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— Quoi, du fusain ?

— Je parle du crayon dont vous vous êtes servi pour envoyer à travers la fenêtre un message d'admiration à votre parente.

Je déploie le morceau de papier et le lui montre.

— Il est probable qu'on vous fera écrire ces trois mots à différentes reprises et que cela déclenchera des batailles d'experts, lui dis-je. Reste à déterminer pour moi où vous avez trouvé ce crayon qui n'est plus beaucoup employé à notre époque, sinon par des peintres, et encore… Mais enfin, cela n'est qu'un détail et ce message, pour injurieux qu'il soit, n'est pas bien méchant. Plus grave est l'objet que vous avez glissé sous le traversin de Francine. J'appelle cela un objet, faute de mieux, par pudeur.

— J'ignore ce dont vous parlez ! assure Gonzague.

— Cela sera évoqué lors d'un prochain entretien, mon cher. Bien entendu, je vous prie de ne pas quitter le château sans que je vous en donne l'autorisation.

Et je m'évacue. Francine m'attend à l'entrée de sa chambre, tenant un sac de plastique blanc portant le nom d'un parfumeur réputé.

— Cela conviendra-t-il ?

— Tout à fait.

Je dégage le traversin, place le sac ouvert près du sexe sectionné et fais pénétrer celui-là dans celui-ci par petits coups, en relevant le drap. Puis j'enroule le sac sur lui-même, réprimant des spasmes dégueulatoires car, même à travers la paroi lisse, il est atroce de manipuler une « chose » pareille.

— Vous voyez souvent votre cousin ?

— Gonzague ?

J'acquiesce.

— Deux ou trois fois par mois.

— Que fait-il dans l'existence ?

— Expert en philatélie.

— Situation de famille ?

— Célibataire.

— Homo ?

— C'est son problème ; il ne m'a jamais fait de confidences.

— Mais à votre avis ?

— Franchement, je n'en sais rien. Il faut se méfier de cataloguer les hommes un peu maniérés comme Gonzague.

— Hier, après avoir découvert le meurtre de Riton, vous l'avez prévenu ?

— J'ai tout d'abord tenté de vous alerter ; mais vous n'étiez pas joignable. Comme je me trouvais dans un grand désarroi, je me suis tournée vers mon cousin.

— Il est arrivé tout de suite ?

— Rapidement, oui.

— Où habite-t-il ?

— Villa Montmorency.

— Quelles furent ses réactions ?

— Il était atterré et furieux. C'est un homme qui a une conception quelque peu archaïque de la famille, de l'honneur, de la vertu.

— Il blâmait vos débordements avec ces jeunes malandrins que vous hébergez ?

— Beaucoup.

« Bien, me dis-je alors. Gonzague a envoyé le message ; mais il n'a pas placé le paf du gars Riton dans le pucier de Francine. Il ne l'a pas fait pour l'excellente raison qu'il n'est pas l'assassin et que, par conséquent, il ne pouvait avoir ce lugubre relief à disposition. » Reste donc, comme suspects : les quatre anciens taulards, les trois bourgeoises au cul fumant, le vieux jardinier mécontent, et la cuisinière que je n'ai pas encore eu l'heur de connaître.

Le sommeil me râpe les nerfs et me fait mal derrière les yeux. Pour un peu, je me loverais sur la moquette afin d'en écraser.

— J'ai des coups de fil à passer, dis-je, je descends dans la bibliothèque.

— Ne me laissez pas, j'ai peur ! supplie la Saint-Braque.

— Allez dormir avec l'une de vos amies ou avec l'un des garçons, réponds-je en signifiant bien, par mon intonation, que son problo n'en est pas un pour moi et que je m'en torchonne les orifices.

Jérémie a une voix de médium. Celle du zig envapé à qui on demande s'il aperçoit le fantôme de Napoléon et qui répond que non, mais que celui de Charles Quint est à disposition.

Il a un « Oh ! c'est toi » exprimé sur la rampe de lancement d'un bâillement léonin. Il ajoute :

— Quelle heure est-il ?

— Quatre heures cinquante-huit.

— T'as une montre digitale ?

— Non, mais ma Pasha possède un cadran très lisible.

— Où es-tu ?

— Château de Con-la-Ville.

— Du nouveau ?

— Beaucoup.

— Raconte.

