Car de votre fraternit que sauriez-vous attendre si elle n'est point fraternit dans l'arbre dont vous tes les lments, lequel vous domine et vous vient de l'extrieur, car je dis cdre la contrainte de la rocaille, laquelle n'est point fruit de la rocaille mais de la graine.
Comment sauriez-vous devenir cdre si chacun choisit l'arbre btir ou ne prtend point servir un arbre ou mme s'oppose la monte d'un arbre qu'il dnommera tyrannie, et convoite la mme place, il faut bien que l'on vous dpartage et que vous serviez l'arbre, plutt que de prtendre vous en faire servir.
C'est pourquoi j'ai jet ma graine et vous soumets son pouvoir. Et je me connais comme injuste si justice est galit. Car je cre des lignes de force et des tensions et des figures. Mais grce moi qui vous ai changs en branchages vous vous nourrirez de soleil.
CVIII
De ma visite la sentinelle endormie.
Car il est bon que celle-l soit punie de mort. Puisque repose sur sa vigilance tant de sommeil au souffle lent, quand la vie t'alimente et se perptue travers toi, comme au creux d'une anse ignore la palpitation des mers. Et les temples ferms, aux richesses sacerdotales lentement rcoltes comme un miel, tant de sueur et de coups de ciseau et de coups de marteau et de pierres charries, et d'yeux uss aux jeux d'aiguille dans les draps d'or, afin de les fleurir, et d'arrangements dlicats sous l'invention de mains pieuses. Et les greniers aux provisions afin que l'hiver soit doux subir. Et les livres sacrs dans les greniers de la sagesse o repose la caution de l'homme. Et les malades dont j'aide la mort en la faisant paisible dans la coutume parmi les leurs, et presque inaperue de simplement dlguer plus loin l'hritage. Sentinelle, sentinelle, tu es sens des remparts lesquels sont gaine pour le corps fragile de la ville et l'empchant de se rpandre, car si quelque brche les crve il n'est plus de sang pour le corps. Tu vas de long en large, d'abord ouvert la rumeur d'un dsert qui prpare ses armes et inlassablement te revient frapper comme la houle, et te ptrir et te durcir en mme temps que te menacer. Car il n'est point distinguer ce qui te ravage de ce qui te fonde, car c'est le mme vent qui sculpte les dunes et les efface, le mme flot qui sculpte la falaise et l'boul, la mme contrainte qui te sculpte l'me ou l'abrutit, le mme travail qui te fait vivre et t'en empche, le mme amour combl qui te comble et te vide. Et ton ennemi c'est ta forme mme car il t'oblige te construire l'intrieur de tes remparts, de mme que l'on pourrait dire de la mer qu'elle est ennemie du navire, puisqu'elle est prte l'absorber et puisque le navire est avant tout lutte contre elle, mais dont on peut dire aussi qu'elle est mur et limite et forme du mme navire, puisque au cours des gnrations c'est la division des flots par l'trave qui a peu peu sculpt la carne, laquelle s'est faite plus harmonieuse pour s'y couler, et ainsi l'a fonde et l'a embellie. Puisqu'on peut dire que c'est le vent, lequel dchire les voiles, qui les a dessines comme il dessina l'aile, et que sans ennemi tu n'as ni forme ni mesure. Et que seraient les remparts s'il n'tait point de sentinelle?
C'est pourquoi donc celle-l qui dort fait que la ville est nue. Et c'est pourquoi l'on vient s'en saisir quand on la trouve, afin de la noyer dans son propre sommeil.
Or, voici qu'elle dormait la tte appuye la pierre plate et la bouche entrouverte. Et son visage tait visage d'un enfant. Elle tenait encore son fusil press contre elle la faon d'un jouet qu'on emporte dans le rve. Et la considrant j'en eus piti. Car j'ai piti, par les nuits chaudes, de la dfaillance des hommes.
Dfaillance des sentinelles, c'est le barbare qui vous endort. Conquises par le dsert et laissant les portes libres de tourner lentement sur leurs gonds d'huile dans le silence, pour que soit fconde la ville quand elle est puise et qu'elle a besoin du barbare.
