Et moi, ne me gnent point ces divisions pour logiciens. Car celui-l que je combats dans mon dsert et enveloppe dans ma haine, j'y ai toujours trouv le meilleur exercice de l'me. Nous marchons, redoutables, l'un contre l'autre, avec amour.
LX
Me vinrent des rflexions sur la vanit. Car toujours elle m'apparut non comme un vice mais comme une maladie. Et celle-l que j'ai vue s'mouvoir de l'opinion de la foule, et se corrompre dans sa dmarche et dans sa voix cause qu'elle devenait spectacle, et tirait des satisfactions extraordinaires de paroles prononces son propos, celle-l dont la joue se chargeait de feu parce qu'on la regardait, j'y voyais autre chose que stupidit: mais maladie. Car comment tirer satisfaction d'autrui si ce n'est par amour et don autrui? Et cependant la satisfaction qu'elle tire de sa vanit lui apparat plus chaleureuse que celle qu'elle tire des biens, puisqu'elle paierait pour ce plaisir au dtriment de ses autres plaisirs.
Maigre joie et malheureuse, comme d'une tare. Comme de celui-l qui se gratte, si quelque chose le dmange, et en prouve du plaisir. La caresse au contraire est abri et demeure. Cet enfant, si je le caresse, c'est pour le protger. Et il en reoit le signe sur le velout du visage.
Mais toi, vaniteuse, caricature!
Ceux-l, les vaniteux, je dis qu'ils ont cess de vivre. Car qui s'change contre plus grand que soi s'il exige d'abord de recevoir? Celui-l ne crotra plus, rabougri pour l'ternit.
Cependant ce guerrier courageux, si je le flicite, voil qu'il s'meut et qu'il tremble comme l'enfant de ma caresse. Et il n'y a point l vanit.
Qu'est-ce qui touche l'un et qu'est-ce qui touche l'autre? Et en quoi diffrent-ils?
La vaniteuse, si elle s'endort
Vous ne connatrez point le mouvement de la fleur qui se secoue dans le vent de toutes ses graines, lesquelles ne lui seront point rendues.
Vous ne connatrez point le mouvement de l'arbre qui livre ses fruits, lesquels ne lui seront point rendus.
Vous ne connatrez point la jubilation de l'homme qui livre son uvre, laquelle ne lui sera point rendue.
Vous ne connatrez point la ferveur de la danseuse qui livre une danse, laquelle ne lui sera point rendue.
Et de mme du guerrier qui livre sa vie. Et si je l'en flicite c'est qu'il a bti sa passerelle. Je lui apprends qu'il s'est renonc dans tous les hommes. Et le voil content non de soi mais des hommes.
Mais le vaniteux, caricature. Et je ne demande point la modestie car j'aime l'orgueil qui est existence et permanence. Si tu es modeste tu cdes au vent comme la girouette. Puisque l'autre a plus de poids que toi-mme.
Je te demande de vivre non de ce que tu reois mais de ce que tu donnes, car cela seul t'augmente. Et cela ne te commande point de mpriser ce que tu donnes. Tu dois former ton fruit. Et c'est l'orgueil qui prside sa permanence. Sinon tu le changerais, au gr des vents, de couleur, de saveur et d'odeur!
Mais qu'est-ce qu'un fruit pour toi? Ton fruit ne vaut que s'il ne peut t'tre rendu.
Celle-l sur son lit de parade et vivant des acclamations de la populace: Je donne ma beaut et ma grce et la majest de ma dmarche, et les hommes admirent mon passage, lequel est nef merveilleuse de la destine. Et je n'ai qu' tre pour donner.
La vanit dcoule du don faux et qui se trompe. Car tu ne peux donner que ce que tu transformes, comme l'arbre donne les fruits qu'il a transforms de la terre. La danseuse la danse qu'elle a transforme de sa marche. Et le soldat son sang qu'il change en temple ou en empire.
Mais la chienne en chaleur n'est rien. Malgr que les chiens l'entourent et la sollicitent. Car ce qu'elle donne, elle ne l'a point transform. Et sa joie est vole la joie de la cration. Elle se rpand sans effort dans les dsirs des chiens.
Et celui-l qui veille l'envie et qui en hume l'arme. Heureux s'il est envi.