— Pas le cœur à ça. Demain. Ou plutôt tout à l'heure. Pointez-vous ici à sept heures, Béru et toi. Ciao !

Ayant interrompu la communication, je sonne le service des écoutes. Le préposé a changé mais son prédécesseur lui a laissé les consignes. Toujours le néant sur la ligue de Mme Purgon, la pharmacienne. Elle n'a reçu aucun appel, n'a composé aucune communication.

— Continuez, fais-je, et placez également sous surveillance le numéro de sa pharmacie : même adresse. Vous le chercherez dans l'annuaire, je ne l'ai pas sur moi. Je rappellerai plus tard.

Je raccroche. Un canapé de velours avachi me séduit. Je tombe la veste, ôte mes pneus, dénoue ma cravetouze et m'allonge après avoir tout éteint. Putain, la position horizontale, quelle volupté. C'est l'une des raisons qui me consolent d'avoir à mourir. On serait enterré debout, je demanderais à réfléchir, mais couché, tu parles d'un velours ! Récupérer enfin les années de sommeil en retard, les fatigues surmontées ; j'en mouille rien que d'y penser !

Je me figurais que j'allais sombrer dans les bras de l'orfèvre, hélas ! ma nervouze est à ce point sur orbite qu'au lieu de m'engloutir, je fais la planche sur la mer agitée de mes pensées, écrirait Roger Robbe-Grillet. Je pense à la pharmacienne, à la malheureuse doctoresse, à Francine, à ses hôtes, à une jolie vendeuse du Faubourg Saint-Honoré que je dois loncher demain après-midi au plus tard. Fille longiligne, porteuse d'une mini-jupe si étroite qu'elle en a les jambes entravées et doit marcher avec son cul.

Riton, c'est quelqu'un d'ici qui l'a trucidé, fatal. Si c'était quelqu'un de l'extérieur, ses burnes n'auraient pas été dissimulées toute la journée dans cette maison pour être sournoisement glissées sous le traversin de Francine pendant la nuit. Moi, le cousin Gonzague ne me dit rien qui vaille et je déplore qu'il ne puisse compter parmi les suspects puisqu'il ne se trouvait pas à Con-la-Ville au moment du meurtre. Je vais néanmoins vérifier la chose.

Je me redresse, moulu, gourd, lent et désorienté de l'estomac. J'ai dû claper trop de rillettes. Je me suis lancé dessus comme un robinson du Sahara sur un oued. Bonjour les dégâts : cholestérol, lipides, la merde ! Faut que je me reprenne en main. Que j'aille me faire materner à Quiberon, thalasser, masser, diététiquer, tout le tremblement. A toujours cavaler le criminel ou le frifri des dames, je perds de vue ma santé. Insuffisance de sommeil, surmenage, des bouffements bâclés, sans heure fixe. Pas raisonnable, ça, Tonio.

L'autre jour, à la télé, je suis tombé sur une pube pour les biscuits « Cric croc », contre la constipation. Tu voyais un jeune ménage radieux expliquer l'à quel point leur existence était changée, bien rayonnante, grâce aux fibres contenues dans les biscuits « Cric croc ». Comme ça leur facilitait le transit intestinal très superbement. J'ai été touché, ému, de les voir si contents de chier, ces braves amis. On sentait que pour eux, peu à peu, la défécation remplaçait la baise. Ils allaient se faire installer double cuvette dans leurs chiches, face à face, pour cagater de concert, en serre-livres, débourrer, les yeux dans les yeux, unis par leur vidage de tripes magistral. Communier dans une même chiasse sublime, leurs âmes transportées par la paix des entrailles. Les pets nonchalants, modulés par leurs sphincters, allaient composer une musique de chiottes aux accents mélodieux. Leurs instruments se répondraient. Ah ! les regards saint-sulpiciens qu'ils échangeraient, avec des certitudes de bonheur enfin conquis et, dorénavant, inexpugnable. Comme on sentait qu'ils allaient affronter la vie avec détermination, par la magie des biscuits « Cric croc ». Assurés de la santé, désormais, ils chieraient la tête haute, le cœur en fête, avec la douce assurance de se sentir à jamais soudés par leur bédolanche plus gracieuse que « la danse du Cygne ». Plus mélodieuse que « la nuit de Walpurgis » (devenue « la nuit de Va-te-purger »).