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Ceux-l qui sont nobles, je les protge. Et leur protection c'est l'injustice. Ni t'indigne point cause des mots. Ces poissons bleus aux longues toffes, si tu les tends sur le rivage, il est injuste qu'ils soient laids. Mais la faute vient de toi: ils taient faits pour le rayonnement sous-marin. Ils taient beaux l o cesse le rivage. Et les capitaines des sables aussi sont beaux l seulement o meurt le charroi des villes, l'offre des marchands et la vanit. Car il n'est point de vanit dans le dsert.

Qu'ils se consolent. Ils redeviendront rois s'ils le souhaitent, car je ne les frustrerai point de leur royaume et ne mnagerai point leur souffrance.

Cette autre vint:

Je suis l'pouse fidle et sage et belle. Je ne respire que pour lui. Je lui couds ses manteaux et soigne ses blessures. Je partage ses mauvais jours. Mais le voil qui accorde son temps celle qui le bafoue et qui le pille.

Et je lui rponds:

Ne te trompe pas ainsi sur l'homme. Qui se connat soi-mme? On marche en soi-mme vers la vrit mais l'esprit de l'homme est semblable l'ascension des montagnes. Tu vois la crte, il te semble l'atteindre et tu dcouvres d'autres crtes, d'autres ravins et d'autres pentes. Qui connat sa soif? Il en est qui ont soif du bruit des rivires, et qui, pour l'entendre, acceptent la mort. Il en est qui ont soif du blottissement contre leur paule d'un renard, et ils vont l'afft malgr l'ennemi. Celle-l dont tu parles tait peut-tre ne de lui. Et c'est pourquoi il en est responsable. Tu te dois ta crature. Il va la chercher pour qu'elle le pille. Il va la chercher pour qu'elle s'abreuve. Il ne sera point pay par un mot tendre, mais il ne sera pas non plus frustr par l'injure. Il ne s'agit point d'entreprise comptable o un mot tendre ajoute et une injure retranche. Il sera pay par son sacrifice. Et par ce mot qu'elle dira et qu'il lui aura enseign. Semblable celui qui est revenu du dsert et que les dcorations ne peuvent payer, pour la mme raison que les ingratitudes ne le peuvent frustrer. Car o vois-tu qu'il s'agit d'acqurir et de possder quand il ne s'agit que de devenir, d'tre enfin, et de mourir dans la plnitude de sa substance? Dis-toi que la rcompense d'abord c'est la mort qui largue enfin le navire. Heureux celui qui est lourd de trsors!

Et toi-mme, qu'as-tu te plaindre: Tu ne sais donc point le rejoindre?

C'est alors que je compris l'alliance et quel point elle diffre de la communaut. Ils s'abordent tous, me disais-je, avec un langage rudimentaire et qui croit transporter lorsqu' peine il signifie. Et les voil tous occups de manuvrer leurs balances et leurs instruments de mesure. Ils ont tous raison mais trop raison. Ils n'ont que raison et donc ils se trompent. Et l'un de l'autre, ils se btissent des images pour exercice de tir.

L'alliance nous peut unir quand mme je te poignarde.

XXXIX

Ne jamais craindre le chantage. Car si tu engages tout sur ce point de dtail tu l'eusses engag bientt sur un autre point de dtail et le premier et t accord sans bnfice.

Ainsi de l'empire.

Il faut devenir pour comprendre. Cela explique l'orgueil de celui qui croit. Il prouve le sentiment que le doute de l'autre ne signifie rien car l'autre ne peut pas comprendre.

Sache distinguer la contrainte de l'amour. Celui-l qui jure par moi et attend que je parle pour parler, celui-l ne m'intresse point. Car je vais cherchant ma lumire parmi les hommes. Chanter en chur est une chose. Mais autre chose est de fonder le chant. Et qui collabore dans la cration?