Sentinelle endormie. Avant-garde des ennemis. Dj conquise, car ton sommeil est de ne plus tre de la ville et bien noue et permanente, mais d'attendre la mue, et de t'ouvrir la semence.
Donc me vint l'image de la ville dfaite cause de ton simple sommeil car tout se noue en toi et s'y dnoue. Que tu es belle si tu veilles, oreille et regard de la ville Et tellement noble de comprendre, dominant par ton simple amour l'intelligence des logiciens, car ils ne comprennent point la ville mais la divisent. Il est pour eux ici une prison, l un hpital, l une maison de leurs amis et celle-l mme ils la dcomposent dans leur cur, y voient cette chambre, puis une autre, puis l'autre. Et non point seulement les chambres mais de chacune cet objet-ci, cet objet-l, cet autre encore. Puis l'objet lui-mme ils l'effacent. Et que feront-ils de ces matriaux dont ils ne veulent rien construire?
Mais toi, sentinelle, si tu veilles, tu es en rapport avec la ville livre aux toiles. Ni cette maison, ni cette autre, ni cet hpital, ni ce palais. Mais la ville. Ni cette plainte de mourant, ni ce cri de femme en gsine, ni ce gmissement d'amour, ni cet appel de nouveau-n, mais ce souffle divers d'un corps unique. Mais la ville. Ni cette veille de celui-l, ni ce sommeil de celui-ci, ni ce pome de cet autre, ni cette recherche de ce dernier, mais ce mlange de ferveur et de sommeil, ce feu sous les cendres de la Voie Lacte. Mais la ville. Sentinelle, sentinelle, l'oreille colle la poitrine d'une bien-aime, coutant ce silence, ces repos et ces souffles divers qu'il importe de ne point diviser si l'on dsire entendre, car c'est le battement d'un cur. Lequel est battement du cur. Et non rien d'autre.
Sentinelle, si tu veilles te voil mon gale. Car la ville repose sur toi et sur la ville repose l'empire. Certes j'agre que si je passe tu t'agenouilles, car ainsi vont les choses, et la sve de la racine vers le feuillage. Et il est bon que monte vers moi ton hommage car c'est circulation du sang dans l'empire, comme de l'amour du mari vers la marie, comme du lait de la mre vers l'enfant, comme du respect de la jeunesse vers la vieillesse, mais o vas-tu me dire que quelqu'un reoive quelque chose? Car d'abord moi-mme je te sers.
C'est pourquoi, de profil, quand tu t'appuies contre ton arme, mon gal en Dieu, car qui peut distinguer les pierres de la base et de la clef de vote, et qui peut se montrer jaloux de l'une ou de l'autre? C'est pourquoi j'ai le cur qui me bat d'amour te regarder sans que soit rien qui m'empche de te faire saisir par mes hommes d'armes.
Car voil que tu dors. Sentinelle endormie. Sentinelle morte. Et je te regarde avec pouvante car en toi dort et meurt l'empire. Je le vois malade travers toi, car est mauvais ce signe, qu'il me dlgue des sentinelles pour dormir
Certes, me dis-je, le bourreau fera son office et noiera celui-l dans son propre sommeil Mais me venait dans ma piti un litige nouveau et inattendu. Car seuls les empires forts tranchent la tte des sentinelles endormies, mais ceux-l n'ont plus le droit de rien trancher qui ne dlguent plus que des sentinelles pour dormir. Car il importe de bien comprendre la rigueur. Ce n'est point en tranchant les ttes des sentinelles endormies que l'on rveille les empires, c'est quand les empires sont rveills que sont tranches les ttes des sentinelles endormies. Et ici encore tu confonds l'effet et la cause. Et de voir que les empires forts tranchent les ttes, tu veux crer ta force en les tranchant, et tu n'es qu'un bouffon sanguinaire. Fonde l'amour et tu fondes la vigilance des sentinelles et la condamnation de celles-l qui dorment, car elles se sont d'elles-mmes tranches dj d'avec l'empire.