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Ce n'est point que je mprisais sa grandeur. Ni les jardins suspendus de sa capitale. Ni les parfums de ses marchands. Ni l'orfvrerie dlicate de ses ciseleurs. Ni ses grands barrages pour les eaux. L'homme infrieur invente le mpris, car sa vrit exclut les autres. Mais nous qui savions que les vrits coexistent, nous ne pensions point nous diminuer en reconnaissant celle de l'autre bien qu'elle ft notre erreur. Le pommier, que je sache, ne mprise point la vigne, ni le palmier le cdre. Mais chacun se durcit au plus fort et ne mle point ses racines. Et sauve sa forme et son essence car il est l un capital inestimable qu'il ne convient point d'abtardir.

L'change vritable, me disait-il, c'est le coffret de parfum ou la graine ou ce prsent de cdre jaune qui remplit ta maison du parfum de la mienne. Ou encore mon cri de guerre quand il te vient de mes montagnes. Ou peut-tre d'un ambassadeur, s'il a t longtemps lev et form et durci, et qu' la fois il te refuse et t'accepte. Car il te refuse dans tes tages infrieurs. Mais il te retrouve l o l'homme s'estime au-dessus de sa haine. La seule estime qui vaille est l'estime d'un ennemi. Et l'estime des amis ne vaut que s'ils dominent leur reconnaissance et leurs remerciements et tous leurs mouvements vulgaires. Si tu meurs pour ton ami je t'interdis de t'attendrir

Ainsi mentirais-je si je disais que j'avais en lui un ami. Et cependant nous nous rencontrions avec une joie profonde mais c'est ici que les mots draillent cause de la vulgarit des hommes. La joie n'tait point pour lui mais pour Dieu. Il tait un chemin vers Dieu. Nos rencontres taient clefs de vote. Et nous n'avions rien nous dire.

Me pardonne Dieu d'avoir pleur quand il est mort.

Je la connaissais bien, l'imperfection de ma misre. Si je pleure, me disais-je, c'est que je ne suis point encore assez pur. Et je l'imaginais, s'il et appris ma mort, comme la rentre dans la nuit d'un territoire. Et contemplant ce grand basculement du monde du mme il que le crpuscule. Ou celui qui se noie quand change le monde sous le miroir dormant des eaux. Seigneur, et-il dit son Dieu, il fait nuit et il fait jour selon ta volont. Mais qu'est-il perdu de cette gerbe faite, de cette poque rvolue? J'ai t. Et voil qu'il m'et enferm dans son calme ineffable. Mais je n'tais point assez pur et n'avais point encore assez le got de l'ternel. Et, comme les femmes, j'prouvais cette mlancolie de surface, quand le vent du soir fane les ross de mes vivantes roseraies. Car il me fane dans mes ross. Et je me sens mourir en elles.

Au long de la vie j'avais enseveli mes capitaines, j'avais dpos mes ministres, j'avais perdu mes femmes. J'avais laiss derrire moi cent images de moi-mme comme le serpent laisse ses peaux. Mais cependant, ainsi que revient le soleil qui est mesure et pendule du jour, ou l't qui mesure le balancement de l'anne, de rencontre en rencontre, de trait en trait nouveau, mes hommes d'armes dressaient la tente vide dans le dsert. Et nous nous y rendions. Et ainsi la coutume solennelle et ce sourire de parchemin et ce calme prs de la mort. Et ce silence qui n'est point de l'homme mais de Dieu.

Mais voici que je restais seul, responsable seul de tout mon pass et sans tmoin qui m'et vu vivre. Tous ces actes que j'avais ddaign d'exposer mon peuple mais que lui, mon voisin de l'Est, avait compris, tous ces soulvements intrieurs dont je n'avais point fait un spectacle, mais qu'il avait devins dans son silence. Toutes ces responsabilits qui m'avaient cras et que tous ignoraient car il tait bon qu'ils crussent d'abord mon arbitraire, mais que lui, mon voisin de l'Est, avait peses, jamais compatissant, bien au-dessus, bien au-del, estimant autrement que moi-mme, voici qu'il s'tait endormi dans la pourpre du sable, ayant ramen le sable sur lui comme un linceul digne de lui, voici qu'il s'tait tu, voici qu'il avait commenc ce sourire mlancolique et plein de Dieu qui accepte d'avoir nou la gerbe, les yeux clos sur leurs provisions. Ah! que d'gosme dans mon dsarroi! Moi si faible, accordant de l'importance la trajectoire de ma destine, quand elle n'en a point, mesurant l'empire moi-mme au lieu de me fondre dans l'empire, et dcouvrant que ma vie personnelle avait abouti cette crte, comme un voyage.

