Ma contrainte est crmonial de l'amour.
XCVIII
Si ton amour n'a point l'espoir d'tre reu, tu dois le taire. Il peut couver en toi s'il est silence. Car il cre une direction dans le monde et toute direction t'augmente qui te permet de t'approcher, de t'loigner, d'entrer, de sortir, de trouver, de perdre. Car tu es celui qui doit vivre. Et il n'est point de vie si nul dieu pour toi n'a cr de lignes de force.
Si ton amour n'est point reu et qu'il devient vaine supplication comme de rcompense ta fidlit, et qu'il n'est point de ta force d'me de te taire, alors, s'il est un mdecin fais-toi gurir. Car il ne faut point confondre l'amour avec l'esclavage du cur. L'amour qui prie est beau, mais celui qui supplie est d'un valet.
Si ton amour se heurte l'absolu des choses comme d'avoir franchir l'impntrable mur d'un monastre ou de l'exil, alors remercie Dieu si celle-l t'aime en retour, bien qu'en apparence sourde et aveugle. Car il est une veilleuse allume pour toi dans le monde. Et peu m'importe que tu ne puisses t'en servir. Car celui-l qui meurt dans le dsert est riche d'une maison lointaine, bien qu'il meure.
Car si je btis de grandes mes et que je choisisse la plus parfaite pour la murer dans le silence, nul, te semble-t-il, n'en reoit rien. Et cependant voici qu'elle ennoblit tout mon empire. Quiconque passe au loin se prosterne. Et naissent les signes et les miracles.
Alors s'il est amour vers toi, bien qu'inutile, et amour en retour de ta part, tu marcheras dans la lumire. Car grande est la prire laquelle seul rpond le silence, s'il se trouve qu'exist le dieu.
Et si ton amour est reu et si des bras s'ouvrent pour toi, alors prie Dieu qu'il sauve cet amour de pourrir, car je crains pour les curs combls.
XCIX
Et pourtant, comme j'avais aim la libert qui fit mon cur retentissant, et comme j'eusse vers mon sang pour la conqurir, et comme j'ai observ lumineux le regard des hommes qui luttaient pour cette conqute (comme par ailleurs j'ai vu sinistres et moutonneux comme un btail et vulgaires de cur vers les provisions, ceux dont on suspendait la ration dans l'table, et qui, le groin lev, devenaient porcs autour de l'auge).
Comme ainsi j'ai vu la flamme de la libert faire resplendir les hommes, et la tyrannie les abrutir.
Et comme il n'est point de ma dmarche de rien abandonner de moi, et que je mprise les bazars d'ides, sachant que si les mots ne rendent point compte de la vie, ce sont les mots qu'il faut changer et que si tu te trompes, bloqu dans une contradiction sans issue, c'est la phrase qu'il faut rompre, et qu'il te faut dcouvrir la montagne d'o la plaine se montrera claire.
Dcouvrant ici la fois que seules sont grandes les mes qui furent fondes, et forges, et bties en forteresses par la contrainte et par le culte et par le crmonial qui est la fois tradition et prire et obligation non discute.
Et que seules sont belles les mes fires qui n'acceptent point de plier, tiennent les hommes droits dans les supplices, libres de soi et de ne point abjurer, donc libres de soi et choisissant et dcidant, et pousant celle-l qu'ils aiment contre la rumeur de la multitude ou la disgrce du roi.
Il me vint que contrainte ni libert n'avaient de sens.
Car aucun de mes mouvements n'est refuser, bien que les mots qui les signifient se tirent la langue.
Si donc tu emprisonnes selon une ide prconue et s'il se trouve que tu en emprisonnes beaucoup (et peut-tre les pourrais-tu emprisonner tous, car tous charrient une part de ce que tu condamnes, comme le serait d'emprisonner les dsirs illgitimes, et des saints eux-mmes iraient en prison), c'est que ton ide prconue est mauvais point de vue pour juger des hommes, montagne interdite et sanglante qui dpartage mal et te force d'agir contre l'homme lui-mme. Car celui-l que tu condamnes, sa belle part pourrait tre grande. Or, il se trouve que tu l'crases.
