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— Le docteur Pardevent que vous avez appelé dans la soirée pour votre petit garçon, insisté-je.

Le mec bâille. Il dit :

— Nous n'avons pas appelé le docteur et notre petit garçon est au service militaire. C'est une erreur… ou une blague !

— Probablement, fais-je misérablement. Pour aller aux Lanterniers, en partant du centre de Vilain-le-Bel, par où doit-on passer ?

— Le chemin à droite, tout de suite après l'église. Vous le suivez sur à peu près deux kilomètres et puis vous apercevez nos serres.

— Merci.

— Pas de quoi.

Il raccroche. J'en fais autant.

Je stoppe devant la pharmacie Purgon. Sa croix verte ne clignote plus et tout est éteint au-dessus du magasin. Le gros bourg dort sagement sous un clair de lune haché par des nuages filandreux. Il va sûrement pleuvoir. Je repars. La route à droite, « tout de suite après l'église ». Eglise à la Vlaminck, légèrement de guingois. Quelques maisons de village, cossues, avec des jardins entourés de hauts murs. Et puis la campagne, déjà un peu normande, pleine de pommiers courbés sous leurs fruits. Un terrain de foot flanqué de constructions en préfabriqué. Enfin des terres à blé ou à maïs, des fermettes et leurs hangars abritant des machines agricoles.

Je roule à l'allure d'un taxi maraudeur. Je cherche en ayant peur de trouver. Là-bas, le chemin décrit une courbe, longe une mare, aborde un boqueteau. Je ralentis encore. « C'est là ». Un flic branché et qui possède le sixième sens poulet ne saurait se gourer. Et, en effet, j'aperçois un scintillement de vitres et de chromes entre les arbres. Je pile sur le bas-côté et m'élance.

C'est une Peugeot 5 CV blanche, avec le crocodile Lacoste peint sur la carrosserie. Le caducée rouge collé au pare-brise. Derrière le volant, Marie-France, la tête ravagée par une balle de gros calibre qui lui a fait sauter la calotte crânienne. Elle a un gant de cuir enfoncé dans la bouche. Sa trousse est posée à l'arrière de la voiture. Les vitres du véhicule sont embuées bien qu'elle ne respire plus depuis longtemps.

Je referme sa portière. Malade à dégueuler d'une tristesse cosmique. Je m'accagnarde au capot. Mes pensées font la toupie sous mon crâne. Je me dis : « Ce con de Bérurier l'a tuée avec sa combine à la noix ! »

Je voudrais cogner sur mon pote. L'injurier. Je voudrais…

Je voudrais, je voudrais, je voudrais…

Et puis je chiale à sec.

DES NUITS D'AMOUR А EN MOURIR

A gauche de la pharmacie, il y a une allée équipée d'une porte vitrée à travers laquelle on voit un escalier garni de tomettes, des murs aux pierres apparentes et une grosse rampe de bois à balustres Louis XIII. L'ensemble fait vieil immeuble rénové par un promoteur connaissant parfaitement les goûts des gens amateurs « d'ancien ». Il faut actionner un contacteur d'appel pour se faire ouvrir, mais ce genre de jolie serrure en laiton, tu me confies une pièce de deux francs et je te lui fais rendre gorge en moins de temps que tu en mets pour te briquer le frifri après le départ de Charles-Henri, l'ami d'enfance de ton époux.

Je gravis dix-huit marches qui me hissent au palier de Mme Purgon, la pharmacienne.

Cette fois, l'ami sésame a maille à partir avec deux verrous récalcitrants. Celui du haut, surtout, chinoise. Les fabricants de serrures sont de plus en plus talonnés par les assureurs qui exigent de la performance, question sécurité. Conclusion, les malfrats et moi perdons désormais dix minutes sur des fermetures qui, jadis, ne nous mobilisaient qu'une trentaine de secondes. Et ça change quoi à la finalité des choses ? Tu peux me le dire, les yeux dans les yeux, comme répète Jean-Marie Le Pen ?

J'escrime en rongeant mon frein à main (j'ai moins à me baisser qu'avec le frein à pied) et finis par obtenir gain de cause.

Une infecte odeur m'agresse les narines (et même les tympans, tant elle est forte !). Moi, j'aime les chats, mais à l'unité. Dès qu'il y a séminaire, je biche la gerbe. Ça fouette tant tellement que je me demande si je vais pouvoir affronter la chatterie. Surtout que voilà déjà une horde de greffiers frôleurs qui se frottent contre mes jambes en ronronnant bas, ce qui est poli de leur part.

