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Donc moi-mme, hors de toutes communauts, je ne suis rien qui compte et ne saurais me satisfaire.

Donc laissez-vous tre grain de bl pour l'hiver dans la grange, et y dormir.

LXXXVIII

Ce refus d'tre transcends:

Moi, disent-ils.

Et ils se frappent le ventre. Comme s'il tait quelqu'un en eux, par eux. Ainsi des pierres du temple qui diraient: Moi, moi, moi

De mme ceux-l que je condamnais extraire les diamants. La sueur, les ahans, l'abrutissement devenaient diamants et lumire. Et ils existaient par le diamant qui tait leur signification. Mais vint le jour o ils se rvoltrent. Moi, moi, moi! disaient-ils. Voici qu'ils refusaient de se soumettre au diamant. Ils ne voulaient plus devenir. Mais se sentir honors pour eux-mmes. Au lieu du diamant ils se proposaient eux-mmes pour modle. Ils taient laids car ils sont beaux en le diamant. Car les pierres sont belles en le temple. Car l'arbre est beau en le domaine. Car le fleuve est beau en l'empire. Et l'on chante le fleuve: Toi, le nourricier de nos troupeaux, toi le sang lent de nos plaines, toi le conducteur de nos navires

Mais ceux-l s'estimaient comme but et comme fin, et ne s'intressant plus dsormais qu' ce qui les servait, non plus haut qu'eux-mmes qu'ils eussent servi.

Et c'est pourquoi ils massacrrent les princes, crasrent en poudre les diamants pour les partager entre eux tous, enfouirent dans les cachots ceux qui, chercheurs de vrits, eussent pu un jour les dominer. Il est temps, disaient-ils, que le temple serve les pierres. Et tous ils s'en allaient enrichis, pensaient-ils, de leurs morceaux de temple, mais dpossds de leur part divine et devenus simples gravats!

LXXXIX

Et cependant tu interroges:

O commence l'esclavage, o finit-il, o commence l'universel, o finit-il? Et les droits de l'homme o commencent-ils? Car je connais les droits du temple qui est sens des pierres et les droits de l'empire qui est sens des hommes et les droits du pome qui est sens des mots. Mais je ne reconnais point les droits des pierres contre le temple, ni les droits des mots contre le pome, ni les droits de l'homme contre l'empire.

Il n'est point d'gosme vrai mais mutilation. Et celui-l qui s'en va tout seul disant: Moi, moi, moi, il est comme absent du royaume. Ainsi la pierre hors du temple ou le mot sec hors du pome ou tel fragment de chair qui ne fait point partie d'un corps.

Mais, lui dit-on, je puis supprimer les empires et unir les hommes en un seul temple, et voil qu'ils reoivent leur sens d'un temple plus vaste

C'est que tu ne comprends rien, rpondit mon pre. Car ces pierres-l tu les vois d'abord qui composent un bras et y reoivent leur sens. D'autres une gorge et d'autres une aile. Mais ensemble elles composent un ange de pierre. Et d'autres, ensemble, composent une ogive. Et d'autres ensemble une colonne. Et maintenant si tu prends ces anges de pierre, ces ogives et ces colonnes, tous ensemble composent un temple. Et maintenant si tu prends tous les temples, ils composent la ville sainte qui te gouverne dans ta marche dans le dsert. Et prtends-tu qu'au lieu de soumettre les pierres au bras, la gorge, et l'aile d'une statue, puis travers les statues au temple, puis travers les temples la ville sainte, il te soit plus profitable de soumettre d'emble des pierres cette ville sainte et en faisant un grand tas uniforme, comme si le rayonnement de la ville sainte, lequel est un, ne naissait point de cette diversit. Comme si le rayonnement de la colonne, lequel est un, ne naissait pas du chapiteau, du ft et du socle, lesquels sont divers. Car plus la vrit est haute, plus tu dois observer de haut pour la saisir. La vie est une, de mme que la pente vers la mer, et cependant d'tage en tage se diversifie, dlguant son pouvoir d'tre en tre comme d'chelon en chelon. Car ce voilier est un, bien qu'assemblage divers. Car, de plus prs, tu y dcouvres des voiles, des mts, une proue, une coque, une trave. De plus prs encore, ayant chacun d'eux des cordes, des clisses, des planches et des clous. Et chacun d'eux encore plus loin se dcompose.

