous dont la provision de silence et d'ombre est mal protge et qui font eau de toutes parts avec ces grandes traves de ciel bleu qui se montrent travers les votes boules ou ce grsillement de sable travers les brches des murs. Et ils ont faim d'une faim qui ne sera point rassasie
Ainsi, je vous le dis, vous btirez parce que la fort profonde est bonne l'homme et la Voie Lacte et la plaine bleue domine du haut des montagnes. Mais qu'est-ce que l'tendue de la Voie Lacte et des plaines bleues et de la mer ct de celle qu'offre la nuit au cur des pierres quand l'architecte a su les remplir de silence? Et vous-mmes, vous les architectes, vous grandirez de perdre le got de l'usuel. Vous ne natrez que de l'uvre vritable raliser, car celle-l vous drainera puisqu'elle ne vous servira plus et vous contraindra de la servir. Et vous tirera hors de vous-mmes. Car, comment natrait-il de grands architectes l'occasion d'ouvrages sans grandeur?