J'hésite à shooter dans le tas, mais tu es tellement chinois que tu irais me rapiner à la Société Protectrice des Animaux pour qu'elle entreprenne une « action » contre moi ! Alors j'écarte du panard, mais en douceur.

L'entrée est rectangulaire, meublée d'un canapé à deux places et d'une patère avec miroir. En face, t'as la double porte vitrée du salon, à droite la cuistance et à gauche, la chambre. Mme Purgon, en femme qui vit seule et commerce toute la sainte journée, n'a pas besoin de disposer d'un palais, le soir, pour aller filer du mou à ses matous et cloquer ses abats à elle entre deux draps de lit.

Silencieux comme ce que tu voudras (sauf une ombre, j'en ai plein les meules de ces clichés à la con), je passe au livinge. Madoué ! Faut aimer ! Des paniers capitonnés sont en queue leu leu. Des jattes de lait, des assiettes dans lesquelles subsistent des reliefs de nourriture débectante. Il y a des poils partout vu qu'elle produit dans l'angora, la mère ! Une caissette emplie de sable où cette engeance chatounesque pisse et défèque royalement.

Je suis confronté (comme on dit en style d'époque) à un mobilier ancien, pur breton de la nationale 13, avec adjonction de bassinoires en cuivre, de plats à barbe en faïence, de rouets en bois tourné, vue nocturne du Mont-Saint-Miche ! vue diurne de Pont-Aven peinte sur écorce d'arbre en plastique.

Je vois une « travailleuse » ouverte, hébergeant un ouvrage indéfinissable. Le fauteuil avec repose-pieds est garni de coussins avachis. Bref, c'est l'antre d'une personne âgée en fin de parcours qui s'écoute vieillir en caressant ses chats.

Sur une console, j'avise le téléphone. Un bloc et un crayon l'escortent, mais il n'y a rien de marqué sur le bloc. Je passe alors à la cuisine. Mémère doit avoir une femme de ménage car de la vaisselle sale est rassemblée dans la cuvette de l'évier et la table n'est pas complètement desservie. Du pain dans une corbeille, un calandos à l'abandon dans sa boîte (au milieu de son papier, il a l'air d'un colombin), quelques fruits en cours de pourrissement dans un compotier, des miettes, une bouteille d'eau minérale ; c'est pas la joie. Non, franchement, il n'est guère envisageable que la femme habitant ici puisse être mêlée à une affaire de meurtres et de bites coupées.

Les greffiers enhardis se font de plus en plus pressants dans mes cannes. Ils miaulassent. N'ont pas faim, mais aimeraient des caresses. Je flatte du bout des doigts les échines arquées, duveteuses. Les queues dressées vibrent comme l'antenne radio d'un camion dont le moteur tourne (et Dieu sait que leurs moteurs tournent, à ces bestioles).

J'éteins ma torche électrique et me risque à ouvrir la chambre. L'odeur qui s'en dégage n'est guère plus réjouissante que celle qui flotte dans l'entrée et au livinge. Ça fouette le vieux, le remède, la pisse froide. La mère Purgon ronfle d'une manière affolante qui te panique car tu crois à tout bout de champ qu'elle vient de claquer et que son souffle s'est arrêté net, au sommet d'une côte. Et puis il y a un brin de râle et ça repart. La fenêtre sans rideau répand sur sa couche une lumière blanche, calamiteuse. Elle est de ces vieilles gens qui ne tirent pas les rideaux parce que la clarté du jour les rassure.

Je fais deux pas sur un tapis et j'avise une tronche large, ridée. Visage plat, gros sourcils encore gris, cheveux blancs coupés court. Mammy porte une chemise de nuit chaste. Il y a un crucifix à la tête de son plumard, flanqué du traditionnel petit rameau de buis jauni (ce goupillon du pauvre). Sur sa table de noye, un verre où ses dominos font trempette dans une solution mousseuse. Non, Sana, t'as rien à glander ici. Rien à espérer. Le mystère se trouve ailleurs. Malgré la logique, le coup de turlu de la pauvre Francine à la pharmagote n'a rien déclenché. Elle est hors circuit. Il faut chercher ailleurs la clé de ce patacaisse invraisemblable.