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Je ne suis point enferm dans mon corps qui craque comme une vieille corce. Au cours de ma lente descente sur le versant de ma montagne, il me semble traner, comme un vaste manteau toutes les pentes et toutes les plaines et, a et l piques, les lumires de mes demeures la faon d'toiles d'or. Je plie, lourd de mes dons, comme un arbre.

Mon peuple endormi: je vous bnis, dormez encore.

Que le soleil tarde de vous tirer hors de la nuit tendre! Que ma cit ait le droit de reposer encore avant d'essayer dans le petit jour ses lytres pour le travail. Que ceux que le mal a frapps hier, et qui usent du sursis de Dieu, attendent encore avant de reprendre en charge le deuil ou la misre ou la condamnation ou la lpre qui vient d'clore. Qu'ils demeurent encore dans le sein de Dieu, tous pardonnes, tous accueillis.

C'est moi qui vous prendrai en charge.

Je vous veille, mon peuple: dormez encore.

XLVI

Pesa sur mon cur le poids du monde comme si j'en avais la charge. Dans la solitude, m'appuyant contre un arbre et croisant les bras sur ma poitrine dans le vent du soir, je reus en otage ceux qui avaient besoin de trouver en moi leur signification, l'ayant perdue. Ainsi a perdu sa signification la simple mre dont l'enfant meurt. Elle se tient l devant le trou comme un pass dsormais inutile. Elle tait devenue fort de lianes autour d'un arbre florissant qui soudain n'est plus qu'arbre mort. Et que ferai-je, se dit-elle, de mes lianes? Et que ferai-je de mon lait quand il monte?

Et celui-l que touche la lpre comme un feu lent et qui se trouve tranch d'avec la communaut des hommes et qui ne sait quoi faire des lans de son cur, lesquels furent en lui lentement exercs. Ou bien tel que tu connais et qui habite son propre cancer et qui avait commenc mille travaux qui exigeaient de lui qu'il vct longtemps, semblable un arbre qui et patiemment install tout le rseau de ses racines et se dcouvre soudain le centre de prolongements inutiles, comme en porte faux sur le monde. Ou celui-l dont la grange a brl, ou le ciseleur qui perd sa main droite. Ou tout homme dont s'teignent les yeux.

Pesa sur mon cur le poids de tous ceux qui ne savent point trouver d'paule. Refuss par les leurs ou tranchs d'avec eux. Et celui-l qui sur son grabat, nud de souffrances, tourne et retourne un corps plus inutile dsormais qu'un chariot bris, et appelant la mort peut-tre, mais refus par la mort. Et criant: A quoi bon, Seigneur! A quoi bon!

Et ce sont l soldats d'une arme dfaite. Mais moi je les rassemblerai et les mnerai vers leur victoire. Car il est pour toutes les armes des victoires, bien que diffrentes. Car voici qu'ils ne sont, parmi d'autres, qu'une dmarche de la vie. La fleur qui se fane lche sa graine, la graine qui pourrit fonde sa tige, et de toute chrysalide qui se brise sortent des ailes.

Ah! vous tes terreau et nourriture et vhicule pour la superbe ascension de Dieu!

XLVII

N'avez-vous point honte, leur ai-je donc dit, de vos haines, de vos divisions, de vos colres? Ne tendez pas le poing cause du sang vers hier, car si vous sortez renouvels de l'aventure, comme l'enfant du sein dchir ou l'animal ail et embelli des dchirements de sa chrysalide, qu'allez-vous saisir cause d'hier au nom de vrits qui se sont vides de leur substance? Car ceux qui en viennent aux mains et se dchirent, je les ai toujours compars, instruit par l'exprience, l'preuve sanglante de l'amour. Et le fruit qui natra n'est ni de l'un ni de l'autre mais des deux. Et il domine ces deux-l. Et ils se rconcilieront en lui, jusqu'au jour o eux-mmes, la gnration nouvelle subiront l'preuve sanglante de l'amour.

