Qu'est-ce, en comparaison de ce que tu pourrais avoir dire, les mots que tu auras vols et qui pourriront ton langage?
Car seuls sont dnommer les sommets de montagnes distingus des autres et qui te font un monde plus clair. Et il se peut que je t'apporte ainsi, si je cre, quelques vrits nouvelles dont le nom une fois formul sera comme le nom dans ton cur de quelque nouvelle divinit. Car une divinit exprime une certaine relation entre des qualits dont les lments ne sont pas neufs mais le sont devenus en elle.
Car j'ai conu. Et il est bon que je marque au fer dans ton cur le chiffre qui te peut augmenter. De peur qu'ensuite tu ne t'gares.
Mais sache que hors les clefs de vote qui me sont dcouvertes par d'autres que toi, tu ne peux rien dsigner, par les mots, qui soit de son essence et de ta vie. Et si tu me peins le ciel en rouge et la mer en bleu, je refuse d'tre mu car il te deviendrait vraiment trop ais de m'mouvoir!
Pour m'mouvoir il faut me nouer dans les liens de ton langage et c'est pourquoi le style est opration divine. C'est ta structure alors que tu m'imposes et les mouvements mmes de ta vie, lesquels n'ont point d'gaux au monde. Car si tous ont parl des toiles et de la fontaine et de la montagne, nul ne t'a dit de gravir la montagne pour boire aux fontaines d'toiles leur lait pur.
Mais s'il est par hasard un langage o ce mot soit, c'est qu'alors je n'ai rien invent et n'apporte rien qui soit vivant. Ne t'encombre point de ce mot s'il ne doit pas chaque jour te servir. Car ce sont des faux dieux ceux qui ne servent pas dans les prires de chaque soir.
Mais s'il se trouve que l'image t'illumine, alors elle est crte de montagne d'o le paysage s'ordonne. Et cadeau de Dieu. Donne-lui un nom pour t'en souvenir.
LXXXV
Me vint l'imprissable dsir de btir les mes. Et me vint la haine des adorateurs de l'usuel. Car en fin de compte si tu dis servir la ralit tu ne trouveras rien que la nourriture offrir l'homme, laquelle change peu de got selon la civilisation. (Et encore ai-je parl de l'eau qui devient cantique!)
Car ton plaisir d'tre gouverneur de province tu ne le dois qu' mon architecture, laquelle ne te sert de rien dans l'instant, mais seulement t'exalte selon l'image que j'ai fonde de mon domaine. Et les plaisirs mme de ta vanit ne sont pas dus aux objets pondrables qui dans l'instant ne te servent de rien, et dont tu ne considres que la couleur qu'ils ont dans l'clairage de mon empire.
Et celle-l qui a baign quinze ans dans les aromates et les huiles, qui furent enseigns la posie, la grce et le silence qui seul contient et qui, sous le front lisse, est patrie de fontaines, me diras-tu, parce qu'un autre corps ressemble au sien, qu'elle compose pour tes nuits le mme breuvage que la prostitue que tu paies?
Et, de ne point les distinguer sous prtexte de t'enrichir en facilitant tes conqutes, car il te cotera moins de soins de btir une prostitue que de fonder une princesse, tu t'appauvriras.
Il se peut que tu ne saches point goter la princesse, car le pome lui-mme n'est ni cadeau ni provision mais ascension de toi-mme, il se peut que tu ne sois point li par la grce du geste, de mme qu'il est des musiques auxquelles tu n'accderas point faute d'effort, mais ce n'est pas qu'elle ne vaille rien, mais que simplement tu n'existes pas.
Dans le silence de mon amour j'ai cout parler les hommes. Je les ai entendus s'mouvoir. J'ai vu luire l'acier des couteaux dans les disputes. Aussi sordides qu'ils fussent et que fussent leurs bouges, hors l'apptit de nourriture, je n'ai jamais trouv qu'ils s'animassent pour des biens qui eussent un sens hors du langage qu'ils parlaient. Car la femme pour laquelle tu dsires tuer est elle-mme toujours autre chose qu'un simple corps, mais telle patrie particulire hors de laquelle tu te dcouvres exil et sans signification. Car la bouilloire o se prpare le th du soir, voil brusquement qu'elle te manque, de perdre son sens travers elle.
