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Car le cdre n'est point refus et haine de ce qui n'est point cdre, mais rocaille draine par le cdre et devenue arbre.

Si tu luttes contre quoi que ce soit, le monde entier te deviendra suspect car tout est abri possible et rserve possible et nourriture possible pour ton ennemi. Si tu luttes contre quoi que ce soit, tu dois t'anantir toi-mme car il en est en toi une part, aussi faible soit-elle.

Car la seule injustice que je conoive est celle de la cration. Et tu n'as point dtruit les sucs qui eussent pu nourrir la ronce, mais tu as difi un cdre qui les a pris pour soi et la ronce ne natra point.

Si tu deviens tel arbre tu ne deviendras point un autre. Et tu as t injuste pour les autres.)

Quand ta ferveur s'teint tu fais durer l'empire avec tes gendarmes. Mais si les gendarmes seuls le peuvent sauver c'est que l'empire est dj mort. Car ma contrainte c'est celle du pouvoir du cdre qui noue dans ses nuds les sucs de la terre, non la strile extermination des ronces et des sucs, lesquels certes s'offraient aux ronces mais se fussent aussi offerts au cdre.

O vois-tu que l'on fasse la guerre contre quelque chose? Le cdre qui prospre et anantit la broussaille se moque bien de la broussaille. Il n'en connat point l'existence. Il fait la guerre pour le cdre et transforme en cdre la broussaille.

Veux-tu faire mourir contre? Qui voudra mourir? On veut bien tuer mais non mourir. Or l'acceptation de la guerre c'est l'acceptation de la mort. Et l'acceptation de la mort n'est possible que si tu t'changes contre quelque chose. Donc dans l'amour.

Ceux-l hassent autrui. Et s'ils ont des prisons ils y entassent des prisonniers. Mais tu btis ainsi ton ennemi car les prisons sont plus rayonnantes que les monastres.

Celui qui emprisonne ou excute c'est que d'abord il doute de soi-mme. Il extermine les tmoins et les juges. Mais il ne te suffit pas pour te grandir d'exterminer ceux qui te voyaient bas.

Celui qui emprisonne et excute c'est aussi qu'il rejette les fautes sur autrui. Donc qu'il est faible. Car plus te voil fort plus tu prends les fautes ta charge. Elles te deviennent enseignements pour ta victoire. Mon pre, un de ses gnraux s'tant fait battre et s'en excusant, l'interrompit: Ne sois pas prtentieux au point de te flatter de ce que tu eusses pu commettre une faute. Lorsque je monte un ne et qu'il s'gare, ce n'est point l'ne qui se trompe. C'est moi.

L'excuse des tratres, disait ailleurs mon pre, c'est d'abord qu'ils ont pu trahir.

CXXII

Quand les vrits sont videntes et absolument contradictoires, tu ne peux rien, sinon changer ton langage.

La logique ne mord point pour t'aider te faire passer d'un tage l'autre. Tu ne prvois point le recueillement partir des pierres. Et si tu parles du recueillement avec le langage des pierres, tu choues. Il te faut inventer ce mot neuf pour rendre compte d'une certaine architecture de tes pierres. Car il est n un tre neuf, non divisible, ni explicable, car expliquer c'est dmonter. Et tu le baptises donc d'un nom.

Comment raisonnerais-tu sur le recueillement? Comment raisonnerais-tu sur l'amour? Comment raisonnerais-tu sur le domaine? Ils sont non des objets mais des dieux.

