Et bon, me voici de nouveau avec mon index qui sent la chatte, engagé dans les trous d'un vieux cadran téléphonique.
Dring driiiiiing !
Pinaud répond. Paisible, pas surpris ni irrité d'être appelé à cette heure sauvage.
— Bonjour, mon petit. Rien de fâcheux, j'espère ?
— Besoin de toi aux aurores.
— Avec plaisir. Mme Pinaud vient de rentrer de sa cure de rajeunissement en Roumanie, tu ne la reconnaîtrais plus ! Une gamine ! Elle m'inspire des retintons.
— Bravo, je serai le parrain !
Il rit.
— Ah ! si nous avions ne serait-ce que vingt ans de moins !
— Tu as de quoi écrire ?
— Naturellement.
— Note… Gonzague de Vatefaire, Villa Montmorency, Paris. J'aimerais avoir un curriculum du personnage et surtout savoir où il se trouvait la nuit précédente. Tu me téléphoneras les résultats dans la matinée au numéro que je vais t'indiquer.
Je lui cloque le turlu du château.
— Je me mets en chasse dès que j'ai achevé ma toilette, promet la Pine.
— Tu te laves, maintenant ? m'étonné-je.
— Il le faut bien : j'ai une salle de bains ultra-perfectionnée, soupire-t-il. Quand la fortune m'a échu, je me suis laissé embarquer par la griserie. J'ai procédé à une refonte complète de notre appartement. Et puis maintenant j'en subis les conséquences.
Je raccroche. Les rillettes m'encombrent de plus en plus l'armoire à ragoût. Dis, c'est comme à Verdun : ça ne passe pas !
Où ai-je mis la bite à Riton ? J'ai dû l'oublier dans la chambre de Francine. Il faut que j'aille la reprendre, c'est pas des trucs qu'on peut laisser traîner comme des cendriers.
Me voilà reparti à l'étage.
Juste comme je débouche, j'avise le cousin qui sort de chez sa parente. Plutôt furtivement.
— Hep !
Il paraît embêté de se faire prendre en flagrant délit.
— Que faites-vous, cousin ?
— Je voulais parler à Mlle de Saint-Braque, mais elle n'est pas dans sa chambre, maugrée le bonhomme.
Je rouvre la porte.
— Entrez !
— Mais…
— Entrez ! réitéré-je d'un ton déterminant.
Le sac de plastique est posé sur la commode. Ordinairement on parle de « mon cul sur la commode », là, c'est « sa bite sur la commode ».
— Vous avez vu ce qu'il y a là-dedans, cousin ?
Le sac n'est pas transparent, je crois te l'avoir précisé ?
— Non.
— Eh bien ! regardez !
Je fixe son comportement comme tu peux pas savoir ! Mon regard est une ventouse.
Gonzague tend la main vers le sac, s'en empare et l'ouvre.
Il mate. Alors il a un sursaut, le lâche et se met à gerber sur le beau plancher de la pièce.
Honnêtement, il semble « réellement » commotionné. Quand on vomit spontanément, c'est pas du chiqué. Il aurait fait des efforts préalables, je dirais… Mais non, là c'est carrément la fusée que tu n'as pas la possibilité de réprimer.
Lorsqu'il a cessé de tousser, expectorer, larmoyer, suffoquer et autres broutilles, il dit, d'une voix haletante en louchant sur sa flaque :
— Veuillez m'excuser, c'est si effroyable. Moi, une simple coupure me fait tourner de l'œil. D'où sort ce… cette chose monstrueuse ?
— Du pantalon d'un jeune homme, dans un premier temps, mon cher, de sous l'oreiller de Francine dans un second.
— L'oreiller de Francine ! Voulez-vous dire qu'elle…
— Non : un mauvais plaisant le lui a mis pour la guérir du hoquet, éventuellement.
— Mais ce mauvais plaisant ?…
— Se double d'un meurtrier, en effet.
— Et il se trouve ?…
— Au château, mon bon cousin ; au château !
