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Bon, il n'y a que deux autres personnes qui aient pu tremper dans cette sinistre histoire : celles-là même qui travaillent pour elle, c'est-à-dire la préparatrice et l'homme de courses.

Et pourtant, cette nuit…

Marie-France téléphone à la vieille. Peu après on la réclame au chevet d'un enfant malade. Bidon ! Elle est assassinée avant d'atteindre la maison du môme. Et cependant, la vieille n'a prévenu personne puisqu'elle est sur écoutes et que le service ne m'a pas appelé. Faudrait peut-être que je roupille un peu pour être en forme ? M'man me répète inlassablement qu'à trop tirer sur la corde… Puiser dans ses réserves, c'est bien joli, mais elles s'épuisent, et toi avec.

Je songe à Toinet, chez les Béru. J'ai pas envie de rentrer à Saint-Cloud. Maria va me sauter sur le pafoski et se goinfrer de chibre. J'ai de la peine à cause de la pauvre doctoresse honteusement butée. Notre aventure n'aura duré qu'une poignée d'instants, mais ils étaient de première.

Alors, tu sais quoi ?

Franchement, ça ne m'était encore jamais arrivé, un coup pareil : je retourne au manoir de Con-la-Ville demander asile à Miss de Saint-Braque.

Chose curieuse, voire étrange, pour ne pas dire bizarre, lorsque je stoppe ma Maserati devant le perron, une fenêtre qui restait éclairée s'ouvre, et Francine apparaît au premier.

— Oh ! c'est vous, commissaire ! Je descends vous ouvrir.

Fectivement, la voilà qui délourde une porte-fenêtre de la terrasse. Elle est nu-pieds comme l'était ma gentille doctoresse et presque nue tout court, n'ayant pour vêtement qu'une chemise de noye si légère qu'on lui voit le dito à travers.

Elle me sourit.

— J'étais en train de penser à vous, affirme-t-elle. Quelque chose me disait que vous alliez revenir ici dans la nuit. Il est quelle heure ?

J'interroge ma Pasha.

— Bientôt quatre heures ; vous devez me trouver un peu cavalier, non ?

Elle secoue négativement la tête.

— Nous vivons des instants d'exception, murmure-t-elle.

Pour elle, c'est une explication et une excuse.

— Vous paraissez très fatigué, remarque Francine de Saint-Braque.

— Parce que je le suis.

— Avez-vous dîné ?

— Non.

— Venez vous restaurer à l'office.

Ma foi je la suis et bien m'en prend car, trois minutes plus tard, je suis attablé dans une vaste cuistance campagnarde, devant un grand pot de rillettes, du pain de ménage poudré de farine grise et une boutanche de bourgueil. Une bonne vieille horloge à balancier joue du Brel dans un silence rural.

Francine s'est lovée en tailleur, face à moi, dans un fauteuil garni de paille. Elle me regarde manger avec intérêt.

— Vous n'êtes pas un policier ordinaire, murmure-t-elle.

Je prends la voix de la mère Denis pour répondre :

— Ça c'est vrai, ça !

— Votre enquête progresse ?

— A pas de géant.

— Vous avez des résultats ?

— Les résultats, c'est à l'arrivée ; pour moment, les événements vont bon train.

— Je peux savoir ?

— Vous lirez tout ça dans les journaux.

Cette fin de non-recevoir, loin de la formaliser, la fait sourire. Je la mate froidement. Après tout, elle n'est pas mal. Un peu sèche, un peu « faussement masculine » si tu vois ce que je veux dire.

Non ! Tu ne vois pas ? Je m'en fous, j'ai pas le temps de t'expliquer : c'est trop subtil, on y passerait le reste de la nuit.

— Votre frénésie sexuelle, c'est de famille ? je demande, la bouche pleine.

Elle paraît choquée, se guinde un peu et son regard devient un tantisoit oblique, tel celui d'un chat qui t'emmerde.

Comme elle ne répond pas, je poursuis après avoir dégluti :

— Notez que moi aussi j'aime le cul ; mais je ne crois pas être vicieux.

— Qui vous dit que je suis vicieuse ?

— Les renseignements recueillis aux sources.

