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Mais avant tout, s'il te donne un ordre il t'humilie et lui-mme pensera t'humilier pour asseoir mieux son rgne. Alors que celui-l seul peut prendre son repas galit en face de toi, t'interroger, admirer ton savoir et se rjouir de tes vertus, qui est matre comme le mur est mur sans qu'il y ait mme lieu pour lui de s'en rjouir puisque simplement cela est.

Ainsi je vais et je puis m'asseoir la table du plus humble de mes sujets. Et il essuie la table, pose le rchaud sur la braise, tout illumin par ma prsence. Et quelle pierre de l'difice reprocherait la clef de vote d'tre clef de vote? Et comment la clef de vote mpriserait-elle aucune des pierres? Nous voil assis l'un en face de l'autre galit. La seule galit qui ait une signification. Car si je l'interroge sur son champ ce n'est point bassement pour me le concilier par la mise en jeu de sa vanit je n'ai point besoin de son suffrage mais pour m'instruire. Car celui-l quand il questionne, s'il ne s'intresse point la question c'est qu'il mprise. Et si l'autre s'en aperoit il tte son couteau contre son flanc. Mais moi je voulais connatre le poids d'olives d'un olivier, et je l'ai demand pour recevoir.

Car j'ai rendu visite l'homme. Et j'ai got l'accueil de l'homme. Et l'homme aussi a reu de moi et montrera ses arrire-petits-enfants la place o je me suis assis.

Et mieux encore, car mon pouvoir n'est point en cause, et je n'ai pas freiner ou acclrer mes dmarches pour des mobiles sans grandeur, je puis prouver la reconnaissance. Et s'il me sourit et m'honore et grille le mouton pour me recevoir, je reois quelque chose qui vient de l'homme, quelque chose galit comme il le recevrait de moi. Les dons tirs comme des flches me peuvent atteindre au cur. Ainsi de l'image de Dieu qui reoit tes plus humbles penses et tes actes les plus fugitifs, comme la prire du midi du simple mendiant dans son dsert, tandis que le petit prince discutable, s'il te vient au cur de l'honorer, il te faut inventer un cadeau norme car c'est l'normit de ton cadeau qu'il mesurera sa gloire.

Mais voici que l'autre, s'il tourne la manivelle grinante pour remonter le seau du fond du puits, puis le bascule sur la margelle en riant de l'humble victoire puis pench le charrie vers moi dans le soleil jusqu' l'ombre du mur o j'attends et qu'il remplit mon verre de cette rserve de fracheur, il me baigne de son amour.

LXIII

Me vint le grand exemple des courtisanes et de l'amour. Car si tu crois aux biens matriels pour eux-mmes tu te trompes. Car de mme qu'il n'est de paysage entrevu du haut des montagnes qu'autant que tu l'auras toi-mme construit par l'effort de ton ascension, ainsi de l'amour. Car rien n'a de sens en soi, mais, de toute chose, le sens vritable est structure. Et ton visage de marbre n'est point somme d'un nez, d'une oreille, d'un menton et d'une autre oreille mais musculature qui les noue. Poing ferm qui retient quelque chose. Et l'image du pome ne rside ni dans l'toile ni dans le chiffre sept ni dans la fontaine, mais dans le seul nud que je compose en obligeant mes sept toiles de se baigner dans la fontaine. Et certes il faut des objets relis pour que la liaison se montre. Mais son pouvoir ne rside point dans les objets. Ce n'est ni dans le fil ni dans le support ni dans aucune de ses parties que rside le pige renards, mais dans un assemblage qui est cration, et le renard tu l'entends crier car il est pris. Ainsi moi le chanteur ou le sculpteur ou le danseur, je saurai te prendre mes piges.

Et ainsi de l'amour. Qu'as-tu attendre de la courtisane? Sinon repos de la chair aprs conqute des oasis. Car elle n'exige rien de toi et ne t'oblige point d'tre. Et ta reconnaissance dans l'amour quand tu dsires voler au secours de ta bien-aime, c'est qu'ait t sollicit de toi l'archange qui y dormait.

