C'est pourquoi cette pouse disperse dans le soir je l'expurge ou je la rassemble. Je dispose autour d'elle, comme autant de frontires, le rchaud, la bouilloire, et le plateau de cuivre d'or, afin que peu peu, au travers de cet assemblage, elle dcouvre un visage reconnaissable, familier, un sourire qui n'est que d'ici. Et ce sera pour elle l'apparition lente de Dieu. L'enfant alors criera pour obtenir d'tre allait, la laine carder tentera les doigts, et la braise rclamera sa part de souffle. Ds lors elle sera capture et prte servir. Car je suis celui qui btit l'urne autour du parfum pour qu'il demeure. Je suis la routine qui comble le fruit. Je suis celui qui contraint la femme de prendre figure et d'exister, afin que plus tard je remette en son nom Dieu non ce faible soupir dispers dans le vent, mais telle ferveur, telle tendresse, telle souffrance particulire
Ainsi ai-je longtemps mdit sur le sens de la paix. Elle ne vient que des enfants ns, que des moissons faites, que de la maison enfin range. Elle vient de l'ternit o rentrent les choses accomplies. Paix des granges pleines, des brebis qui dorment, des linges plies, paix de la seule perfection, paix de ce qui devient cadeau Dieu, une fois bien fait.
Car il m'est apparu que l'homme tait tout semblable la citadelle. Il renverse les murs pour s'assurer la libert, mais il n'est plus que forteresse dmantele et ouverte aux toiles. Alors commence l'angoisse qui est de n'tre point. Qu'il fasse sa vrit de l'odeur du sarment qui grille ou de la brebis qu'il doit tondre. La vrit se creuse comme un puits. Le regard, quand il se disperse, perd la vision de Dieu. En sait plus long sur Dieu que l'pouse adultre ouverte aux promesses de la nuit, tel sage qui s'est rassembl, et ne connat rien que le poids des laines. Citadelle, je te construirai dans le cur de l'homme.
Car il est un temps pour choisir parmi les semences, mais il est un temps pour se rjouir, ayant choisi une fois pour toutes, de la croissance des moissons. Il est un temps pour la cration, mais il est un temps pour la crature. Il est un temps pour la foudre carlate qui rompt les digues dans le ciel, mais il est un temps pour les citernes o les eaux rompues vont se runir. Il est un temps pour la conqute, mais vient le temps de la stabilit des empires: moi qui suis serviteur de Dieu, j'ai le got de l'ternit.
Je hais ce qui change. J'trangle celui-l qui se lve dans la nuit et jette au vent des prophties comme l'arbre touch par la semence du ciel, quand il craque et se brise et embrase avec lui la fort. Je m'pouvante quand Dieu remue. Lui, l'immuable, qu'il se rassoie donc dans l'ternit! Car il est un temps pour la gense, mais il est un temps, un temps bienheureux, pour la coutume!
Il faut pacifier, cultiver et polir. Je suis celui qui recoud les fissures du sol et cache aux hommes les traces du volcan. Je suis la pelouse sur l'abme. Je suis le cellier qui dore les fruits. Je suis le bac qui a reu de Dieu une gnration en gage et la passe d'une rive l'autre. Dieu son tour la recevra de mes mains, telle qu'il me la confia, plus mrie peut-tre, plus sage, et ciselant mieux les aiguires d'argent, mais non change. J'ai enferm mon peuple dans mon amour.
C'est pourquoi je protge celui qui reprend la septime gnration, pour la conduire son tour vers la perfection, l'inflexion de la carne ou la courbe du bouclier. Je protge celui qui de son aeul le chanteur hrite le pome anonyme et, le redisant son tour, et son tour se trompant, y ajoute son suc, son usure, sa marque. J'aime la femme enceinte ou celle qui allaite, j'aime le troupeau qui se perptue, j'aime les saisons qui reviennent. Car je suis d'abord celui qui habite. 0 citadelle, ma demeure, je te sauverai des projets du sable, et je t'ornerai de clairons tout autour, pour sonner contre les barbares!
