C'est pourquoi je dis qu'import d'abord, dans la construction de l'homme, non de l'instruire, ce qui est vain s'il n'est plus qu'un livre qui marche, mais de l'lever et de le conduire aux tages o ne sont plus les choses mais les visages ns du nud divin qui noue les choses. Car il n'est rien esprer des choses si elles ne retentissent les unes sur les autres, ce qui est seule musique pour le cur.
Ainsi de ton travail s'il est pain des enfants ou change de toi en plus vaste. Ainsi de ton amour s'il est autre chose de plus haut que recherche d'un corps saisir, car close en soi est la joie qu'il te donne.
Et c'est pourquoi je parlerai d'abord sur la qualit des cratures.
Quand dans la tristesse des nuits chaudes, de retour des sables, tu visites le quartier rserv et choisis celle-ci pour oublier en elle l'amour, et si tu la caresses et l'entends qui te parle et rpond, cependant l'amour une fois consomm et mme si elle tait belle, tu repars dvtu de toi-mme et n'ayant point form de souvenir.
Mais s'il se trouve que la mme d'apparence, aux mmes gestes, de la mme grce, aux mmes mots, c'tait cette princesse issue d'une le au fil de lentes caravanes, baigne quinze ans d'abord dans la musique, dans le pome et la sagesse, et permanente et sachant brler de colre sous l'affront, et brler de fidlit sous les preuves, et riche de sa part irrductible, pleine de dieux qu'elle ne saurait trahir, et capable d'offrir au bourreau sa grce extrme pour un seul mot exig d'elle qu'elle ddaignerait de dire, si bien fonde dans sa noblesse que son dernier pas serait plus pathtique qu'une danse, s'il se trouve que c'est celle-l qui, lorsque tu entres dans la salle de lune aux dalles luisantes o elle t'attend, ouvre pour toi ses jeunes bras, et si maintenant elle prononce les mmes mots, mais qui seront ici expression d'une me parfaite, alors je te le dis: tu repartiras au petit jour vers tes sables et vers tes ronces, non plus le mme, mais cantique d'action de grces. Car ne pse point l'individu avec sa pauvre corce et son bazar d'ides, mais avant tout compte l'me plus ou moins vaste avec ses climats, ses montagnes, ses dserts de silence, ses fontes des neiges, ses versants de fleurs, ses eaux dormantes, toute une caution invisible et monumentale. Et c'est d'elle que tu tiens ton bonheur. Et tu ne peux plus t'en distraire. Car n'est point la mme ta navigation sur la maigre rivire, mme si tu fermes les yeux pour goter son balancement, et ton voyage sur l'paisseur des mers. Car n'est point le mme ton plaisir, bien que l'objet en soit semblable, du faux diamant ou du diamant pur. Et celle-l qui se tait devant toi n'est point la mme qu'une autre dans la profondeur de son silence.
Et tu ne t'y trompes point d'abord.
Et c'est pourquoi je refuse de te faciliter ta besogne et, puisque les femmes sont douces ton corps, de t'augmenter la facilit de capture en les vidant de leurs consignes, de leur refus et de leur noblesse, car j'aurais dtruit par cela mme ce que tu prtendais saisir.
Et si les voil prostitues, tu ne puiseras plus en elles que le pouvoir d'y oublier l'amour, alors que la seule action que je sauve est celle qui enrichit pour l'action prochaine, comme de te pousser vaincre, dans ton ascension, la montagne, ce qui te prpare vaincre l'autre qui est plus haute, comme de te proposer, afin de fonder ton amour, de gravir l'me inaccessible.
