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Et les dernires fentres claires montraient les malades. Il tait deux ou trois cancers comme des cierges allums. Puis cette toile l-bas de celui-l peut-tre qui reste aux prises avec l'uvre car il ne peut dormir s'il n'a fourni sa gerbe. Puis quelques fentres encore d'attente dmesure et sans espoir. Car Dieu a fait sa rcolte du jour et il en est qui ne rentreront plus jamais.

Donc il en tait quelques-uns semblables des sentinelles, face la nuit comme face la mer. Les voil, me disais-je, tmoins de la vie face l'impntrable mer. En avant-garde. Nous sommes quelques-uns veiller sur les hommes, auxquels les toiles doivent leur rponse. Nous sommes quelques-uns debout avec notre option sur Dieu. Portant la charge de la ville, nous sommes quelques-uns parmi les sdentaires, que durement flagelle le vent glac qui tombe comme un manteau froid des toiles.

Capitaines, mes compagnons, voil qu'elle est dure la nuit venir. Car les autres qui dorment ne savent point que la vie n'est que changements et craquements intrieurs du cdre et mue douloureuse. Nous sommes quelques-uns porter pour eux ce fardeau, nous sommes quelques-uns aux frontires, ceux que brle le mal et qui rament lentement vers le jour, ceux qui attendent, comme au mt de vigie, la rponse leurs questions, ceux qui esprent encore le retour de l'pouse

Mais c'est alors que m'apparut la mme frontire qui spare l'angoisse de la ferveur. Car angoisse et ferveur choient aux mmes. Toutes deux sont sentiment de l'espace et de l'tendue.

Seuls veillent donc avec moi, me disais-je, les angoisss et les fervents. Qu'ils reposent donc, les autres. Ceux qui ont cr dans le jour et qui n'ont point la vocation de demeurer l'avant-garde

La ville cependant, cette nuit-l, tait suspendue hors du sommeil cause d'un homme qui devait l'aube expier un crime. Car on le disait innocent. Et des patrouilles circulaient qui avaient pour mission d'empcher que la foule ne s'assemblt, car quelque chose tirait les hommes hors des demeures et les faisait se runir.

Et moi je me disais: C'est la souffrance d'un seul qui allume cet incendie. Celui-l dans sa gele est brandi sur tous comme un tison.

Me vint le besoin de le connatre. Et je m'en fus vers la prison. Je l'aperus, carre et noire, qui se dcoupait sur les toiles. Les hommes d'armes m'ouvrirent les portes qui tournaient lentement sur leurs gonds. Les murs me parurent d'une paisseur inusite et des barreaux protgeaient les lucarnes. Et l aussi des patrouilles noires qui circulaient le long des vestibules et dans les cours, ou qui se levaient mon passage comme des animaux nocturnes Et partout cette odeur de chambre et ces chos profonds de crypte quand on laissait choir une clef ou quand on marchait sur les dalles. Et je songeais: Faut-il que l'homme soit dangereux pour qu'il soit ncessaire, lui si faible, de chair si chtive, qu'un clou peut vider de sa vie, de l'craser ainsi sous une montagne!

Et tous les pas que j'entendais lui marchaient sur le ventre. Et tous ces murs, toutes ces poternes, tous ces contreforts pesaient sur lui. Il est l'me de la prison, me disais-je, songeant lui. Il est le sens et le centre et la vrit de la prison. Et cependant que montre-t-il de lui, sinon un simple tas de hardes, couch en travers des barreaux et peut-tre mme endormi et respirant mal. Tel qu'il est, pourtant, levain d'une ville. Et causant, en se retournant d'un mur vers l'autre, ce tremblement de terre.

On m'ouvrit le judas et je le regardai. Sachant bien

qu'il tait ici quelque chose comprendre. Et je le vis.

Et je songeais: Il n'a rien peut-tre se reprocher sinon l'amour des hommes. Mais celui qui btit une demeure donne une forme sa demeure. Et certes toute forme peut tre souhaitable. Mais non toutes ensemble. Sinon il n'est plus de demeure.

Un visage tir de la pierre est fait de tous les visages refuss. Tous peuvent tre beaux. Mais non tous ensemble. Sans doute son rve est-il beau.

Nous sommes lui et moi sur la crte de la montagne. Lui et moi, seuls. Nous sommes cette nuit sur la crte du monde. Nous nous retrouvons et nous nous joignons. Car rien cette altitude ne nous divise. Il dsire comme moi la justice. Et cependant il mourra

Je souffrais dans mon cur.

