Donc cette nuit-l que l'empire se lzarde, o pesante est l'absence de quelques feux sur les montagnes, car la nuit peut gagner de les teindre l'un aprs l'autre, ce qui est boulement de l'empire, lequel boulement menacera jusqu'au got du repas du soir et jusqu'au sens du baiser que donne la mre l'enfant. Car autre est cet enfant qui n'est point d'un empire, et l'on n'embrasse plus Dieu travers.
Quand l'incendie menace, on use du contre-feu. J'ai fait de mes guerriers fidles un cercle de fer et tout ce que j'y ai enferm je l'ai cras. Gnration transitoire, qu'importent les bchers auxquels je t'ai rduite! Il faut sauver le temple de la signification des choses. Car me l'a enseign la vie, il n'est point de torture vritable dans la chair mutile ni mme dans la mort. Mais le retentissement grandit selon l'envergure du temple qui donne leur sens aux actes des hommes. Et celui-l qui a t form fidle l'empire, si tu le tiens hors de l'empire dans sa prison d'exil, tu le vois qui s'corche aux barreaux et refuse de boire, car son langage n'a plus de sens. Et qui, sinon lui, s'corcherait? Et celui-l qui a t forg selon la morale du pre, si son fils a chu dans le torrent et que tu le retiens sur la rive, tu le sens qui se tord dans tes bras pour t'chapper et il hurle, et veut se jeter dans le gouffre, car son langage n'a plus de sens. Mais ce premier, tu le vois enorgueilli et majestueux le jour de la fte de l'empire, et le second, tu le vois resplendir le jour de la fte du fils. Et, ce qui cause tes souffrances les plus graves, c'est cela mme qui t'apporte tes joies les plus hautes. Car souffrances et joies sont fruits de tes liens, et tes liens des structures que je t'ai imposes. Et moi je veux sauver les hommes et les contraindre d'exister, mme si je les touche par la voie mme de ce qui les fait souffrir, comme de la prison qui spare de la famille, ou de l'exil qui spare de l'empire, car si tu me reproches cette souffrance cause de ton got pour la famille ou pour l'empire, je te rpondrai qu'absurde est ta dmarche puisque prcisment je sauve ce qui te fait tre.
Gnration transitoire, dpositaire d'un temple que peut-tre tu ne sais voir, faute de recul, mais qui fait l'tendue de ton cur et le retentissement de tes paroles et les grands feux intrieurs de tes joies, travers toi je sauverai le temple. Qu'import donc le cercle des guerriers de fer?
On m'a surnomm le juste. Je le suis. Si j'ai vers le sang, c'est pour tablir non ma duret mais ma clmence. Car celui-l qui maintenant me baise aux genoux je le puis bnir. Et il est enrichi de ma bndiction. Et il s'en va en paix. Mais celui-l qui doute de ma puissance qu'y gagne-t-il? Si je lve les doigts sur lui, versant le miel de mon sourire, il ne le sait point recevoir. Et il va, pauvre. Car ne l'enrichit point dans sa solitude de dsormais s'crier: Moi, moi, moi, quoi il n'est point de rponse. S'il me basculait du haut des remparts, ce n'est point moi d'abord qui leur manquerais. Mais la douceur d'tre des fils. Mais l'apaisement d'tre bnis. Mais l'eau pure sur le cur d'tre pardonnes. Mais le refuge, mais la signification, mais le grand manteau du berger. Qu'ils s'agenouillent pour que je leur puisse tre bon, qu'ils m'honorent dans ma grandeur pour que je les en puisse grandir. Qui donc ici parle de moi?