Car encore ce dilemme qu'il s'agit de lever: il n'est de cration que si tous collaborent et cherchent. Il n'est de cration que quand le tronc de l'arbre est nou par l'amour. Mais il ne s'agit point de la soumission de chacun tous, bien au contraire, mais de la direction du courant de sve, lequel tablit les branchages comme un temple dans le ciel. Ici la mme erreur que celle des logiciens qui remarquent le plan dans l'objet cr et croient que la cration est ne de lui quand c'est par le plan qu'elle s'exprime. Alors que le plan est visage montr. Il s'agit de la soumission non de chacun tous, mais de chacun l'uvre et chacun force les autres de grandir, peut-tre mme par l'acte de s'opposer. Et moi j'oblige la cration car s'ils reoivent de moi seul, ils deviennent pauvres et vides. Mais c'est moi qui reois d'eux tous, et les voil ainsi grandis de possder comme expression ce moi qu'ils ont tellement grandi d'abord. Et de mme que je prends dans les bras leurs agneaux, leurs chvres, leurs graines et jusqu'aux murs de leurs demeures, pour les faire miens et les leur rendre, devenus don de mon amour, de mme les basiliques qu'ils fondent

Mais de mme que la libert n'est point la licence, ainsi l'ordre n'est point absence de libert. (Je reviendrai sur la libert.)

J'crirai un hymne au silence. Toi, musicien des fruits. Toi, habitant des caves, des celliers et des granges. Toi, vase de miel de la diligence des abeilles. Toi, repas de la mer sur sa plnitude.

Toi, dans lequel, du haut des montagnes, j'enferme la ville. Ses charrois tus, ses cris et la sonorit de ses enclumes. Dj toutes ces choses dans le vase du soir sont suspendues. Vigilance de Dieu sur notre fivre, manteau de Dieu sur l'agitation des hommes.

Silence des femmes qui ne sont plus que chair o mrit le fruit. Silence des femmes sous la rserve de leurs seins lourds. Silence des femmes qui est silence de toutes les vanits du jour et de la vie qui est gerbe de jours. Silence des femmes qui est sanctuaire et perp-tuement. Silence o se joue vers demain la seule course qui aille quelque part. Elle entend l'enfant qui lui craque au ventre. Silence, dpositaire o j'ai tout enferm de mon honneur et de mon sang.

Silence de l'homme qui s'accoude et qui rflchit et reoit dsormais sans dpense et fabrique le suc des penses. Silence qui lui permet de connatre et qui lui permet d'ignorer, car il est bon quelquefois qu'il ignore. Silence qui est refus des vers, des parasites, et des herbes contraires. Silence qui te protge dans le droulement de tes penses.

Silence des penses elles-mmes. Repos des abeilles car le miel est fait et ne doit plus tre que trsor enfoui. Et qui mrit. Silence des penses qui prparent leurs ailes car il est mauvais que tu t'agites dans ton esprit ou dans ton cur.

Silence du cur. Silence des sens. Silence des mots intrieurs, car il est bon que tu retrouves Dieu qui est silence dans l'ternel. Tout ayant t dit, tout ayant t fait.

Silence de Dieu comme le sommeil du berger, car il n'est point de sommeil plus doux, malgr que semblent menacs les agneaux des brebis, quand il n'est plus ni berger ni troupeau, car qui saurait les distinguer l'un de l'autre sous les toiles quand tout est sommeil, quand tout est sommeil de laine?

Ah, Seigneur! qu'un jour, engrangeant Votre cration, vous ouvriez ce grand portail la race bavarde des hommes et les rangiez dans l'table ternelle, quand les temps seront rvolus, et enleviez, comme on gurit des maladies, leur sens nos questions.

Car il m'a t donn de comprendre que tout progrs de l'homme est de dcouvrir, l'une aprs l'autre, que ses questions n'ont point de sens, car j'ai consult mes savants et ce n'est point qu'ils aient trouv quelques rponses aux questions de l'anne dernire, Seigneur! mais qu'aujourd'hui les voil qui sourient sur eux-mmes, car la vrit leur est venue comme l'effacement d'une question.

Moi qui sais bien, Seigneur, que la sagesse ce n'est point rponse, mais gurison des vicissitudes du langage je le connais pour ceux-l mmes qui s'aiment et s'assoient les jambes pendantes sur le mur bas devant la plantation d'orangers, paule contre paule, connaissant bien qu'ils n'ont point reu de rponse aux questions qu'ils posaient hier. Mais je connais l'amour, et c'est que nulle question n'est plus pose.