Donc quand vient celui-l qui ne connat que les cuisines, desquelles en effet sont charris des ralits pour balances et des os pour chiens, je lui interdis de parler de l'homme car il ngligera l'essentiel, la faon de l'adjudant qui ne considre rien de l'homme que son aptitude au maniement d'armes.
Et pourquoi danserait-on dans ton palais alors que les danseuses expdies aux cuisines t'enrichiraient d'un supplment de nourriture? Et pourquoi y cislerait-on des aiguires d'or quand en expdiant les ciseleurs au chantier des aiguires d'tain on disposerait de plus d'aiguires? Et pourquoi taillerait-on des diamants, et pourquoi crirait-on des pomes, et pourquoi observerait-on les toiles, quand tu n'as qu' les expdier ceux-l battre le bl pour disposer d'un supplment de pain?
Mais comme dans ta cit il te manquera quelque chose qui est pour l'esprit et non pour les yeux et non pour le sens, tu seras bien contraint de leur inventer de fausses nourritures, lesquelles ne vaudront plus rien. Et tu leur chercheras des fabricants qui leur fabriqueront leurs pomes, des automates qui leur fabriqueront des danses, des escamoteurs qui de verre taill tireront pour eux des diamants. Et voici qu'ils auront l'illusion de vivre. Bien qu'il ne soit plus rien en eux que caricature de la vie. Puisque celui-l aura confondu le sens vritable de la danse, du diamant et du pome lesquels ne t'alimentent de leur part invisible qu' condition d'avoir t gravis avec un fourrage pour rteliers. La danse est guerre, sduction, assassinat et repentir. Le pome est ascension de montagne. Le diamant est anne de travail change en toile. Mais l'essentiel leur manquera.
Ainsi du jeu de quilles: puisque ta joie est de faire tomber les quilles ennemies, tu tirerais bien du plaisir en t'en alignant des centaines et en te btissant une machine les faire tomber
CXIV
Mais ne crois pas que je mprise en rien tes besoins. Ni mme ne m'imagine qu'ils sont opposs ta signification. Car je veux bien me traduire, pour te dmontrer ma vrit, en mots qui se tirent la langue comme ncessaire et superflu, cause et effet, cuisine et salle de danse. Mais je ne crois point en ces divisions qui sont d'un langage malheureux et du choix d'une mauvaise montagne d'o lire les mouvements des hommes.
Car de mme que le sens de la ville, ma sentinelle n'y accde que quand Dieu l'enrichit de la clart d'il et d'oreille des sentinelles et qu'alors le cri du nouveau-n ne s'oppose plus aux plaintes autour du mort, ni la foire au temple, ni le quartier rserv la fidlit autre part dans l'amour, mais que de cette diversit nat la ville qui absorbe, pouse et unifie, de mme que l'arbre surgit un, des lments divers de l'arbre, et de mme que le temple domine de la qualit de son silence ce disparate de statues, de piliers, d'autels et de votes, de mme je ne rencontre l'homme qu' l'tage o il ne m'apparat plus comme celui qui chante contre celui qui bat le bl, ou danse contre celui qui verse le grain dans les sillons, ou observe les toiles contre celui qui forge les clous, car si je te divise, je ne t'ai point compris et je te perds.
C'est pourquoi m'enfermant dans le silence de mon amour je m'en fus observer les hommes dans ma ville. Ayant dsir de la comprendre.
