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Je me retire à reculons. Hélas, les chats sont entrés en force dans la chambre de leur bienfaitrice et se ruent sur son lit qu'ils piétinent en ronronnant tout autour de sa figure. Si bien que la vioque se réveille et se dresse sur son océan (comme dit Béru).

— Mais que faites-vous là, mes mignons ! s'écrie la digne vieillarde. J'avais pourtant fermé ma porte !

Moi, immobile, je n'ose risquer un mouvement. J'attends, espérant qu'elle ne va pas donner la luce et que ma présence ne lui sera pas révélée. Chimérique ! Mémé actionne sa poire électrique. Et, d'emblée, elle m'avise. Eh bien, mon vieux, je dois te dire une chose : chapeau ! Elle est très bien. Pas d'affolement, de trouille noire, d'au secours intempestifs. Calmos !

— Ah ! Ça, alors ! Mais qui êtes-vous et que faites-vous ici ? elle me lance.

La personne cultivée. Elle dit pas « qui vous êtes », et pose la liaison à que faites-vous z'ici.

Un peu pris au dépourvu, ton Antoine, amigo.

Je lui souris. Ici que les Athéniens s'atteignirent, que les Perses percèrent et que les croisés sautèrent par les fenêtres, comme disait papa dans ses bons jours. Faut faire front quand t'as à gérer un tel capital de mouscaille. Et bon, s'agit de débrouiller l'écheveau. Primo : ma carte tricolorisante, rassurante, policée.

— Commissaire San-Antonio, madame Purgon.

Mais elle, ça ne résout pas sa perplexité.

— Et vous pénétrez par effraction chez les vieilles dames endormies ?

— L'heure est grave, me justifié-je.

— Je l'espère bien, et probablement ne l'est-elle point encore assez pour justifier cette illégalité.

Bon, le beau langage, dans le fond, ça m'arrange. La rogne n'a pas le temps de phraser. Quand tu fulmines, c'est pas au subjonctif. Donc, mammy reste urbaine, sereine et tout.

— Ce soir, n'auriez-vous pas reçu un appel téléphonique du docteur Marie-France Pardevent ?

— En effet.

— A quel propos ?

— Elle m'appelait à cause d'un canular grotesque.

— Puis-je en connaître ?

— Elle avait été prévenue que je détenais des sexes masculins sectionnés dans le réfrigérateur de mon officine.

Elle pouffe. Et moi, en père turbable, comme dit le Mahousse :

— Ce qui est faux ?

Là, elle affiche « pouce, je ne joue plus », mémère.

— Parlez-vous sérieusement, inspecteur ? N'étant pas mégalo, je ne rectifie pas son erreur de qualificatif.

— Un policier ne repousse jamais rien sans s'être informé.

— Une telle déclaration ne vous fait pas sursauter ? me demande-t-elle.

— Des sursauts, madame, dans mon métier, j'en ai si fréquemment que je crois parfois avoir contracté la danse de Saint-Gui.

Elle cale son dos avec ses oreillers.

— Comment savez-vous que la doctoresse m'a téléphoné, elle vous a prévenu ?

— C'est cela.

— L'idiote ! Elle a cru à une farce aussi énorme !

— Je ne sais si elle y a cru, toujours est-il qu'elle en est morte.

La vioque, du coup, prend les couleurs attrayantes d'une jatte de crème.

— Mais que me baillez-vous là ! Est-ce une farce cruelle ou bien faisons-nous un cauchemar ?

— Peut-être les deux réunis, madame Purgon. Après l'appel téléphonique du docteur Pardevent, avez-vous parlé à quelqu'un ?

— Absolument pas j'étais déjà au lit et je me suis rendormie aussitôt ; je trouvais la chose tellement insensée ! Comment cette petite a-t-elle été tuée ? Car elle aurait été tuée, si j'ai bien compris ?

— Une balle dans la tête. Travail de professionnel. Du gros calibre qui ne plaisante pas. Vous voulez bien vous habiller, j'aimerais que nous conversions ailleurs que dans cette chambre.

— Seigneur Jésus, quelle histoire ! Je peux vous demander de me laisser un instant ?

— Volontiers.

Je retourne dans l'entrée. Les greffiers continuent leur sarabande dans mes quilles. Ils m'ont à la chouette. Les chattes surtout, fatal !