Et si tes gendarmes, lesquels ncessairement sont stupides, et agents aveugles de tes ordres et de par leur fonction laquelle tu ne demandes point d'intuition mais bien au contraire refuses ce droit, car il s'agit pour eux, non de saisir et de juger mais de distinguer selon tes signes, si tes gendarmes reoivent pour consigne de classer en noir et non en blanc car il n'est pour eux que deux couleurs celui-l par exemple qui fredonne quand il est seul ou doute quelquefois de Dieu ou bille au travail de la terre ou en quelque sorte pense, agit, aime, hait, admire ou mprise quoi que ce soit, alors s'ouvre le sicle abominable o d'abord te voil plong dans un peuple de trahison dont tu ne sauras point trancher assez de ttes, et ta foule sera foule de suspects, et ton peuple d'espions, car tu as choisi un mode de partage qui passe non en dehors des hommes, ce qui te permettrait de ranger les uns droite et les autres gauche, oprant ainsi uvre de clart, mais travers l'homme lui-mme, le divisant d'avec lui-mme, le faisant espion de soi-mme, suspect de soi-mme, tratre de soi-mme, car il est de chacun de douter de Dieu par les nuits chaudes. Car il est de chacun de fredonner dans la solitude ou de biller au travail de la terre, ou certaines heures, de penser, agir, aimer, har, admirer ou mpriser quoi que ce soit au monde. Car l'homme vit. Et seul t'apparatrait comme saint, sauv et souhaitable celui dont les ides seraient d'un ridicule bazar et non mouvements de son cur.
Et comme tu demandes tes gendarmes de dpister de l'homme ce qui est de l'homme lui-mme et non de tel ou tel, ils y mettront leur zle, le dcouvriront de chacun, puisqu'il s'y trouve, s'pouvanteront des progrs du mal, t'pouvanteront par leurs rapports, te feront partager leur foi en l'urgence de la rpression et, quand ils t'auront converti, te feront btir des cachots pour y enfermer ton peuple entier. Jusqu'au jour o tu seras bien oblig, puisque eux aussi sont des hommes, de les y enfermer eux-mmes.
Et si tu veux un jour que des paysans labourent tes terres dans la bont de leur soleil, que des sculpteurs sculptent leurs pierres, que des gomtres fondent leurs figures, il te faudra bien changer de montagne. Et, selon la montagne choisie, tes bagnards deviendront tes saints, et tu lveras des statues celui-l que tu condamnais casser des pierres.
CI
Me vint donc la notion de pillage quoi j'avais toujours pens mais sans que Dieu m'et clair sur elle. Et certes je savais qu'est pillard celui-l qui brise le style en profondeur pour en tirer des effets qui le servent, effets louables en soi car il est du style de te les permettre, lequel est fond pour que les hommes y puissent charrier leurs mouvements intrieurs. Mais il se trouve que tu brises ton vhicule sous prtexte de vhiculer, la faon de celui-l qui tue son ne par des charges qu'il ne saurait supporter. Alors que par des charges bien mesures tu l'exerces au travail et qu'il travaillera d'autant mieux qu'il travaille dj. Donc celui qui crit contre les rgles je l'expulse. Qu'il se dbrouille pour s'exprimer selon les rgles car alors seulement il fonde les rgles.
Or il se trouve que l'exercice de la libert, quand elle est libert de la beaut de l'homme, est pillage comme d'une rserve. Et certes ne sert de rien une rserve qui dort et une beaut due la qualit de la matrice mais que tu ne sortiras jamais du moule pour l'exposer la lumire. Il est beau de fonder des greniers o s'engrangent les graines. Ils n'ont de sens pourtant que si ces graines tu les y puises pour les disperser en hiver. Et le sens du grenier c'est le contraire du grenier qui est ce lieu-l o tu fais rentrer. Il devient le lieu dont tu fais sortir. Mais un langage maladroit est seul cause de la contradiction, car entrer ou sortir sont mots qui se tirent la langue quand il s'agissait simplement de dire non: Ce grenier est lieu o je fais rentrer quoi cet autre logicien te rpondra avec raison: C'est le lieu dont je fais sortir, quand tu dominais leur vent de paroles, absorbais leurs contradictions et fondais la signification du grenier en le disant escale des graines.