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Ainsi se sont-ils vids d'avoir cru possder et obtenir et de s'tre arrts sur la route, pour jouir, comme ils disent, de leurs provisions. Car il n'est point de provisions. Et je le sais, moi qui me suis fait prendre si longtemps au pige des cratures, sachant que celle-l que l'on formait dans quelque contre trangre et huilait de la perfection des aromates, il me serait possible de m'en saisir. Et j'appelais amour ce vertige. Et il me semblait que je mourrais de soif si je ne savais l'obtenir.

Alors les fianailles donnaient lieu des ftes retentissantes, colores pour le peuple entier par la religion de l'amour. Et l'on versait des corbeilles de fleurs et l'on rpandait des parfums et l'on brlait des diamants qui avaient cot la sueur, la souffrance, le sang des hommes, ns de la foule comme la goutte de parfum tire des tombereaux de fleurs, et chacun cherchait sans trop comprendre s'puiser dans l'amour. Mais la voil sur ma terrasse, captive tendre et prise dans le vent avec ses voiles. Et moi homme, et moi guerrier vainqueur tenant enfin la rcompense de ma guerre. Et brusquement, en face d'elle, ne sachant plus que devenir

Ma colombe, lui disais-je, ma tourterelle, ma gazelle aux longues jambes car dans les mots que j'inventais je cherchais la saisir, l'insaisissable! Fondue comme neige. Car n'tait rien le don que j'attendais. Et je criais: O tes-vous? Car je ne la rencontrais point. O donc est la frontire? Et je devenais donjon et rempart. Et les feux de joie dans ma ville brlaient pour clbrer l'amour. Et moi seul, dans mon terrible dsert, je la regardais, dvtue, dormir. Je me suis tromp de proie, je me suis tromp dans ma course. Elle fuyait si vite et je l'ai arrte pour m'en saisir Et, une fois prise, elle n'tait plus Mais je comprenais aussi mon erreur. C'est la course que je courais, et j'avais t fou comme celui-l qui a rempli sa cruche et l'a enferme dans son armoire parce qu'il aimait le chant des fontaines

Mais si je ne te touche point, je te construis comme un temple. Et je te btis dans la lumire. Et ton silence renferme les campagnes. Et je sais t'aimer au-del de moi et de toi. Et j'invente des cantiques pour clbrer ton empire. Et se ferment tes yeux, paupires du monde. Et je te tiens lasse dans mes bras, comme une ville. Tu n'es qu'une marche de mon ascension vers Dieu. Tu es faite pour tre brle, consomme, mais non pour retenir Et voil que bientt le palais pleure et que la ville entire se revt de cendre car j'ai pris mille hommes d'armes et pass le porche de la ville dans la direction du dsert, n'tant point satisfait.

La douleur d'un seul, je te l'ai dit, vaut la douleur du monde. Et l'amour d'une seule, si sotte qu'elle soit, balance la Voie Lacte et ses toiles. Et je te serre dans mes bras comme la courbe de mon navire. Ainsi ce dpart en haute mer: paule redoutable de l'amour

Ainsi ai-je connu les limites de mon empire. Mais ces limites l'exprimaient dj car je n'aime que ce qui rsiste. L'arbre ou l'homme d'abord, c'est celui qui d'abord rsiste. Et c'est pourquoi je comparais des couvercles pour coffrets vides ces bas-reliefs de danseuses obstines qui furent masques quand ils couvraient l'obstination et le remue-mnage intrieur et la posie, fille des litiges. J'aime qui se montre par sa rsistance, celui qui se ferme et se tait, celui qui se conserve dur, et, les lvres scelles dans les supplices, celui qui a rsist aux supplices et l'amour. Celui qui prfre et qui est injuste de ne point aimer. Toi, comme une tour redoutable, et qui jamais ne sera prise

Car je hais la facilit. Et il n'est point d'homme s'il ne s'oppose. Sinon la fourmilire o Dieu ne s'inscrit plus. Homme sans levain. Et voil bien le miracle qui m'apparut dans ma prison. Plus fort que toi, que moi, que nous tous, que mes geliers et mes ponts-levis et mes remparts. Voil bien l'nigme qui me tourmentait, la mme que de l'amour, quand, nue, je la tenais soumise. Grandeur de l'homme et cependant sa petitesse car je le sais grand dans la foi et non dans l'orgueil de sa rvolte.

XXX

Ainsi m'est-il apparu que l'homme n'tait point digne d'intrt si, non seulement il n'tait point capable de sacrifice, de rsistance aux tentations et d'acceptation de la mort car alors il n'a plus de forme mais de mme si, fondu dans la masse, gouvern par la masse, il subissait ses lois. Car il en est ainsi du sanglier ou de l'lphant solitaire et de l'homme sur sa montagne, et la masse doit permettre son silence chacun et ne point l'en tirer par haine de ce qui est semblable au cdre, quand il domine la montagne.

Celui-l qui me vient avec son langage pour saisir et exprimer l'homme dans la logique de son expos me parat semblable l'enfant qui s'installe au pied de l'Atlas avec son seau et sa pelle et forme le projet de saisir la montagne et de la transporter ailleurs. L'homme c'est ce qui est, non point ce qui s'exprime. Certes, le but de toute conscience est d'exprimer ce qui est, mais l'expression est uvre difficile, lente et tortueuse, et l'erreur est de croire que n'est pas ce qui ne peut d'abord s'noncer. Car noncer et concevoir ont mme sens. Mais est faible la part de l'homme que j'ai jusqu' aujourd'hui appris concevoir. Or, ce que j'ai conu un jour n'en existait pas moins la veille, et je me leurre si j'imagine que ce que je ne puis exprimer de l'homme n'est point digne d'tre considr. Car non plus, je n'exprime point la montagne mais je la signifie. Mais je confonds signifier et saisir. Je signifie qui connat dj, mais si celui-l ignorait, comment saurais-je lui transmettre cette montagne avec ses crevasses aux pierres roulantes et ses pans de lavande et son fate crnel dans les toiles? Et je sais quand celle-l n'est point forteresse dmantele ou barque sans direction dont on dtache la corde son gr de l'anneau de fer pour la conduire l o il plat mais existence merveilleuse avec les lois de sa gravitation interne et ses silences plus majestueux que le silence de la machinerie des toiles.

Ainsi donc me vint ce litige dominant d'admirer pour moi l'homme soumis et l'homme irrductible qui montre ce qu'il est. Sachant comprendre le problme, mais non le formuler. Car ceux-l que la discipline la plus dure rgit et qui, sur un signe de moi, acceptent la mort, ceux-l mmes qu'aimante ma foi, mais si bien durcis dans leur discipline que je puis, face eux, les injurier et les soumettre comme des enfants, et qui, par contre, lchs l'aventure et heurts contre d'autres, montrent la trempe de l'acier et la colre sublime et le courage dans la mort.

J'ai compris qu'il n'tait que deux aspects du mme

homme. Et que celui-l que nous admirons comme le grain irrductible, ou celle-l impossible soumettre, et dans mes bras absente comme un navire de haute mer, celui-l que je dis un homme, car il ne transige, ni ne pactise, ni ne compose, ni ne se dfait d'une part de soi par habilet ou convoitise ou lassitude, celui-l que je puis craser sous la meule sans en faire sourdre l'huile du secret, celui qui porte au cur ce dur noyau d'olive, celui dont je n'admets ni que la foule, ni que le tyran le contraigne, devenu diamant au cur, toujours je lui ai dcouvert l'autre face. Et soumis, et disciplin et respectueux et plein de foi et d'abandon, fils sage d'une race spirituelle et dpositaire de ses vertus