Et mon empire n'a point de signification ni de vie vritable, ni les parades de soldats au garde--vous, comme de la ville simple si elle n'est que pierres bien alignes. Mais d'abord ton foyer. Puis les foyers une famille. Puis les familles une tribu. Puis les tribus une province. Puis les provinces mon empire. Et cet empire tu le vois fervent et anim de l'est l'ouest et du nord au sud, ainsi qu'un voilier en mer qui se nourrit de vent et l'organise vers un but qui ne varie pas, bien que le vent varie et bien que le voilier soit assemblage.

Et maintenant tu peux le continuer, ton travail d'lvation, et prendre les empires pour en faire un navire plus vaste qui absorbe en lui les navires et les emporte dans une direction qui sera une, nourrie de vents divers et qui varient, sans que varie le cap de l'trave dans les toiles. Unifier, c'est nouer mieux les diversits particulires, non les effacer pour un ordre vain.

(Mais il n'est point d'tage en soi. Tu en as dnomm quelques-uns. Tu eusses pu en dnommer d'autres qui eussent embot les premiers. Pas sr.)

XC

Et voici cependant qu'il te vient de t'inquiter, car tu as vu le mauvais tyran craser les hommes. Et l'usurier les tenir dans son esclavage. Et quelquefois le btisseur de temples ne point servir Dieu mais se servir soi et tirer pour soi la sueur des hommes. Et il ne t'est pas apparu que les hommes en fussent grandis.

C'est que mauvaise tait la dmarche. Car il ne s'agit point de faire l'ascension, et au hasard des pierres qui le composent, d'en tirer le bras. Au hasard des membres l'ange de pierre. Au hasard des anges ou des colonnes ou des ogives le temple. Car tu es libre ainsi de t'arrter l'tage que tu souhaites. Il n'est point meilleur de soumettre les hommes au temple qu'au simple bras de la statue. Car ni le tyran, ni l'usurier, ni le bras, ni le temple n'ont qualit pour absorber les hommes et les enrichir en retour de leur propre enrichissement.

Ce ne sont point les matriaux de la terre qui s'organisent par hasard et font leur ascension dans l'arbre. Pour crer l'arbre, tu as jet d'abord la graine o il dormait. Il est venu d'en haut et non d'en bas.

Ta pyramide n'a point de sens si elle ne s'achve en Dieu. Car celui-l se rpand sur les hommes aprs les avoir transfigurs. Tu peux te sacrifier au prince si lui-mme en Dieu se prosterne. Car alors ton bien te revient ayant chang de got et d'essence. Et l'usurier ne sera point, ni le bras seul, ni le temple seul, ni la statue. Car d'o viendrait ce bras s'il n'est pas n d'un corps? Le corps n'est point assemblage de membres. Mais de mme que le voilier n'est point, au hasard de leur assemblage, un effet d'lments divers, mais au contraire dcoule par diversits et contradictions apparentes de la seule pente vers la mer, laquelle est une, de mme que le corps se diversifie en membres mais n'est point une somme, car on ne va point des matriaux l'ensemble, mais comme te le dira tout crateur et tout jardinier et tout pote, de l'ensemble aux matriaux. Et qu'il me suffit d'enflammer les hommes de l'amour des tours qui dominent les sables pour que les esclaves des esclaves de mes architectes inventent le charroi des pierres et bien d'autres choses.

XCI

La grande erreur est de ne point connatre que la loi est signification des choses, non rite plus ou moins strile l'occasion de ces choses. De lgifrer sur l'amour je fais natre telle forme d'amour. Mon amour est dessin par les contraintes mmes que je lui impose. La loi peut donc tre coutume aussi bien que gendarme.

XCII

C'est pourquoi cette nuit, du haut des remparts o je tiens la ville dans ma puissance, o mes garnisons tiennent les villes de l'empire et communiquent l'une avec l'autre l'aide de feux sur les montagnes de mme que parfois s'appellent l'une l'autre les sentinelles qui se promnent le long des remparts, et chacune s'ennuie (mais cependant s'apercevra plus tard qu'elle tirait son sens de cette promenade, car il n'est point de langage offert la sentinelle pour que ses pas soient retentissants en son cur, et elle ne sait pas ce qu'elle fait, et chacune croit s'ennuyer et attendre l'heure de la soupe. Mais je sais bien qu'il n'est point d'intrt accorder au langage des hommes et que mes sentinelles qui rvent de soupe et billent de la corve de garde se trompent. Car ensuite, l'heure du repas, c'est une sentinelle qui se nourrit et lance une bourrade au voisin et qui est vaste car, si je les bloquais autour de leur auge, il n'y aurait plus rien que btail).