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Paroles marquées au coin du bon sens.

— Une communication pour vous, commissaire ! m'annonce Francine depuis le premier.

Elle est en chemise de nuit, et comme elle se tient devant une fenêtre, on distingue sa chatte en ombre chinoise.

— D'où vient que je n'ai pas entendu la sonnerie ? m'étonné-je.

— Mon cousin Gonzague avait pris la ligne au premier. Je vous la passe au salon.

C'est le service des écoutes.

Je me fais reconnaître et il m'annonce que « le » pharmacien vient de tubophoner.

— C'est pas « un » pharmacien mais « une » pharmacienne ! corrigé-je.

— Possible, mais « elle » a une voix de mêlécass, commissaire. Le plus simple est que je vous passe l'enregistrement.

— Je suis prêt, j'ai les cages à miel dégagées.

Brève manipulation. J'entends les derniers accents d'une sonnerie d'appel, on décroche. Une voix de femme fait : « Allô ».

— C'est moi, dit l'appeleur.

— Ah ! bon. Tout va bien ?

— Lali lala. J'aimerais que tu viennes.

— Quand ?

— Disons ce soir, après la fermeture.

— Qu'est-ce que ?…

— Laisse, nous en parlerons à tête reposée.

Et la mère Purgon raccroche. Son interlocutrice fait deux ou trois « Allô » sans conviction avant de l'imiter.

— Merci, fais-je à mon confrère des écoutes. Continuez d'enregistrer. Cet appel émanait de l'appartement ou bien du magasin ?

— Magasin.

— O.K.

Je rêvasse.

— Tu parais tout chose ? observe Jérémie.

Béru se désintéresse because la grosse servante se la radine avec une boutanche de muscadet sur lie et de quoi assurer un banquet à la moitié du Biafra.

— La pharmacienne a téléphoné à une femme pour lui demander de la rejoindre à Vilain-le-Bel, ce soir après la fermeture.

— Intéressant ?

— Très, car elle paraissait soucieuse.

— Et où c'qu'elle a-t-elle téléphoné ? demande le bâfreur salarié.

— Merde ! exclamé-je.

Et de me ruer sur le turlu pour rappeler les écoutes. Je baisse dans mon estime ! Ne pas avoir eu le réflexe de poser la question, voilà qui est impardonnable de la part d'un flic de mon émériterie.

C'est la voix pas joyce que j'asticote l'homme de quart.

— Dites donc, vieux, vous ne m'avez pas précisé quel téléphone a demandé la pharmacienne.

— Parce que je n'en sais rien, commissaire. La communication a duré moins de quinze secondes, comment voudriez-vous que nous puissions mettre en œuvre la moindre opération de repérage !

— C'est juste, excusez !

Donc, je baisse pas car, d'instinct, à la brièveté de la converse, j'avais parfaitement senti qu'elle ne pouvait fournir de plus amples tuyaux.

— Y sont royals, vos pâtés d'campagne, complimente le Gros.

La cuisinière caresse ses joues marbrées violettes. Le compliment lui va droit au cœur sans épargner le visage comme je dis puis, parodiant le maréchal Ney, ce con.

— C'est gentil.

— Y a lulure qu'vous marnez ici ? s'inquiète le Dévoreur de charme, la bouche comble.

— J'y suis née : mes parents y travaillaient avant moi.

— Ça s'rencont' plus des employés aussi fidèles, assure le Mammouth. V'savez qu'vous avez droit à une médaille ?

— Qu'est-ce que j'en ferais !

— N'évidemment, vaut mieux des augmentations.

La grosse secoue la tête, ce qui compromet l'équilibre de son chignon arrière à triple pignon, peignes incorporés, maintenance par épingles grand format.

— D'c'côté-là, elles sont rares, encore qu'avec Mademoiselle c'est mieux qu'avec Madame, révèle-t-elle. Elle était d'une pingrerie, celle-là. Si je vous disais…

Elle se tait, hoche la tête, hausse les épaules.

— Disez, disez ! invite Bouffe-toujours.