Moi, impudent, mais prudent, je m'agenouille devant la porte de la chambre pour mater par le trou de serrure. Mémère est assise au bord de son pieu, tâtonnant du bout des pieds pour réintégrer ses pantoufles à pompons. Elle s'arrache en geignant, se gratte les miches à travers sa chemise de noye puis se dirige vers sa salle de bains et je l'entends licebroquer. Elle passe un bout de moment dans la salle d'eau pour se bichonner. Serait-elle coquette ? Les vachasses de ce tonneau, quand tu les vois se mignarder, t'as envie de leur dire que c'est pas la peine ; du temps perdu. On ne rafistole pas l'irréparable, ça ne fait que l'aggraver. Elle réapparaît drapée dans un gros peignoir de pilou à carreaux écossais. Elle s'est filé du rouge à lèvres à la n'importe comment. Elle s'arrête à sa table de chevet pour y ramasser ses besicles qu'elle chausse d'un geste lent. Lorsqu'elle déboule dans l'entrée, je suis installé dans le canapé avec deux matous sur les genoux, dont je gratte l'occiput du bout de l'ongle.

— Bon, je suis à vous, soupire-t-elle. Je pense à la petite Pardevent ! Assassinée ! Pourquoi croyez-vous que ce meurtre soit en liaison avec ce qu'elle m'a annoncé ?

Je lui réponds d'un geste vague.

— Vous voulez bien que nous descendions à la pharmacie ? demandé-je.

— Si vous y tenez… Je prends les clés !

Elle va décrocher un trousseau fixé à un clou dans la cuisine, et nous dégageons.

L'officine, avec ses odeurs caractéristiques.

— Je suppose que vous tenez à vérifier le réfrigérateur, inspecteur ?

« L'inspecteur » répond qu'en effet. Mammy va au meuble qu'elle délourde. Dedans se trouvent des sacs de plastique identiques à ceux que j'ai trouvés lors de ma visite nocturne avec Riton, et qui contiennent des tranches d'abats.

— La viande pour mes chats, annonce Mme Purgon. Je l'entrepose ici depuis que mon frigo de l'appartement est en panne. J'en ai commandé un autre voici plus d'un mois et je l'attends encore ! On vous rebat les oreilles avec le chômage, mais c'est la croix et la bannière pour être livré.

J'examine les tronçons de viande, écœurants et fermes à cause du froid. Je les contrôle tous, l'un après l'autre. Rien de suspect.

— Si ce réfrigérateur sert pour vos chats, remarqué-je, où conservez-vous les produits nécessitant une basse température ?

— J'ai un second appareil.

Elle m'entraîne vers une sorte de long comptoir recouvert de marbre, servant aux préparations. Sous la banque se trouve effectivement un frigo, dont le volume évoque ceux qu'on met à la disposition des clients dans les chambres d'hôtel. Je l'ouvre. Des boîtes et des flacons s'y trouvent soigneusement rangés. Je les regarde de près : tout est O.K.

— Autre chose ? questionne la vieillasse.

Je secoue la tête. M'assieds sur un tabouret de fer émaillé, pose mon coude sur le comptoir marmoréen. Temps mort réclamé par l'arbitre ! J'essaie de faire le point. Une nuit d'il y a pas longtemps, le gars Riton, en manque, s'est introduit céans. Il a avisé le frigo, l'autre, dont la porte imite le bois. L'a pris pour le coffiot de la pharmacie et l'a craqué. Le faisceau de sa lampe électrique lui a révélé d'étranges paquets de plastique à travers lequel il a cru voir… Oui des zobs, mon z'amis ! Sur le coup, le môme a pensé qu'il berlurait. Alors il a voulu en avoir le cœur net et…

Et moi, à cet instant, je me dis formellement que C'ETAIENT DES ZOBS ! Là, à la seconde, j'y crois pour tout de bon. Et pourtant, mammy Purgon est l'image même de l'archi-innocence. Cette grosse vieille harassée est incapable de faire du mal à une puce de mouche ! On l'a feintée ! Abusée. Les pafs coupés ont dû transiter une nuit, une nuit seulement, par sa pharmacie. La nuit où Riton s'y est introduit ! Caprice indicible des hasards ! Elle n'en a jamais rien su et, quand on lui parle de la chose, ça la fait marrer !