Ils souffrent certes des horreurs de l'enfantement. Mais l'horreur passe, vient l'heure de la fte. Et l'on se retrouve dans le nouveau-n. Et voyez-vous, lorsque la nuit vous prend et vous endort, vous tes tous semblables les uns aux autres. Et je l'ai dit de ceux-l mmes dans les prisons qui portent leur collier de condamns mort: ils ne diffrent point des autres. Il importe simplement qu'ils se retrouvent dans leur amour. Je pardonnerai tous d'avoir tu car je refuse de distinguer selon les artifices de langage. Celui-ci a tu par amour des siens, car on ne joue sa vie que pour l'amour. Et l'autre aussi avait tu par amour des siens. Sachez le reconnatre et renoncez dnommer erreur le contraire de vos vrits, et vrit le contraire de l'erreur. Car l'vidence qui saisit et vous contraint de gravir votre montagne, sachez qu'elle aussi a saisi l'autre qui gravit galement sa montagne. Et qu'il est gouvern par la mme vidence que celle qui vous a fait lever dans la nuit. Non la mme peut-tre, mais aussi forte.

Mais vous ne savez voir de cet homme que ce qui nie l'homme que vous tes. Et lui, de mme, ne sait lire en vous que ce qui le nie. Et chacun sait bien qu'il est autre chose en soi-mme que ngation glaciale, ou haineuse, mais dcouverte d'un visage si vident, simple et pur, qu'il vous fait, pour lui accepter la mort. Ainsi vous hassez-vous l'un et l'autre d'inventer un adversaire menteur et vide. Mais moi qui vous domine, je vous dis que vous aimez le mme visage quoique mal reconnu et mal dcouvert.

Lavez-vous donc de votre sang: on ne btit rien sur l'esclavage sinon les rvoltes d'esclaves. On ne tire rien de la rigueur s'il n'est point de pentes vers la conversion. Si la foi offerte ne vaut rien, et s'il est pente vers la conversion, alors quoi bon la rigueur?

Pourquoi, le jour venu, userez-vous donc de vos armes? Que gagnerez-vous ces gorgements o vous ignorez qui vous tuez? Je mprise la foi rudimentaire qui ne concilie que les geliers.

Je te dconseille donc la polmique. Car elle ne mne rien. Et ceux qui se trompent en refusant tes vrits au nom de leur propre vidence, dis-toi qu'ainsi, au nom de ta propre vidence, si tu polmiques contre eux, tu refuses leur vrit.

Acceptes-les. Prends-les par la main et guide-les. Disleur: Vous avez raison, gravissons cependant la montagne et tu tablis l'ordre dans le monde et ils respirent sur l'tendue qu'ils ont conquise.

Car il ne s'agit point de dire: Cette ville est de trente mille habitants quoi l'autre te rpondrait: Elle n'est que de vingt-cinq mille, car en effet tous s'accordaient sur un nombre. Et il en est donc un qui se tromperait. Mais: Cette ville est opration d'architecte et stable. Navire qui emporte les hommes. Et l'autre: Cette ville est cantique des hommes dans le mme travail

Car il s'agit de dire: Est fertile la libert qui permet la naissance de l'homme et les contradictions nourrissantes. Ou: Pourrissante est la libert mais fertile la contrainte qui est ncessit intrieure et principe du cdre. Et les voil qui versent leur sang l'un contre l'autre. Ne le regrette point car voici douleur de l'accouchement et torsion contre soi-mme et appel Dieu. Dis-leur donc chacun: Tu as raison. Car ils ont raison. Mais mne-les plus haut sur leur montagne, car l'effort de gravir, qu'ils refuseraient par eux-mmes tant il exige de la part des muscles et du cur, voil que leur souffrance les y oblige et leur en donne le courage. Car tu fuis en hauteur si les perviers te menacent. Car tu cherches en hauteur le soleil si tu es arbre. Et tes ennemis collaborent avec toi car il n'est point d'ennemi dans le monde. L'ennemi te limite donc, te donne ta forme et te fonde. Et tu leur dis: Libert et contrainte sont deux aspects de la mme ncessit qui est d'tre celui-l et non un autre. Libre d'tre celui-l, non libre d'tre un autre. Libre dans un langage. Mais non libre d'y mlanger un autre. Libre dans les rgles de tel jeu de ds. Mais non libre de les pourrir en en rompant les rgles par celles d'un autre jeu. Libre de btir mais non de piller et de dtruire par leur usage mal dirig la rserve mme de tes biens, comme celui-l qui crit mal et tire ses effets de ses licences, dtruisant ainsi son propre pouvoir d'expression, car nul ne ressentira plus rien le lire quand il aura dtruit le sens du style chez les hommes. Ainsi de l'ne que je compare au roi et qui fait rire tant que le roi est respectable et respect. Puis vient le jour o il s'identifie l'ne. Et je ne prononce plus qu'une vidence.