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Donc revinrent les hommes d'armes avec leurs madrpores aveugls par la lumire dure du poste de garde. Et mon pre me les montra:

Je vais t'enseigner, me dit-il, ce qui d'abord nous gouverne.

Il les fit habiller d'toffes neuves et installa chacune d'elles dans une maison frache orne d'un jet d'eau et leur fit remettre comme ouvrage de fines dentelles broder. Et il les fit payer de faon qu'elles gagnassent deux fois plus qu'elles n'avaient gagn. Puis il interdit qu'on les surveillt.

Certes, ces moisissures tristes d'un marais, les voil heureuses, me dit-il. Et propres et calmes et rassures

Et cependant l'une aprs l'autre disparut et revint au cloaque.

Car, me dit mon pre, c'est leur misre qu'elles ont pleure. Non par got stupide de la misre contre le bonheur, mais parce que l'homme va d'abord vers sa propre densit. Et il se trouve que la maison dore et la dentelle et les fruits frais sont rcration et jeu et loisir. Mais qu'elles n'en pouvaient faire leur existence, et qu'elles s'ennuyaient. Car long est l'apprentissage de la lumire, de la propret et de la dentelle, s'il doit cesser d'tre spectacle rafrachissant pour se transformer en rseau de liens et en obligation et en exigence. Elles recevaient mais ne donnaient rien. Et voil qu'elles ont regrett, non parce qu'amres, mais quoique amres, les heures lourdes de leurs attentes et le regard pos sur le carr noir de la porte o d'heure en heure s'encadre un cadeau de la nuit, ttu et plein de haine. Elles ont regrett le lger vertige qui les remplissait d'un poison vague, quand le soldat ayant pouss la porte, les regardait, comme on regarde la bte marque, fixant des yeux la gorge Car il arrivait que l'un d'eux trouait l'une d'elles comme une outre d'un poignard qui fait le silence, afin de dterrer, sous quelques briques, ou quelques tuiles, les pices d'argent de leur capital.

Voici qu'elles regrettaient le bouge sordide o elles se retrouvaient entre elles, l'heure o le quartier rserv se ferme enfin selon l'ordre des ordonnances et o, buvant leur th ou calculant leur gain, elles s'injuriaient l'une l'autre et se faisaient prdire l'avenir dans le creux de leurs mains obscnes. Et peut-tre leur prdisait-on cette mme maison et ces fleurs grimpantes habites alors par plus dignes qu'elles. Et le merveilleux d'une telle maison construite en rve est qu'elle abrite, au lieu de soi, un soi-mme transfigur. Ainsi du voyage qui te doit changer. Mais si je t'enferme dans ce palais, c'est toi qui y tranes tes vieux dsirs, tes vieilles rancurs, tes vieux dgots, c'est toi qui y boites si tu boitais, car il n'est point pour te transfigurer de formule magique. Je ne puis que lentement, force de contraintes et de souffrances, t'obliger de muer pour te faire devenir. Mais celle-l n'a point mu qui se rveille dans ce cadre simple et pur et qui y bille et qui, n'tant plus menace par les coups, rentre sans objet dsormais la tte dans les paules quand on frappe la porte, et qui, si l'on frappe encore, espre galement sans objet car il n'est plus de cadeaux de la nuit. N'tant plus lasses de leurs nuits ftides elles ne gotent plus la dlivrance du petit jour. Leur destine peut tre dsormais souhaitable mais elles y ont perdu de possder au gr de prdictions changeantes une destine pour chaque soir, vivant ainsi dans l'avenir une vie plus merveilleuse qu'il n'y en eut jamais. Et voici qu'elles ne savent plus quoi faire de leurs brusques colres, fruits d'une vie sordide et malsaine, mais qui leur reviennent malgr elles, comme ces animaux retirs des rivages ces contractions qui les ferment longtemps encore sur eux-mmes l'heure des mares. Quand ces colres leur viennent il n'est plus d'injustice contre quoi crier et les voil tout coup semblables ces mres d'un enfant mort en qui remonte un lait qui ne servira point.

Car l'homme, je te le dis, cherche sa propre densit et non pas son bonheur.

