Car la danse est une destine et dmarche travers la vie. Mais je te dsire fonder et animer vers quelque chose, pour m'mouvoir de ta dmarche. Car si tu veux franchir le torrent et que le torrent s'oppose ta marche, alors tu danses. Car si tu veux courir l'amour et que le rival s'oppose ta marche, alors tu danses. Et il est danse des pes si tu veux faire mourir. Et il est danse du voilier sous sa cornette s'il lui faut user, pour gagner le port vers lequel il penche, et choisir dans le vent d'invisibles dtours.
Il te faut l'ennemi pour danser, mais quel ennemi t'honorerait de la danse de son pe s'il n'est personne en toi?
Cependant la danseuse s'tant pris le visage dans les mains se fit pathtique pour mon cur. Et j'y vis un masque. Car il est des visages faussement tourments dans la parade des sdentaires, mais ce sont couvercles de botes vides. Car il n'est rien en toi si tu n'as rien reu. Mais celle-l, je la reconnaissais comme dpositaire d'un hritage. Il tait en elle ce noyau dur qui rsiste au bourreau lui-mme, car le poids d'une meule n'en ferait point sourdre l'huile du secret. Cette caution pour laquelle on meurt et qui fait que l'on sait danser. Car il n'est d'homme que celui-l que le cantique a embelli ou le pome ou la prire et qui est construit l'intrieur. Son regard se pose sur toi avec clart car il est d'un homme habit. Et si tu prends l'empreinte de son visage elle devient masque dur de l'empire d'un homme. Et tu connais de celui-l qu'il est gouvern et qu'il dansera contre l'ennemi. Mais que sauras-tu de la danseuse si elle n'est qu'une contre vide? Car il n'est point de danse du sdentaire. Mais l o la terre est avare, o la charrue accroche aux pierres, o l't trop dur sche les moissons, o l'homme rsiste aux barbares, o le barbare crase le faible, alors nat la danse cause du sens de chacun des pas. Car la danse est lutte contre l'ange. La danse est guerre, sduction, assassinat et repentir. Et quelle danse tirerais-tu de ton btail trop bien nourri?
LXXI
J'interdis aux marchands de vanter trop leurs marchandises. Car ils se font vite pdagogues et t'enseignent comme but ce qui n'est par essence qu'un moyen, et te trompant ainsi sur la route suivre les voil bientt qui te dgradent, car si leur musique est vulgaire ils te fabriquent pour te la vendre une me vulgaire. Or, s'il est bon que les objets soient fonds pour servir les hommes, il serait monstrueux que les hommes fussent fonds pour servir de poubelles aux objets.
LXXII
Mon pre disait:
Il faut crer. Si tu en possdes le pouvoir ne te proccupe point d'organiser. Il natra cent mille serviteurs qui serviront ta cration sur laquelle ils prendront comme vers sur la viande. Si tu fondes ta religion ne te proccupe point du dogme. Il natra cent mille commentateurs qui se chargeront de le btir. Crer, c'est crer l'tre et toute cration est inexprimable. Si je dbarque un soir dans ce quartier de ville qui est gout qui plonge vers la mer, ce n'est pas moi d'inventer l'gout, les champs d'pandage et les services de voirie. J'apporte l'amour du seuil lustr, et naissent autour de cet amour les laveurs de trottoirs, les ordonnances de police et les ramasseurs de poubelles. N'invente pas un univers non plus o, par la magie de tes ordonnances, le travail au lieu de l'abrutir grandisse l'homme, o la culture naisse du travail et non du loisir. Tu ne vas point contre le poids des choses. C'est le poids des choses qu'il faut changer. Or cet acte est pome ou ptrissement du sculpteur ou cantique. Et si tu chantes assez fort le cantique du travail noble qui est sens de l'existence, contre le cantique du loisir qui relgue le travail au rang de l'impt et morcelle la vie de l'homme en travail d'esclave et loisir vide, ne te proccupe point des raisons et de la logique et des ordonnances particulires. Ils viendront, les commentateurs, expliquer pourquoi ton visage est beau et comment il se doit construire. Ils pencheront dans cette direction et sauront bien argumenter pour te dmontrer qu'elle est la seule. Et cette pente fera que les ordonnances t'accompliront et que ta vrit deviendra.
