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Les Chambres, tous les ans, sont gravement occupées. Il est sans doute très important de désenfler les sinécures et d’écheniller le budget; il est très important de faire des lois pour que j’aille, déguisé en soldat, monter patriotiquement la garde à la porte de M. le comte de Lobau, que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître, ou pour me contraindre à parader au carré Marigny, sous le bon plaisir de mon épicier, dont on a fait mon officier [3].

Il est important, députés ou ministres, de fatiguer et de tirailler toutes les choses et toutes les idées de ce pays dans des discussions pleines d’avortements; il est essentiel, par exemple, de mettre sur la sellette et d’interroger et de questionner à grands cris, et sans savoir ce qu’on dit, l’art du dix-neuvième siècle, ce grand et sévère accusé qui ne daigne pas répondre et qui fait bien; il est expédient de passer son temps, gouvernants et législateurs, en conférences classiques qui font hausser les épaules aux maîtres d’école de la banlieue; il est utile de déclarer que c’est le drame moderne qui a inventé l’inceste, l’adultère, le parricide, l’infanticide et l’empoisonnement, et de prouver par là qu’on ne connaît ni Phèdre, ni Jocaste, ni Œdipe, ni Médée, ni Rodogune; il est indispensable que les orateurs politiques de ce pays ferraillent, trois grands jours durant, à propos du budget, pour Corneille et Racine, contre on ne sait qui, et profitent de cette occasion littéraire pour s’enfoncer les uns les autres à qui mieux mieux dans la gorge de grandes fautes de français jusqu’à la garde.

Tout cela est important; nous croyons cependant qu’il pourrait y avoir des choses plus importantes encore.

Que dirait la Chambre, au milieu des futiles démêlés qui font si souvent colleter le ministère par l’opposition et l’opposition par le ministère, si, tout à coup, des bancs de la Chambre ou de la tribune publique, qu’importe? quelqu’un se levait et disait ces sérieuses paroles:

– Taisez-vous, qui que vous soyez, vous qui parlez ici, taisez-vous! vous croyez être dans la question, vous n’y êtes pas.

La question, la voici. La justice vient, il y a un an à peine, de déchiqueter un homme à Pamiers avec un eustache; à Dijon, elle vient d’arracher la tête à une femme; à Paris, elle fait, barrière Saint-Jacques, des exécutions inédites.

Ceci est la question. Occupez-vous de ceci.

Vous vous querellerez après pour savoir si les boutons de la garde nationale doivent être blancs ou jaunes, et si l’assurance est une plus belle chose que la certitude.

Messieurs des centres, messieurs des extrémités, le gros du peuple souffre!

Que vous l’appeliez république ou que vous l’appeliez monarchie, le peuple souffre, ceci est un fait.

Le peuple a faim, le peuple a froid. La misère le pousse au crime ou au vice, selon le sexe. Ayez pitié du peuple, à qui le bagne prend ses fils, et le lupanar ses filles. Vous avez trop de forçats, vous avez trop de prostituées.

Que prouvent ces deux ulcères?

Que le corps social a un vice dans le sang.

Vous voilà réunis en consultation au chevet du malade; occupez-vous de la maladie.

Cette maladie, vous la traitez mal. Étudiez-là mieux. Les lois que vous faites, quand vous en faites, ne sont que des palliatifs et des expédients. Une moitié de vos codes est routine, l’autre moitié empirisme.

La flétrissure était une cautérisation qui gangrenait la plaie; peine insensée que celle qui pour la vie scellait et rivait le crime sur le criminel! qui en faisait deux amis, deux compagnons, deux inséparables!

Le bagne est un vésicatoire absurde qui laisse résorber, non sans l’avoir rendu pire encore, presque tout le mauvais sang qu’il extrait. La peine de mort est une amputation barbare.

Or, flétrissure, bagne, peine de mort, trois choses qui se tiennent. Vous avez supprimé la flétrissure; si vous êtes logiques, supprimez le reste.

Le fer rouge, le boulet et le couperet, c’étaient les trois parties d’un syllogisme.

Vous avez ôté le fer rouge; le boulet et le couperet n’ont plus de sens. Farinace était atroce; mais il n’était pas absurde.

Démontez-moi cette vieille échelle boiteuse des crimes et des peines, et refaites-la. Refaites votre pénalité, refaites vos codes, refaites vos prisons, refaites vos juges. Remettez les lois au pas des mœurs.

Messieurs, il se coupe trop de têtes par an en France. Puisque vous êtes en train de faire des économies, faites-en là-dessus.

Puisque vous êtes en verve de suppressions, supprimez le bourreau. Avec la solde de vos quatrevingts bourreaux, vous payerez six cents maîtres d’école.

Songez au gros du peuple. Des écoles pour les enfants, des ateliers pour les hommes.

Savez-vous que la France est un des pays de l’Europe où il y a le moins de natifs qui sachent lire! Quoi! la Suisse sait lire, la Belgique sait lire, le Danemark sait lire, la Grèce sait lire, l’Irlande sait lire, et la France ne sait pas lire? c’est une honte.

Allez dans les bagnes. Appelez autour de vous toute la chiourme. Examinez un à un tous ces damnés de la loi humaine. Calculez l’inclinaison de tous ces profils, tâtez tous ces crânes. Chacun de ces hommes tombés a au-dessous de lui son type bestial; il semble que chacun d’eux soit le point d’intersection de telle ou telle espèce animale avec l’humanité. Voici le loup-cervier, voici le chat, voici le singe, voici le vautour, voici la hyène. Or, de ces pauvres têtes mal conformées, le premier tort est à la nature sans doute, le second à l’éducation.

La nature a mal ébauché, l’éducation a mal retouché l’ébauche. Tournez vos soins de ce côté. Une bonne éducation au peuple. Développez de votre mieux ces malheureuses têtes, afin que l’intelligence qui est dedans puisse grandir.

Les nations ont le crâne bien ou mal fait selon leurs institutions.

Rome et la Grèce avaient le front haut. Ouvrez le plus que vous pourrez l’angle facial du peuple.

Quand la France saura lire, ne laissez pas sans direction cette intelligence que vous aurez développée. Ce serait un autre désordre. L’ignorance vaut encore mieux que la mauvaise science. Non. Souvenez-vous qu’il y a un livre plus philosophique que Le Compère Mathieu, plus populaire que le Constitutionnel, plus éternel que la charte de 1830; c’est l’Écriture sainte. Et ici un mot d’explication.

Quoi que vous fassiez, le sort de la grande foule, de la multitude, de la majorité, sera toujours relativement pauvre, et malheureux, et triste. À elle le dur travail, les fardeaux à pousser, les fardeaux à traîner, les fardeaux à porter.

Examinez cette balance: toutes les jouissances dans le plateau du riche, toutes les misères dans le plateau du pauvre. Les deux parts ne sont-elles pas inégales? La balance ne doit-elle pas nécessairement pencher, et l’état avec elle?

Et maintenant dans le lot du pauvre, dans le plateau des misères, jetez la certitude d’un avenir céleste, jetez l’aspiration au bonheur éternel, jetez le paradis, contre-poids magnifique! Vous rétablissez l’équilibre. La part du pauvre est aussi riche que la part du riche.

C’est ce que savait Jésus, qui en savait plus long que Voltaire.

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[3] Il va sans dire que nous n’entendons pas attaquer ici la patrouille urbaine, chose utile, qui garde la rue, le seuil et le foyer; mais seulement la parade, le pompon, la gloriole et le tapage militaire, choses ridicules, qui ne servent qu’à faire du bourgeois une parodie du soldat.