Mais si dans la dmarche de ta stupidit tu t'y trompes, et de voir les hommes chrir la bouilloire du soir, tu l'honores pour elle-mme et asservis l'homme la forger, alors il n'est plus d'hommes pour l'aimer et tu as ruin l'un et l'autre.
Ainsi si tu morcelles un visage, ayant reconnu la douceur des enfants et la pit d'un lit de malade et le silence comme autour d'un autel et la grave maternit. Alors tu me feras, pour en favoriser le nombre, des curies ou des tables et tu parqueras tes troupeaux de femmes afin qu'elles accouchent.
Et tu auras perdu pour toujours ce que tu prtendais favoriser, car peu t'importent les fluctuations d'un btail, s'il s'agit de btes l'engrais.
Moi je construis l'me de l'homme et je lui btis des frontires et des limites et je lui dessine des jardins et pour que soit le culte de l'enfant et qu'il prenne un sens dans le cur, il se peut que peut-tre en apparence j'en favorise moins le nombre car je ne crois point en ta logique mais en la pente de l'amour.
Si tu es, tu construis ton arbre, et si j'invente et fonde l'arbre ce n'est qu'une graine que je propose. Les fleurs et les fruits y dorment en puissance dans le lit de ce pouvoir. Si tu te dveloppes, tu te dveloppes selon mes lignes non prconues car je ne m'en suis point proccup. Et d'tre, tu peux devenir. Et ton amour devient enfant de cet amour.
LXXXVI
Et je me heurtais un seuil car il est des poques o le langage ne peut rien saisir ni rien prvoir. Ceux-l m'opposent le monde comme un rbus et exigent que je le leur explique. Mais il n'est point d'explication et le monde n'a point de sens.
Faut-il nous soumettre ou lutter? Il faut se soumettre pour survivre et lutter pour continuer d'tre. Laisse faire la vie. Car telle est la misre du jour que la vrit de la vie, laquelle est une, prendra pour s'exprimer des formes contraires. Mais ne te fais point d'illusions: tel que tu es, tu es mort. Et tes contradictions sont celles de la mue, et tes dchirements et tes misres. Tu craques et te dchires. Et ton silence est du grain de bl dans la terre o il pourrit afin de devenir. Et ta strilit est strilit dans ta chrysalide. Mais tu renatras embelli d'ailes.
Tu te diras, du haut de la montagne d'o sont rsolus tes problmes: Comment n'ai-je pas d'abord compris? Comme s'il tait d'abord quelque chose comprendre.
LXXXVII
Tu ne recevras point de signe car la marque de la divinit dont tu dsires un signe c'est le silence mme.
Et les pierres ne savent rien du temple qu'elles composent et n'en peuvent rien savoir. Ni le morceau d'corce, de l'arbre qu'il compose avec d'autres. Ni l'arbre lui-mme, ou telle demeure, du domaine qu'ils composent avec d'autres. Ni toi de Dieu. Car il faudrait que le temple appart la pierre ou l'arbre l'corce, ce qui n'a point de sens car il n'est point pour la pierre de langage o le recevoir. Le langage est de l'chelle de l'arbre. Ce fut ma dcouverte aprs ce voyage vers Dieu.
Toujours seul, enferm en moi en face de moi. Et je n'ai point d'espoir de sortir par moi de ma solitude. La pierre n'a point d'espoir d'tre autre chose que pierre. Mais, de collaborer, elle s'assemble et devient temple.
L'apparition de l'archange je n'ai plus l'espoir d'y prtendre car ou bien il est invisible ou bien il n'est pas. Et ceux qui esprent un signe de Dieu c'est qu'ils en font un reflet de miroir et n'y dcouvriraient rien qu'eux-mmes. Mais me vient, d'pouser mon peuple, la chaleur qui me transfigure. Et cela est marque de Dieu. Car une fois fait le silence, il est vrai pour toutes les pierres.