— Il n'y a pas de vice, il n'y a que des goûts différents, récite-t-elle.

— Montherlant, complété-je.

Je me retartine des rillettes.

— Elles sont fameuses, assuré-je.

— C'est notre vieille bonne qui les fait.

Elle se déploie pour aller chercher du fromage, et ce faisant, j'aperçois sa chatte en direct. Elégamment fendue, poilue avec tact, d'un rose délicat.

— Est-ce que ces loubars de mes deux apprécient seulement, dis-je avec un soupir.

Elle a compris de quoi je parle. Faut reconnaître qu'elle mijaure pas, la châtelaine. Elle annonce franco la couleur.

— Est-ce important ? demande-t-elle.

— Je ne sais pas ; il me semble. C'est toujours mieux d'être à l'unisson.

Et puis elle m'apporte un superbe livarot moelleux. Et ensuite un plateau avec plein de pots de confitures. J'adore la confiture. Sa cuisinière est à la corde avec m'man, question qualité. De la quetsche, de l'abricot, de la cerise noire, de la tomate, de la fraise ! Je clape en force, tout en vidant le flacon. Voilà un moment à part, délicat. Pas prévu, tu comprends ? Et c'est pour cela qu'il est chouette. Un de ces instants qui sont embusqués dans un coin de la vie, comme un gendarme dans un virage et qui, sans que tu l'aies pressenti le moindre, te plongent dans une félicité béate.

— Je suis bien, avoué-je.

— Tant mieux, dit mon hôtesse. Vous souhaitez dormir au château ?

— Si vous me permettiez de disposer d'un coin de banquette, ce serait volontiers.

Et elle, tu sais quoi ?

— Pourquoi un coin de banquette puisqu'il y a mon lit ?

Plus directe, tu meurs ! Faut du cran pour balancer ça à un perdreau qui s'est rabattu chez toi à propos d'un meurtre, non ? Mais ce qui sauve tout, c'est son calme, cette espèce de classe dans la hardiesse. La façon désinvolte dont elle articule cette propose et qui peut paraître énorme, surtout dans l'univers où elle évolue, Francine !

Elle rit, de son rire froid et vorace à la fois.

— A quoi bon se dissimuler que nous en mourons d'envie l'un et l'autre, commissaire ? Ce tête-à-tête nocturne dans cette cuisine, moi presque nue, vous affamé, porte aux sens de ceux qui ont la chance d'en avoir. Notez que le jour où je suis entrée dans votre bureau, j'ai ressenti un frémissement dans mes endroits secrets. Vous êtes un vrai et superbe mâle.

— Mais flic, hélas, ma chère. Or, un flic ne saurait copuler avec une personne qui vient de trouver l'un de ses amants égorgé et émasculé dans son jardin.

Elle rebiffe :

— Et quoi ! Vous me soupçonneriez ?

— Vous connaissez l'antienne ? Tout le monde et personne !

— Si vous acceptez le gîte et le couvert, ne pouvez-vous accepter davantage ? Vous manquez de logique !

— Probablement.

— Question de « dosage », si je puis dire. Mes rillettes : oui. Mais mon derrière : non !

Elle s'avance jusqu'à moi, saisit doucement ma dextre, provisoirement libre, et la porte à son intimité la plus secrète.

— Après m'avoir plongée dans un tel état d'excitation ! Tu oserais, misérable, faire passer un stupide et conventionnel devoir de fonctionnaire avant ta nature de mâle ? Tu conserverais ce membre féroce (elle me place une main tombée au bénouze) dans cet état sans rien en faire ? Mais sais-tu qu'un jour, si Dieu te prête vie, tu deviendras un vieil homme impuissant, hanté par ses souvenirs ? Dans ton crépuscule inerte, tu repenseras à mon sexe humide et tu comprendras alors le sacrilège que tu auras commis en laissant cette queue d'airain et cette chatte ruisselante étrangers l'un à l'autre ! Oui, commissaire Service-service, dans les brumes de l'âge, le regret viendra te hanter. Tu pleureras de n'avoir pas bu en son temps à cette coupe de délices, et ta pauvre queue pendante qui ne te servira plus qu'à pisser mal sera déshonorée par cette carence.