Je connus dans ma vie, cette nuit-l, la ligne de partage des eaux, redescendant sur un versant aprs avoir lentement gravi l'autre, et ne reconnaissant plus personne, pour la premire fois vieillard, et sans visages familiers, et indiffrent tous car je me devenais moi-mme indiffrent, ayant laiss sur l'autre versant tous mes capitaines, toutes mes femmes, tous mes ennemis et peut-tre mon seul ami dsormais solitaire dans un monde habit par des peuplades que je ne connaissais plus.

Mais c'est l que je sus me reprendre. J'ai bris, pensais-je, ma dernire corce et peut-tre vais-je devenir pur. Je n'tais point si grand, puisque je me considrais. Et cette preuve m'a t envoye car je mollissais. Car je me gonflais des bas mouvements de mon cur. Mais je saurai le ranger dans sa majest, mon ami mort, et je ne le pleurerai point. Simplement il aura t. Et le sable m'apparatra plus riche puisque souvent, au large de ce dsert, je l'aurai vu sourire. Et le sourire pour moi de tous les hommes en sera augment de ce sourire particulier. Ce sourire particulier enrichira tous les sourires. Car je verrai dans l'homme l'bauche que nul tailleur de pierre n'a su dgager de sa gangue, mais travers cette gangue je connatrai mieux le visage de l'homme puisque j'en aurai considr un, droit dans les yeux.

Je redescends donc de ma montagne: n'ayez point peur, mon peuple, j'ai renou le fil. Il tait mauvais que j'eusse besoin d'un homme. La main qui m'a guri et qui m'a recousu s'est efface, non la couture. Je redescends de ma montagne et je croise des brebis et des agneaux. Je les caresse. Je suis seul au monde devant Dieu, mais, caressant ces agneaux qui ouvrent les sources du cur, non tel agneau, mais travers lui la faiblesse des hommes, je vous retrouve.

Quand l'autre je l'ai tabli et jamais il n'a mieux rgn. Je l'ai tabli dans la mort. Et tous les ans on dresse une tente dans le dsert cependant que mon peuple prie. Mes armes psent sur leurs armes, les fusils sont chargs, les cavaliers circulent pour la police du dsert, et l'on tranche la tte de celui qui se hasarde dans la contre. Et j'avance seul. Et je soulve la toile de la tente et j'entre et je m'assieds. Et le silence se fait sur terre.

XXXIII

Et maintenant que me tourmente cette douleur sourde dans mes reins que mes mdecins ne savent point gurir, maintenant que je suis comme un arbre de la fort sous la hache du bcheron et que Dieu va m'abattre mon tour comme une tour use, maintenant que mes rveils ne sont plus rveils de vingt ans et dtente des muscles et vol arien de l'esprit, j'y ai trouv ma consolation qui est de ne point souffrir de ces annonces qui se rpandent par mon corps et de ne point tre entam par des souffrances qui sont mesquines et personnelles et enfermes en moi et auxquelles les historiens de l'empire n'accorderont pas trois lignes dans leurs chroniques, car peu importe que ma dent branle et qu'on l'arrache, et il serait bien misrable de ma part d'attendre la moindre piti. La colre au contraire me monte si j'y songe. Car elles sont du vase, ces craquelures de l'corce, non du contenu. Et l'on me raconte que mon voisin de l'Est, quand il fut frapp de paralysie et qu'un ct de lui se fit froid et mort et qu'il transportait avec lui ce frre siamois qui ne riait plus, il ne perdit rien de sa dignit, mais bien mieux, il russit cet apprentissage. Et ceux qui le flicitaient de sa force d'me il rpondait avec mpris que l'on se trompait sur sa personne et que, ce genre d'hommages, on voult bien le conserver pour les boutiquiers de la ville. Car celui qui rgne, s'il ne rgne point d'abord sur son propre corps, n'est qu'usurpateur ridicule. Il n'est point pour moi de dchance, mais sans doute joie merveilleuse, d'un peu mieux, aujourd'hui, m'affranchir!