— Un jour qu'elle me complimentait, à la suite d'une réception, je lui avais demandé si elle allait augmenter mes gages. Elle a réfléchi puis elle m'a dit comme ça : « Non, Clarisse, je ne vais pas vous augmenter, mais à compter d'aujourd'hui, je vous donne la permission de sucer Monsieur. » J'ai accepté. Pour Monsieur. C'était un pauvre homme, Monsieur. A cause des frasques de Madame qui était terriblement portée sur la chose, il se mettait la ceinture. A partir du jour où je l'ai pompé, y a eu un petit rayon de soleil dans sa vie. Il voulait davantage, mais Madame l'interdisait, pas qu'il se commette avec une domestique. Une pipe, ça ne tirait pas à conséquence, comprenez-vous ? Je vous sers des rillettes ?

— Tout c'qu'a d'estrêment volontiers, ma poule ! gazouille l'Ogre de la Maison Pébroque.

Elle se hâte vers son antre.

Nouveau coup de grelot. C'est Mathias. Ce qu'il file doux avec moi depuis que j'ai remis les pendules à l'heure ! Sa promotion comme directeur du labo lui avait fait enfler la tronche et il s'envolait dans les nues, le Rouillé. J'ai dû lui déballer le grand jeu pour le ramener à terre, appuyer à mort sur la valve de son orgueil. A présent, il fait du rase-mottes avec moi, me lèche les pompes en commençant par les semelles.

— J'ai établi un premier bilan, commissaire.

— Je te remercie.

— Votre pharmacienne, Mme Anne-Marie Purgon, est la fille d'un officier de carrière qui a servi principalement dans les colonies françaises et qui a terminé sa carrière avec le grade de commandant. Elle a un frère et une sœur. Sa mère et sa jeune sœur sont mortes tragiquement, assassinées par des Noirs dans les faubourgs de Brazzaville, après avoir été violées et mutilées. Anne-Marie et son frère Maurice se trouvaient au lycée français au moment des faits, sinon, ils y seraient passés aussi. Le commandant Purgon, leur père, a demandé à rentrer en métropole et a terminé son temps de service à Nancy. Il est mort peu après sa retraite d'un cancer du foie. Anne-Marie a fait des études de pharmacie à Paris. Elle aurait été la maîtresse d'un de ses condisciples, lequel s'est tué à moto. Il semblerait qu'elle n'ait jamais plus eu de relations masculines depuis. Par contre, elle a eu des amitiés féminines sur la nature desquelles il est difficile de se prononcer. En fait, les malheurs qu'elle a connus l'ont beaucoup rapprochée de son frère, lequel a exercé la médecine dans l'armée, par fidélité sans doute à la mémoire de leur père. Il a été mis en disponibilité depuis longtemps à la suite d'un grave différend avec ses supérieurs et vit dans une maison achetée avec sa sœur à Belle-Ile-en-Mer. L'hiver, il habite un studio qu'il loue dans la région parisienne. Je ne possède pas d'autres informations sur votre « cliente », commissaire.

— Celles que tu as si rapidement obtenues me suffisent, Rouquemoute. Tâche toutefois d'en apprendre davantage sur les raisons qui ont fait quitter l'armée à Maurice Purgon.

Ensuite, je le bénis, lui dis d'aller en paix et que je prierai pour lui.

Le biniou commence à me fatiguer. Pourtant je rappelle encore les écoutes.

— Dites voir, les gars. Vous vous foutez de moi quand vous prétendez ne pas avoir les moyens d'identifier le numéro que la pharmacienne a composé, alors que vous possédez un appareil à décrypter les impulsions du cadran. Chacun des chiffres composés est suivi de menues percussions. Un cliquettement pour le 1, deux pour le 2 et ainsi de suite… Repassez l'appel dans le convertisseur et téléphonez-moi d'urgence le résultat.

Il bafouille :

— Pardonnez-moi, commissaire, je fais un remplacement et…

— O.K., grouillez-vous !

Je coupe et me tourne radieux vers mes deux complices :

— Je sens qu'on tient le bambou, comme on dit dans ton bled, Jérémie.

— C'est-à-dire ?

— J'ai la grisante certitude d'avoir rassemblé toutes les pièces du puzzle ; le reste n'est qu'une question d'application et de patience. Surtout ne me demande rien, je ne serais pas fichu de t'en casser une broque ; ça fermente, ça grouille, ça bouillonne. Il ne me sort pas de fumée par les oreilles ?

— Pas encore, rigole le grand escaladeur de cocotiers. On fait quoi, en attendant ?

— Des visites.