Je prends le paquet de couilles et laisse M. de Vatefaire en tête à tête avec ses déjections.
C'est intéressant, la voix des gens réveillés en sursaut. Révélateur.
II y a ceux qui sont hagards et réagissent comme si on criait « Au feu ! ». Ceux qui sont instantanément lucides et dont la voix est pleine d'une méfiance hostile. Ceux qui s'efforcent au calme mais dont tu sens parfaitement que leur guignol tape le cent cinquante chrono.
Mathias le Rouillé appartient à une quatrième catégorie : les suppliants. Il répond du ton d'un mec qu'on vient chercher pour la guillotine et qui implore : « Encore un moment, monsieur le bourreau. »
— Qui me demande ? Que se passe-t-il ? II est cinq heures ! lâche le malheureux en chapelet.
A son côté, sa mégère éveillée à son tour, déclenche sa génératrice houspilleuse :
— Si c'est une farce, tu dois te montrer très…
— San-A., fais-je. Pardon d'écourter ta nuit d'ivresse, Rouquin. Tu étais probablement en train de mettre en route votre dix-huitième mouflet ?
— Qui est-ce ? insiste sa Carabosse.
— San-Antonio, balbutie le chef de notre laboratoire.
— Ça ne m'étonne pas ! grince la girouette rouillée qui lui sert d'épouse, ce type ne s'embarrasse pas de scrupules ; lui, le sommeil des autres ne l'empêche pas de dormir !
Curieuse tournure de phrase pour laquelle je montre de l'indulgence, compte tenu des circonstances.
— Mathias, je sais que tu te consacres à ton labo, mais j'ai besoin que tu élargisses l'éventail de tes activités pendant quelques heures afin de me composer une fiche exhaustive sur la personne dont voici les coordonnées.
Et je lui virgule la sauce à propos de la pharmacienne de Vilain-le-Bel.
— Il me faut un « complet », Rouquin, tu m'as compris ? D'où elle vient, ses antécédents, sa vie, son œuvre, ses coïts, sa ménopause ; qui elle fréquente, où elle va en vacances, la couleur de ses poils pubiens. Et il me faut ça tout de suite. Je le voudrais pour hier, comprends-tu ? Etat d'urgence. Quand cette histoire va sortir, il y aura un cahier complet dans Paris Match et même Le Figaro en parlera dans ses pages roses. C'est un service que je te demande, toi seul peux faire assez vite !
Je lui refile le bigophone de Francine chez laquelle, décidément, j'ai établi mon P.C.
Il promet. Galvanisé, malgré les maugréances aigres de la peau de vache blême à qui il fait des enfants roux.
En définitive, je dors au salon, dans la grande bergère Louis XVI, si peu propice à la ronflette. Dors comme un qui vient de recevoir un coup de massue sur l'os qui pue (comme dit Béru). Le black rapide, total, sans rêve.
C'est le zonzon d'un vieil aspirateur poussif et époustif qui me réveille. J'ouvre mes falots et j'aperçois un formidable fessier à quelques encablures. Une énorme ancillaire en blouse bleue promène un aspirateur, du genre teckel à poils ras et trompe de deux mètres, sur la moquette râpée. Elle porte cette horrible chose qu'on appelle des mi-bas et qui s'arrêtent sous les genoux. Au-dessus, imagine des cuisses floconneuses, bourrées de cellulite et striées de varices allant du bleu pervenche au violet épiscopal. On voit pendouiller l'entrejambe d'une vénérable culotte de coton, dans les tons grisâtres. Un instant, à visionner cette calamité, je me dis que pédé, ça s'explique, et que si j'étais en manque d'amour sur une île, en compagnie de cette personne et du prince Charles, malgré mes sentiments républicains, il n'est pas certain que c'est elle qui aurait ma préférence.
— Madame ! hélé-je.
Elle perçoit l'appel, malgré le vacarme de sa formule I, se retourne et pousse un cri en portant sa main à l'emplacement supposé de son palpitant.