Moi j'ai connu celui-l qui voulait mourir parce qu'il avait entendu chanter la lgende d'un pays du Nord et, vaguement, connaissait que l'on y marche une certaine nuit de l'anne dans la neige, laquelle est craquante, sous les toiles vers des maisons de bois illumines. Et si tu entres dans leur lumire aprs ta route et colles ton visage aux carreaux, tu dcouvres de cette clart qu'elle te vient d'un arbre. Et l'on te dit que c'est une nuit qui a un got de jouets de bois verni et une odeur de cire. Et l'on te dit des visages de cette nuit-l qu'ils sont extraordinaires. Car ils sont de l'attente d'un miracle. Et tu vois tous les vieux qui retiennent leur souffle et fixent les yeux des enfants, et se prparent de grands battements de cur. Car il va passer dans ces yeux d'enfants quelque chose d'insaisissable qui n'a point de prix. Car tu l'as bti toute l'anne par l'attente et par les rcits et par les promesses et surtout par tes airs entendus et tes allusions secrtes et l'immensit de ton amour. Et maintenant tu vas dtacher de l'arbre quelque humble objet de bois verni et le tendre l'enfant selon la tradition de ton crmonial. Et c'est l'instant. Et nul ne respire plus. Et l'enfant bat des paupires car on l'a frachement tir du sommeil. Et il est l sur tes genoux avec cette odeur d'enfant frais que l'on a tir du sommeil et qui te fait autour du cou quand il t'embrasse quelque chose qui est fontaine pour le cur et dont tu as soif. (Et c'est le grand ennui des enfants que d'tre pills d'une source qui est en eux et qu'ils ne peuvent point connatre et laquelle tous viennent boire, qui ont vieilli de cur, pour rajeunir.) Mais les baisers sont ici suspendus. Et l'enfant regarde l'arbre, et tu regardes l'enfant. Car il s'agit de cueillir une surprise merveille comme une fleur rare qui natrait une fois l'an dans la neige.

Et te voil combl par une certaine couleur des yeux qui deviennent sombres. Car l'enfant s'enroule sur son trsor pour s'en clairer l'intrieur, d'un coup, ds que le cadeau l'a touch, comme le font les anmones de mer. Et il fuirait si tu le laissais fuir. Et il n'y a point d'espoir de l'atteindre. Ne lui parle pas, il n'entend plus.

Cette couleur peine change, plus lgre que d'un nuage sur la prairie, ne va pas me dire qu'elle ne pse point. Car si mme elle se trouvait seule rcompense de ton anne et de la sueur de ton travail et de ta jambe perdue la guerre, et de tes nuits de mditation et des affronts et des souffrances endurs, voici qu'elle te paierait quand mme et t'merveillerait. Car tu gagnes dans cet change.

Car il n'est point de raisonnement pour raisonner sur l'amour du domaine, sur le silence du temple ni pour cette seconde incomparable.

Donc mon soldat voulait mourir lui qui n'avait vcu que de soleil et que de sable, lui qui ne connaissait point d'arbre de lumire, lui qui savait peine la direction du nord parce qu'on lui avait dit qu'taient menaces quelque part par quelque conqute une certaine odeur de cire et une certaine couleur des yeux et que les pomes les lui avaient autrefois faiblement apportes comme le vent l'odeur des les. Et je ne connais point de raison meilleure pour mourir.

Car il se trouve que t'alimente seul le nud divin qui noue les choses. Lequel se rit des mers et des murs. Et te voil combl dans ton dsert de ce qu'exist quelque part, dans une direction que tu ignores, chez des trangers dont tu ne sais rien en un pays dont tu ne peux rien concevoir, une certaine attente d'une certaine image d'un pauvre objet de bois verni, laquelle s'enfonce dans les yeux d'un enfant comme une pierre dans les eaux dormantes.

Et il se trouve que l'aliment que tu en reois te vaut la peine de mourir. Et que je lverais des armes, si je le souhaitais, pour sauver quelque part dans le monde une odeur de cire.

Mais je ne lverai point d'arme pour la dfense des provisions. Car elles sont faites et tu n'as rien en attendre, sinon de te changer en btail morne.

C'est pourquoi si s'teignent tes dieux tu n'accepteras plus de mourir. Mais tu ne vivras point non plus. Car n'existent point les contraires. Si la mort et la vie sont des mots qui se tirent la langue, reste cependant que tu ne peux vivre que de ce qui te peut faire mourir. Et qui refuse la mort, refuse la vie.

Car s'il n'est rien au-dessus de toi, tu n'as rien recevoir. Sinon de toi-mme. Mais que tires-tu d'un miroir vide?