(Note pour plus tard: Ne croyant point qu'il soit d'une ide prconue de choisir le rapport des activits. La raison n'a rien y voir. Car tu ne construis point un corps partir d'une somme. Mais tu plantes une graine et c'est telle somme qui se montre. Et c'est la qualit de l'amour dont natra seule raisonnablement la proportion, laquelle te sera invisible par avance, sauf dans le langage stupide des logiciens, des historiens et des critiques qui te montreront tes morceaux et combien tu eusses pu en grossir l'un aux dpens des autres, dmontrant aisment que celui-l est grossir plutt que l'autre, alors qu'ils eussent tout aussi bien tabli le contraire, car si tu inventes l'image des cuisines et celle de la salle de danse, il n'est point de balance pour te dpartager l'importance de l'une ou de l'autre. C'est que ton langage devient vide de sens ds que tu prjuges de l'avenir. Construire l'avenir c'est construire le prsent. C'est crer un dsir qui est pour aujourd'hui. Qui est d'aujourd'hui vers demain. Et non ralit des actes qui n'ont de sens que pour demain. Car si ton organisme s'arrache au prsent il meurt. La vie qui est adaptation au prsent et permanence dans le prsent repose sur des liens innombrables que le langage ne peut saisir. L'quilibre est fait de mille quilibres. Et il en est, si tu en tranches un seul la suite d'une dmonstration abstraite, comme de l'lphant qui est construction norme et qui cependant, si tu tranches un seul de ses vaisseaux, va mourir. Il ne s'agit point l de souhaiter que tu ne changes rien. Car tu peux tout changer. Et d'une plaine pre tu peux faire une plantation de cdres. Mais il importe non pas que tu construises des cdres mais smes des graines. Et chaque instant la graine elle-mme ou ce qui natra de la graine sera en quilibre dans le prsent.)
Mais il est plusieurs angles sous lesquels voir les choses. Et si je choisis la montagne qui me dpartage les hommes selon leur droit aux provisions, il est probable que je m'irriterai selon ma justice. Mais probable il est aussi que ma justice serait autre d'une autre montagne qui autrement dpartagerait les hommes. Et je voudrais que toute justice soit rendue. C'est pourquoi je fis observer les hommes.
(Car il n'est point une justice mais un nombre infini. Et je puis bien dpartager par l'ge pour rcompenser mes gnraux en les faisant crotre en honneurs et en charges. Mais je puis aussi bien leur permettre un repos qui augmente avec les annes et, en les dchargeant de leurs charges et en couvrant des paules jeunes. Et je puis juger selon l'empire. Et je puis juger selon les droits de l'individu ou, travers lui, contre lui, selon l'homme.)
Et si considrant la hirarchie de mon arme je tiens juger de son quit me voil pris dans un rseau de contradictions irrductibles. Car il est les services rendus, les capacits, le bien de l'empire. Et je trouverai toujours une chelle de qualit indiscutable qui me dmontrera mon erreur selon une autre. Donc peu me trouble que l'on me montre qu'il est un code vident selon lequel mes dcisions sont monstrueuses, connaissant d'avance que quoi que je fasse il en sera ainsi et qu'il importe de peser un peu, de mrir un peu la vrit pour l'obtenir non dans les mots mais dans son poids. (Ici peut tre parl des lignes de force.)
CXV
Donc je considrais comme vain de lire ma cit du point de vue des bnficiaires. Car tous sont critiquables. Et ce n'tait point l mon problme. Ou plus exactement il ne se posait qu'en second. Car ensuite je dsire certes que mes bnficiaires soient ennoblis et non abtardis par l'usage du bnfice. Mais m'importe d'abord le visage de ma cit.
Donc je m'en fus me promener, flanqu d'un lieutenant qui interrogeait les passants.
Que fais-tu dans la vie? demandait-il, au hasard des rencontres, l'un ou l'autre.
Je suis charpentier, disait celui-l.
Je suis laboureur, disait cet autre.
Je suis forgeron, disait le troisime.
Je suis berger, disait un autre.
Ou je creuse des puits. Ou je soigne des malades. Ou j'cris pour ceux qui ne savent crire. Ou je suis boucher pour la viande. Ou je martle des plateaux th. Ou je tisse des toiles. Ou je couds des vtements. Ou
Et il m'apparaissait que ceux-l travaillaient pour tous. Car tous consomment du btail, de l'eau, des remdes, des planches, du th et des vtements. Et nul ne consomme exagrment pour son propre usage car tu manges une fois et te soignes une fois, tu t'habilles une fois, tu bois une fois le th, tu cris une fois tes lettres et tu dors dans un lit d'une maison.