Car seule compte la pente et la direction et la tendance vers. Car celle-l seule est force de mare qui, peu peu, sans l'intelligence des logiciens, dissout les digues et fonde plus loin l'empire de la mer. Je te le dis: toute image forte devient. Ne te proccupe point d'abord des calculs, des textes de lois et des inventions. N'invente point une cit future, car celle-l qui natra ne saurait point lui ressembler. Fonde l'amour des tours qui dominent les sables. Et les esclaves des esclaves de tes architectes dcouvriront bien comment russir le charroi des pierres. Comme l'eau dcouvre, parce qu'elle penche vers le bas, comment tromper la vigilance des citernes.
C'est pourquoi, m'expliquait mon pre, la cration demeure invisible comme l'amour qui dans le disparate des choses exalte un domaine. Il est strile de frapper ou de dmontrer. Car tu te hrisses dans l'tonnement contre qui t'tonne, et toute dmonstration tu en opposes une qui est plus belle. Et comment dmontrerais-tu le domaine? Si tu le touches pour en parler ce n'est dj plus qu'assemblage. Si pour expliquer l'ombre et le silence du temple tu touches au temple et en dmontes les pierres, ton uvre est vaine car peine y as-tu touch, il n'est plus que pierres en vrac et non silence.
Mais je te prendrai par la main et nous cheminerons ensemble. Et, au hasard des pas, nous aurons gravi la colline. L, je parlerai sur le mode d'une voix quelconque et je dirai des vidences que tu croiras toi-mme avoir penses. Car il se trouve que la colline que j'ai choisie cre cet ordre-ci et non un autre. La grande image ne se remarque point comme image. Elle est. Ou plus exactement tu t'y trouves. Et comment saurais-tu lutter contre? Si je t'installe dans la maison, tu habites simplement la maison et tu pars de cette origine pour juger des choses. Si je t'installe dans l'angle d'o la femme est plus belle et exalte l'amour, tu prouves simplement l'amour. Comment refuserais-tu cet amour au nom de l'arbitraire qui te tient ici en cet instant-ci et non en un autre? Il faut bien que tu sois quelque part! Et ma cration n'est qu'un choix du jour et de l'heure qui ne se discute point mais qui est. Et tu te moques bien de cet arbitraire. As-tu entendu celui que l'amour a nou se sauver de l'amour en protestant que telle rencontre fut hasard et que cette femme qui le dchire et pu tre morte ou n'tre point ne ou se trouver alors ailleurs? J'ai cr ton amour en choisissant l'heure et le lieu et, que tu souponnes ou non mon action, cela ne t'aide point te dfendre et te voil mon prisonnier.
Si je dsire fonder en toi le montagnard qui marche la nuit vers la crte d'toiles, je fonde l'image qui te rend vident que t'abreuvera seul ce lait d'toiles sur la crte. Et je n'aurai t pour toi que hasard qui t'a fait dcouvrir en toi ce besoin, car ce besoin est bien de toi, comme l'motion due au pome. Et que tu souponnes ou non mon action, quel titre cela t'empchera-t-il de marcher? Comment, ayant pouss la porte et vu dans l'ombre luire le diamant, dsirerais-tu moins t'en saisir cause qu'il est fruit d'une porte pousse qui et pu te conduire ailleurs?
Si je te couche dans un lit avec un breuvage de sommeil, ce breuvage est vrai et le sommeil. Crer, c'est situer l'autre l o il voit le monde comme l'on dsire, et non lui proposer un monde nouveau.