LXIX

Me vint encore l'image du temps gagn, car je demande: Au nom de quoi? Et voici que l'autre me rpond: Au nom de sa culture. Comme si elle pouvait tre exercice vide. Et voici que celle-l qui allaite ses enfants, nettoie sa maison et coud son linge, on la dlivre de ces servitudes et dsormais sans qu'elle s'en mle, ses enfants sont allaits, sa maison lustre, son linge cousu. Voil maintenant que ce temps gagn il faut le remplir de quelque chose. Et je lui fais entendre la chanson de l'allaitement et l'allaitement devient cantique, et le pome de la maison qui fait peser la maison sur le cur. Mais voici qu'elle bille l'entendre car elle n'y a point collabor. Et de mme que la montagne pour toi c'est ton exprience des ronces, des pierres qui boulent et du vent sur les crtes, et que je ne transporte rien en toi en prononant le mot montagne, si tu n'as jamais quitt ta litire, je ne dis rien pour elle en lui parlant maison car la maison n'est point faite de son temps ni de sa ferveur. Elle n'en a point got le jeu de la poussire, quand on ouvre la porte au soleil pour en balayer au jour levant la poudre de l'usure des choses, elle n'a point rgn sur le dsordre qu'a fait la vie, quand vient le soir, la trace des tendres passages et les cuelles sur le plateau et la braise teinte dans l'tre, jusqu'aux langes souills de l'enfant endormi, car la vie est humble et merveilleuse. Elle ne s'est point leve avec le soleil pour elle-mme chaque jour se rebtir une maison neuve, comme les oiseaux que tu as observs dans l'arbre, et qui se refont d'un bec agile des plumes lustres, elle n'a point de nouveau dispos les objets dans leur perfection fragile afin que de nouveau la vie de la journe et les repas et les allaitements et les jeux des enfants et le retour de l'homme y laissent une empreinte dans la cire. Elle ne sait point qu'une maison est pte dans l'aube pour devenir le soir livre de souvenirs. Elle n'a jamais prpar la page blanche. Et que lui diras-tu quand tu lui parleras maison qui ait un sens pour elle?

Si tu veux la crer vivante, tu l'emploieras lustrer une aiguire de cuivre terni afin que quelque chose d'elle luise le long du jour dans la pnombre, et, pour faire de la femme un cantique, tu inventeras peu peu pour elle une maison rebtir dans l'aube

Sinon, le temps que tu gagneras n'aura point de sens.

Fou celui-l qui prtend distinguer la culture d'avec le travail. Car l'homme d'abord se dgotera d'un travail qui sera part morte de sa vie, puis d'une culture qui ne sera plus que jeu sans caution, comme* la niaiserie des ds que tu jettes, s'ils ne signifient plus ta fortune et ne roulent plus tes esprances. Car il n'est point de jeu de ds mais jeu de tes troupeaux, de tes pturages, ou de ton or. Ainsi de l'enfant qui btit son pt de sable. Il n'est point ici poigne de terre, mais citadelle, montagne ou navire.

Certes, j'ai vu l'homme prendre avec plaisir du dlassement. J'ai vu le pote dormir sous les palmes. J'ai vu le guerrier boire son th chez les courtisanes. J'ai vu le charpentier goter sur son porche la tendresse du soir. Et certes, ils semblaient pleins de joie. Mais je te l'ai dit: prcisment parce qu'ils taient las des hommes. C'est un guerrier qui coutait les chants et regardait les danses. Un pote qui rvait sur l'herbe. Un charpentier qui respirait l'odeur du soir. C'est ailleurs qu'ils taient devenus. La part importante de la vie de chacun d'entre eux restait bien la part de travail. Car ce qui est vrai de l'architecte, qui est un homme et qui s'exalte et prend sa pleine signification quand il gouverne l'ascension de son temple et non quand il se dlasse jouer aux ds, est vrai de tous. Le temps gagn sur le travail, s'il n'est point simple loisir, dtente des muscles aprs l'effort ou sommeil de l'esprit aprs l'invention, n'est que temps mort. Et tu fais de la vie deux parts inacceptables: un travail qui n'est qu'une corve quoi l'on refuse le don de soi-mme, un loisir qui n'est qu'une absence.

Bien fous ceux qui prtendent arracher les ciseleurs la religion de la ciselure et, les parquant dans un mtier qui n'est plus nourriture pour leur cur, prtendant les faire accder l'tat d'homme en leur fournissant ciselures fabriques ailleurs, comme si l'on s'habillait d'une culture comme d'un manteau. Comme s'il tait des ciseleurs et des fabricants de culture.