Cependant pour que le dsir se change en acte, pour que la force de l'arbre se fasse branche, pour que la femme devienne mre, il faut un choix. C'est de l'injustice du choix que nat la vie. Car celle-l aussi, qui tait belle, mille l'aimaient. Et, pour tre, elle les a rduits au dsespoir. Est toujours injuste ce qui est.

Je comprenais que toute cration d'abord est cruelle.

Je refermai la porte et m'en fus le long des corridors. Plein d'estime et d'amour: Qu'est-ce de lui laisser la vie dans l'esclavage, quand sa grandeur c'est son orgueil? Et je croisai les patrouilles, les geliers, les balayeurs du petit jour. Et tout ce peuple servait son prisonnier. Et ces murs lourds gardaient leur prisonnier, comme ces ruines dchiquetes qui tirent leur sens du trsor enfoui. Et je me retournai une fois encore vers la prison. Avec sa tour en forme de couronne rejete vers les astres, navire en marche avec sa cargaison, tout entire servante, et je me disais: Qui l'emporte? Puis quand j'en fus loin, lass dans la nuit, cette gueule de poudrire

Je songeais ceux de la ville. Certes, ils le pleureront, songeais-je. Mais il est bon aussi qu'ils pleurent.

Car je mditais les chants, les rumeurs et les mditations de mon peuple. Ils l'enterreront. Mais on n'enterre point, songeais-je. Ce que l'on enterre est semence. Je n'ai point de pouvoir contre la vie et il aura raison un jour. Je le pends au bout d'une corde. Mais j'entendrai chanter sa mort. Et cet appel retentira sur qui veut concilier ce qui se divise. Mais que concilierai-je?

Il me faut absorber dans une hirarchie et non, dans le mme instant, dans une autre. Je ne dois point confondre la batitude et la mort. Je marche vers la batitude mais ne dois point refuser les contradictions. Je dois les recevoir. Ceci est bien, ceci est mal, j'ai horreur du mlange qui n'est que sirop pour les faibles et qui les mascule, mais je dois me grandir de ce que j'accepte mon ennemi.

XXIX

Je mditai devant ce masque de la danseuse. Et son air but, obstin et las. Et je me dis: Voil qu'au temps de la grandeur de l'empire c'tait un masque. Ce n'est plus aujourd'hui que le couvercle d'une bote vide. Il n'est plus de pathtique dans l'homme. Il n'est plus d'injustice. Nul ne souffre plus pour sa cause. Et qu'est-ce qu'une cause qui ne fait point souffrir?

Il a dsir obtenir. Il a obtenu. Est-ce maintenant pour lui le bonheur? Mais le bonheur c'tait la dmarche d'obtenir. Regardez la plante qui forme la fleur. Heureuse d'avoir form sa fleur? Non, mais acheve. Et n'ayant plus rien d'autre souhaiter sinon la mort. Car je connais le dsir. La soif du travail. Le got de russir. Puis le repos. Mais nul ne vit de ce repos, lequel n'est point un aliment. Il ne faut point confondre l'aliment et le but. Celui-l a couru plus vite.

Et il a gagn. Mais il ne saurait vivre de sa course gagne. Ni l'autre qui aimait la mer, de son unique tempte vaincue. La tempte qu'il vainc c'est un mouvement de brasse dans sa nage. Et il appelle un autre mouvement. Et le plaisir de former la fleur, de vaincre la tempte, de btir le temple, se distingue du plaisir de possder une fleur faite, une tempte vaincue, un temple debout. Illusoire l'espoir d'en jouir en servant ce que l'on a d'abord condamn, en esprant, guerrier, tirer ses joies des joies du sdentaire. Et cependant, en apparence, le guerrier combat pour atteindre ce qui alimente le sdentaire, mais il n'a point le droit d'tre du s'il se transforme ensuite en sdentaire, car fausse est la dtresse de celui qui vous dit que la satisfaction fuit ternellement devant le dsir. Car alors on se trompe sur l'objet du dsir. Ce que tu poursuis ternellement, dis-tu, ternellement s'loigne C'est comme si l'arbre se plaignait: J'ai form ma fleur, dirait-il, et voici qu'elle devient graine et que la graine devient arbre et encore une fois l'arbre fleur Ainsi as-tu vaincu ta tempte et ta tempte est devenue repos, mais ton repos n'est que prparation de la tempte. Je te le dis: il n'est point d'amnistie divine qui t'pargne de devenir. Tu voudrais tre: tu ne seras qu'en Dieu. Il te rentrera dans sa grange quand tu seras lentement devenu et ptri de tes actes, car l'homme, vois-tu, est long natre.