Caricature du don. Et il se lve pour prendre la parole dans les banquets. Il plie vers les convives comme l'arbre lourd de ses fruits. Mais les convives n'ont rien cueillir.
Mais il en est toujours qui croient cueillir car ils sont plus sots que le premier, et s'estiment honors par lui. Et s'il le sait, le vaniteux, il croit qu'il a donn puisque le convive a reu. Et ils se balancent l'un devant l'autre comme deux arbres striles.
La vanit est absence d'orgueil, soumission la populace, humilit ignoble. Mais tu cherches la populace pour qu'elle te fasse croire tes fruits.
Ou celui-l qu'ennoblit le sourire du roi: Il me connat donc, dira-t-il. Mais s'il tait en lui amour du roi, il rougirait de plaisir sans en rien dire. Car ce sourire du roi n'aurait pour lui qu'un sens: Le roi accepte le sacrifice de ma vie Et toute sa vie d'un coup est comme donne et change contre la majest d'un roi. J'ai contribu, pourrait-il dire, la beaut du roi qui est beau d'tre l'orgueil d'un peuple.
Mais le vaniteux envie le roi. Et si le roi lui a souri il se drape dans ce sourire et se promne comme une caricature pour tre envi son tour. Le roi lui a prt sa pourpre. Car il n'est l qu'imitation et me de singe.
LXI
Ceux-l sont ns de la morale que t'ont enseigne les marchands, lesquels veulent placer leurs marchandises. Tu crois que ta joie vient de recevoir et d'acheter, comment te souviendrais-tu du contraire quand on a fait tellement d'efforts pour te crer des liens avec l'objet?
Et certes l'objet est grand quand tu te donnes lui. Quand tu as essay d'changer ton travail contre la lumire de la pierre. Car elle peut tre religion. Et j'ai connu cette courtisane qui changeait contre des perles incorruptibles sa chair prissable. Je ne mprise point un tel culte. Mais l'objet est bas quand tu te le soumets comme un encensoir. Car en vrit il n'est rien ' en toi encenser.
Cependant je donne un jouet l'enfant et il s'enfuit avec son trsor de peur que je le lui reprenne. Mais c'est qu'il s'agit d'une idole pour laquelle ds les premires ronces il saignera.
LXII
Et j'ai song sur l'absolu et le difficile que la pyramide ne descende pas de Dieu vers les hommes. Car tu prends le chef de l'empire: s'il est absolument le chef tu l'acceptes comme ncessit naturelle, de mme que si tu veux te rendre de la salle du Conseil la salle du repos dans l'paisseur du palais de mon pre, tu empruntes cet escalier et non un autre, pousses cette porte et non une autre, et comment regretterais-tu de ne point choisir un autre chemin puisqu'il ne s'en prsente aucun ton esprit? Et de mme qu'il n'y a point soumission, lchet ou bassesse te rsoudre ce circuit et que tu le parcours dans la libert de ta dmarche, ainsi n'y a-t-il point soumission, lchet ou bassesse te soumettre l'autorit du chef de l'empire, laquelle est, simplement, hors de l'arbitraire, comme absolue. Mais si tu te trouves tre aprs lui le premier dans l'empire, et s'il se trouve que sa puissance sur toi ne soit point cadre ncessaire, mais hasard de la politique, fruit de jugements particuliers et discutables, ou russite habile, alors te voil qui l'envieras. Car n'est jalous que celui-l auquel on et pu tre substitu. Quel ngre jalouse le Blanc? Quel homme vritablement jalouse l'oiseau, de cette jalousie qui forme la haine car elle cherche dtruire pour remplacer? Et certes je ne critique point ton ambition quand elle peut se manifester car elle peut tre marque du dsir de crer. Mais je critique ta jalousie. Car te voil qui intrigueras contre lui et, absorb dans tes intrigues, en ngligeras la cration qui est d'abord collaboration merveilleuse de l'un travers tous. Car te voil qui, l'ayant jug, le mpriseras. Car tu admets sans difficult qu'un autre le puisse emporter sur toi par le pouvoir, mais comment admettrais-tu qu'il l'emporte par le jugement ou l'quit ou la noblesse de cur? Et si tu le mprises qui te paiera de ton travail par l'expression de son estime? Elle est injure, l'estime qui vient de qui tu mprises. Et les relations entre les hommes t'appa-ratront irrespirables.