III
Car j'ai dcouvert une grande vrit. A savoir que les hommes habitent, et que le sens des choses change pour eux selon le sens de la maison. Et que le chemin, le champ d'orge et la courbe de la colline sont diffrents pour l'homme selon qu'ils composent ou non un domaine. Car voil tout coup cette matire disparate qui s'assemble et pse sur le cur. Et celui-l n'habite point le mme univers qui habite ou non le royaume de Dieu. Et, qu'ils se trompent, les infidles, qui rient de nous, et qui croient courir les richesses tangibles, quand il n'en est point. Car s'ils convoitent ce troupeau c'est dj par orgueil. Et les joies de l'orgueil elles-mmes ne sont point tangibles.
Ainsi de ceux qui croient le dcouvrir en le divisant, mon territoire. Il y a l, disent-ils, des moutons, des chvres, de l'orge, des demeures et des montagnes et quoi de plus? Et ils sont pauvres de ne rien possder de plus. Et ils ont froid. Et j'ai dcouvert qu'ils ressemblent celui-l qui dpce un cadavre. La vie, dit-il, je la montre au grand jour: ce n'est que mlange d'os, de sang, de muscles et de viscres. Quand la vie tait cette lumire des yeux qui ne se lit plus dans leur cendre. Quand mon territoire est bien autre chose que ces moutons, ces champs, ces demeures et ces montagnes, mais ce qui les domine et les noue. Mais la patrie de mon amour. Et les voil heureux s'ils le savent, car ils habitent ma maison.
Et les rites sont dans le temps ce que la demeure est dans l'espace. Car il est bon que le temps qui s'coule ne nous paraisse point nous user et nous perdre, comme la poigne de sable, mais nous accomplir. Il est bon que le temps soit une construction. Ainsi, je marche de fte en fte, et d'anniversaire en anniversaire, de vendange en vendange, comme je marchais, enfant, de la salle du Conseil la salle du repos, dans l'paisseur du palais de mon pre, o tous les pas avaient un sens.
J'ai impos ma loi qui est comme la forme des murs et l'arrangement de ma demeure. L'insens est venu me dire: Dlivre-nous de tes contraintes, alors nous deviendrons plus grands. Mais je savais qu'ils y perdraient d'abord la connaissance d'un visage et, de ne plus l'aimer, la connaissance d'eux-mmes, et j'ai dcid, malgr eux, de les enrichir de leur amour. Car ils me proposaient, pour s'y promener plus l'aise, de jeter bas les murs du palais de mon pre o tous les pas avaient un sens.
C'tait une vaste demeure avec l'aile rserve aux femmes et le jardin secret o chantait le jet d'eau. (Et j'ordonne que l'on fasse ainsi un cur la maison afin que l'on y puisse et s'approcher et s'loigner de quelque chose. Afin que l'on y puisse et sortir et rentrer. Sinon, l'on n'est plus nulle part. Et ce n'est point tre libre que de n'tre pas.) Il y avait aussi les granges et les tables. Et il arrivait que les granges fussent vides et les tables inoccupes. Et mon pre s'opposait ce que l'on se servt des unes pour les fins des autres. La grange, disait-il, d'abord est une grange, et tu n'habites point une maison si tu ne sais plus o tu te trouves. Peu importe, disait-il encore, un usage plus ou moins fertile. L'homme n'est pas un btail l'engrais, et l'amour, pour lui, compte plus que l'usage. Tu ne peux aimer une maison qui n'a point de visage et o les pas n'ont point de sens.
Il y avait la salle rserve aux seules grandes ambassades, et que l'on ouvrait au soleil les seuls jours o montait la poussire de sable souleve par les cavaliers, et, l'horizon, ces grandes oriflammes o le vent travaillait comme sur la mer. Celle-l, on la laissait dserte l'occasion des petits princes sans importance. Il y avait la salle o l'on rendait la justice, et celle o l'on portait les morts. Il y avait la chambre vide, celle dont nul jamais ne connut l'usage et qui peut-tre n'en avait aucun, sinon d'enseigner le sens du secret et que jamais on ne pntre toutes choses.
Et les esclaves, qui parcouraient les corridors portant leurs charges, dplaaient de lourdes tentures qui croulaient contre leur paule. Ils montaient des marches, poussaient des portes, et redescendaient d'autres marches, et, selon qu'ils taient plus prs ou plus loin du jet d'eau central, se faisaient plus ou moins silencieux, jusqu' devenir inquiets comme des ombres aux lisires du domaine des femmes dont la connaissance par erreur leur et cot la vie. Et les femmes elles-mmes: calmes, arrogantes, ou furtives, selon leur place dans la demeure.