XCV
Le diamant est fruit de la sueur d'un peuple mais un peuple ainsi ayant su, un diamant est devenu qui n'est point consommable ni divisible, et ne sert point chacun des travailleurs. Dois-je renoncer la capture du diamant qui est toile rveille de la terre? Du quartier de mes ciseleurs si j'extirpe les ciseleurs qui cislent des aiguires en or, lesquelles ne sont point non plus divisibles puisque chacune cote une vie et que tandis que celui-l la cisle il faut bien que je le nourrisse d'un froment cultiv ailleurs et que, si je l'envoie son tour labourer la terre il ne sera plus d'aiguire d'or mais une charge plus lourde de froment distribuer vas-tu me prtendre qu'il soit de la noblesse de l'homme de ne pas extraire le diamant et de ne plus ciseler l'objet d'or? O vois-tu que l'homme en soit enrichi? Que m'importe le destin du diamant? J'accepterai la rigueur, pour plaire la jalousie de la multitude, de brler une fois l'an tous ceux que j'aurai rcolts, car ainsi ils bnficieront d'un jour de fte, ou encore d'inventer une reine que je chargerai de leur clat et ainsi ils possderont une reine endiamante. Et ainsi l'clat de la reine ou la chaleur de la fte, en retour se rpandra sur eux. Mais o vois-tu qu'ils soient plus riches de les enfermer dans leur muse, ces diamants, qui l non plus ne serviront de rien dans l'instant personne, sauf quelques oisifs stupides, et n'ennobliront qu'un gardien grossier et lourd?
Car il te faudra bien admettre que seul vaut ce qui a cot du temps aux hommes, comme du temple. Et que la gloire de mon empire, dont chacun recevra sa part, ne dcoule que du diamant que je les contrains d'extraire et de la reine que j'en aurai orne.
Car je ne connais qu'une libert qui est exercice de l'me. Et non l'autre qui n'est que risible, car te voil contraint quand mme de chercher la porte pour franchir les murs et tu n'es point libre d'tre jeune ni d'user du soleil la nuit. Si je t'oblige de choisir cette porte plutt que l'autre, tu te plaindras de ma brimade, quand tu n'as point vu, s'il n'est qu'une porte, que tu subissais la mme contrainte. Et si je te refuse le droit d'pouser celle-l qui te semble belle, tu te plaindras de ma tyrannie, quand tu n'as point remarqu, faute d'en avoir connu une autre, que dans ton village toutes taient bigles.
Mais celle-l que tu pouseras, comme je l'ai contraint de devenir et qu' toi aussi j'ai forg une me, vous userez tous deux de la seule libert qui ait un sens et qui est exercice de l'esprit.
Car la licence t'efface et selon les paroles de mon pre: Ce n'est point tre libre que de n'tre pas.
XCVI
Car je te parlerai un jour de la ncessit ou de l'absolu qui est nud divin qui noue les choses.
Car impossible il est de jouer dans le pathtique au jeu de ds si les ds ne signifient rien. Et celui-l que j'envoie par ordre sur la mer, si elle se montre orageuse et qu'avant de s'y embarquer il en prend connaissance par un vaste regard, et que les nuages lourds il les pse comme adversaires, et que cette houle il la mesure, et que ce flchissement du vent il le respire, toutes ces choses pour lui retentiront les unes sur les autres et, de par la ncessit qui est mon ordre, quoi il n'y a rien rpondre, il ne sera plus pour lui spectacle disparate de foire mais basilique construite et moi comme clef de vote pour tablir sa permanence. Ainsi celui-l sera-t-il magnifique quand il entrera, dlguant son tour ses ordres dans le crmonial du navire.
Mais tel autre, hors de moi, s'il prtend visiter la mer en promeneur et qu'il y peut errer comme il le souhaite et se rsoudre selon sa propre pente au demi-tour, il n'a point accs la basilique et ces nuages lourds ne lui sont point preuve mais gure plus importants que d'une toile peinte, et ce vent qui frachit n'est point transformation du monde mais faible caresse sur la chair, et cette houle qui se creuse n'est que fatigue pour son ventre.
Et c'est pourquoi ce que j'appellerai devoir, qui est nud divin qui noue les choses, ne te construira ton empire, ton temple, ou ton domaine que s'il se montre toi comme absolue ncessit et non comme jeu dont les rgles seraient changeantes.
Tu reconnatras un devoir, disait mon pre, ce que d'abord il n'est point de toi de le choisir.