Je n'ai point fait servir les hommes ma gloire car je m'humilie devant Dieu, et ainsi Dieu, qui la reoit seul, les enveloppe-t-il tous en retour de sa gloire. Je n'ai point us des hommes pour servir l'empire. Mais j'ai us de l'empire pour fonder les hommes. Si j'ai prlev comme mon d le fruit de leur travail, ce fut pour le remettre Dieu, afin de le rpandre en retour sur eux comme un bienfait. Et voici que de mes greniers coule un bl qui est rcompense. Ainsi, en mme temps qu'aliment se fait-il lumire, cantique et paix du cur.
Ainsi de toute chose qui concerne les hommes car ce bijou a sens de mariage, ce campement sens de la tribu, ce temple sens de Dieu et ce fleuve sens de l'empire.
Sinon que possderaient-ils?
On ne btit pas l'empire avec les matriaux. On absorbe les matriaux dans l'empire.
XCIII
Il y avait des tres et la fidlit. Je dis fidlit le lien aux tres, comme la meunerie, ou l'empire, ou le temple, ou le jardin, car grand celui-l fidle au jardin.
Vient alors celui qui ne comprend rien de ce qui seul compte et cause d'une illusion de fausse science qui est de dmonter pour connatre (connatre mais non contenir, car manque l'essentiel comme des lettres du livre si tu les as mles: ta prsence. Si tu mles tu effaces le pote. Et si le jardin n'est plus qu'une somme tu effaces le jardinier). Celui-l donc dcouvre comme arme l'ironie qui n'est que du cancre. Car elle est de mler les lettres sans lire le livre. Et il te dit: Pourquoi mourir pour un temple qui n'est que somme de pierres? Et tu n'as rien lui rpondre. Pourquoi mourir pour un jardin qui n'est que somme d'arbres et d'herbe? Et tu n'as rien lui rpondre. Pourquoi mourir pour des caractres de l'alphabet? Et comment accepterais-tu de mourir?
Mais en ralit, une une il dtruit tes richesses. Et tu refuses de mourir, donc d'aimer, et tu nommes ce refus exercice de l'intelligence quand tu es ignare et te donnes tant de mal pour dfaire ce qui a t fait, et manger ton bien le plus prcieux: le sens des choses.
Et lui en tire vanit, bien qu'il ne soit qu'un pillard puisqu'il ne construit point dans son acte comme construirait celui qui, en mme temps qu'il polit sa phrase, forge le style qui lui permettra de polir plus loin. Il obtient un effet de surprise en cassant la statue pour te distraire de ses morceaux, car ce temple tu le croyais mditation et silence, mais il n'est qu'amas de gravier et ne mrite point que l'on meure.
Et quand il t'a enseign cette opration qui tue les dieux il ne te reste rien pour respirer ni vivre. Car ce qui compte d'abord dans l'objet c'est la lumire dont le colore la civilisation que tu parles. Ainsi de la pierre du foyer qui est amour, et de l'toile qui est du royaume de Dieu, et de la charge que je te confre qui est de la dignit royale. Et de l'cusson qui est de la dynastie. Mais que ferais-tu d'une pierre, d'une charge, d'un chiffre qui ne seraient point clairs?
Alors de destruction en destruction tu glisses vers la vanit, car elle demeure seule coloration possible quand il n'est plus que rsidu dont tu ne saurais te nourrir. Alors ton objet, son sens, faute d'un autre sens, il faut bien qu'il le tire de toi-mme. Et voil que tu demeures seul colorer les choses de ta maigre lumire. Car ce vtement neuf, il est de toi. Et ce troupeau, il est de toi. Et cette demeure plus riche qu'une autre, elle est de toi. Et tout ce qui est d'un autre que toi, ce vtement, ce troupeau, cette demeure, te devient ennemi. Car il est contre toi un empire oppos et semblable. Te voil bien oblig dans ton dsert de te montrer satisfait de toi-mme puisque hors de toi il n'est plus rien d'autre. Et te voil dsormais condamn crier: Moi, moi, moi dans le vide, ce quoi il n'est point de rponse.
Et je n'ai point connu de jardinier qui ft vaniteux si, simplement, il aimait son jardin.