Ce n'est point la facilit qui fait la diffrence, car celle-l que tu aimes, si elle t'aime, il te suffit d'ouvrir les bras pour l'y recevoir. La diffrence rside dans le don. Car il n'est point de don possible la courtisane, puisque, ce que tu lui apportes, elle le considre d'avance comme tribut.

Et si l'on t'impose le tribut tu discuteras cette charge. Car c'est le sens ici de la danse qui est danse. Et l'arme qui s'est distribue le soir dans le quartier rserv de la ville, avec sa pauvre solde en poche, laquelle il faut faire durer, marchande et achte l'amour, comme une nourriture. Et de mme que la nourriture la fait disponible pour une nouvelle marche dans le dsert, l'amour achet lui fait une chair calme, disponible pour la solitude. Mais ils sont tous changs en boutiquiers et n'en prouvent point de ferveur.

Car pour donner la courtisane il faudrait tre plus riche qu'un roi, car ce que tu lui apportes elle s'en remercie elle-mme d'abord et se flatte de sa russite et s'honore soi-mme d'tre si habile et si belle qu'elle ait tir de toi cette ranon. Et, dans ce puits sans fond, tu peux verser le chargement de mille caravanes d'or sans avoir commenc de donner. Car il faut quelqu'un pour recevoir.

C'est pourquoi mes guerriers, de la main au dos des oreilles, caressent le soir les renards des sables qu'ils ont capturs, et vaguement prouvent l'amour, ayant l'illusion de donner au petit animal sauvage, et ivres de reconnaissance s'il vient se blottir contre leur cur.

Mais dans le quartier rserv cherche-moi donc une courtisane qui par besoin de toi se serre contre ton paule?

Cependant il arrive que l'un de mes hommes, ni plus riche ni moins riche qu'un autre, considre son or comme ces graines que l'arbre dsire jeter au vent, car il mprise les provisions, tant soldat.

Et celui-l se promne la nuit autour des bouges dans la splendeur de sa magnificence. Comme celui qui va semer l'orge marche grands pas vers la terre carlate qui est digne de recevoir.

Et mon soldat dilapide ses richesses, n'ayant point dsir de se les garder, et il est seul connatre l'amour. Et peut-tre bien qu'il le rveille aussi en elles, car il est dans ici une autre danse et dans cette danse-l elles reoivent.

Je te le dis, la grande erreur est d'ignorer que recevoir est bien autre chose qu'accepter. Recevoir est d'abord un don, celui de soi-mme. Avare non pas celui qui ne se ruine pas en prsents, mais celui qui ne donne point la lumire de son propre visage en change de ton offrande. Avare la terre qui ne s'embellit point quand tu y as jet tes graines.

Courtisanes et guerriers ivres font quelquefois de la lumire.

LXIV

S'installrent alors les pillards dans mon empire. Car personne n'y crait plus l'homme. Et le visage pathtique n'y tait plus masque mais couvercle d'une bote vide.

Car ils sont alls de destruction d'tre en destruction d'tre. Et je ne vois rien, dsormais, chez eux qui mrite que l'on meure. Donc que l'on vive. Car ce pour quoi tu acceptes de mourir c'est cela seul dont tu peux vivre. Ils consommaient donc les vieilles constructions, se rjouissant du bruit de la chute des temples. Et cependant ces temples, s'ils s'effondraient, ne laissaient rien en change. Ils dtruisaient donc leur propre pouvoir d'expression. Et ils dtruisaient l'homme.

Ou bien tel se trompait sur la joie. Car d'abord il avait dit: Le village. Et ses rsistances et ses coutumes et ses rites obligatoires. Il en tait n un village fervent. Aprs quoi il l'a confondu. Et il a voulu faire sa joie, non d'une structure devenue et lentement ptrie, mais de l'installation dans quelque chose qui ft provision, comme le pome. Et l'espoir est vain.

Ainsi ceux qui ayant regard l'homme comme grand souhaitaient pour lui la libert. Car ils ont vu les contraintes brimer l'homme fort. Et certes l'ennemi qui te fonde, en mme temps te limite. Mais supprime l'ennemi et tu ne peux mme pas natre.