Выбрать главу

— O.K., grouillez-vous !

Je coupe et me tourne radieux vers mes deux complices :

— Je sens qu'on tient le bambou, comme on dit dans ton bled, Jérémie.

— C'est-à-dire ?

— J'ai la grisante certitude d'avoir rassemblé toutes les pièces du puzzle ; le reste n'est qu'une question d'application et de patience. Surtout ne me demande rien, je ne serais pas fichu de t'en casser une broque ; ça fermente, ça grouille, ça bouillonne. Il ne me sort pas de fumée par les oreilles ?

— Pas encore, rigole le grand escaladeur de cocotiers. On fait quoi, en attendant ?

— Des visites.

VITESSE SANS PRÉCIPITATION

Bérurier suggère qu'il devrait rester au château afin de questionner les occupants « à la sérieuse », maintenant qu'on est persuadés qu'un meurtrier s'y trouve. Mais moi qui connais Sa Majesté, je devine parfaitement que si elle souhaite demeurer sur place c'est uniquement parce qu'elle a l'intention de galipetter avec les dames salopes qui s'y trouvent, comme il l'a déjà fait la veille avec celle qui se prénomme Marguerite. Il est en rut, présentement, le Gros. Note qu'on le trouve toujours partant pour une séance de jambons mais, à certaines périodes de l'année, sa frénésie de cul est sans limites.

— Non, fais-je. Les gens d'ici restent à disposition, nous volons vers d'autres conquêtes, mon pote.

Là-dessus, le zigoto des écoutes me mouille la compresse en m'indiquant le numéro. J'inscris ledit et on joue cassos. Je suis de plus en plus euphorique. Il ne pleut plus. Mes deux heures de roupille m'ont colmaté les brèches et les rillettes de la grosse cuistote me foutent enfin la paix.

Alphonse Letailleur est en train de sortir son taxi du garage lorsque nous nous annonçons. Sa légitime et lui occupent un petit pavillon de meulière avec de la faïencerie verte autour des fenêtres pour faire joli. Devant, se trouve un jardinet de 50 mètres carrés où poussent, en parfaite harmonie, des dahlias, des poireaux et des orties. Et puis, devant le jardin et bordant la rue ingoudronnée, le garage sans lequel aucun banlieusard ne saurait mener une existence décente (de police).

Letailleur est un mec épais, bourru, portant une veste de cuir râpé et une casquette sommée d'un petit bistounet à la con. Son haleine empeste le rhum du matin dont il couronne son petit déje. Il a le nez et le pourtour dudit d'un brun violacé, avec de jolies veines bleues en forme de la Garonne et ses affluents. Une moustache prolétarienne ajoute de l'agressivité à son masque de picoleur motorisé.

— Ces messieurs ? nous interroge-t-il d'un air pas joyce.

— Monsieur Letailleur ?

— Monsieur Letailleur, moui, c'est à quel sujet ? Je vous préviens que s'il s'agirait d'une course, je suis retenu : j'ai un client que je dois conduire à l'aéroport Charles-de-Gaulle.

— Police.

Il se fout en pétard.

— Vous venez pour mon accrochage de la semaine dernière dans la rue Bordenouille ? Merde ! C'est pas ma faute, l'autre enfoiré de con a reconnu ses torts. Cet enviandé m'avait pas vu surviendre et…

— Votre épouse est encore ici ?

— Elle finit de préparer les mômes pour l'école, moui. Qu'est-ce vous lui voulez ?

— On fait une enquête sur les pharmacies des Yvelines et nous aimerions lui parler.

— Vous êtes marrants : j'ai pas le temps, moi !

— Nous n'avons pas besoin de vous.

— Je suis le mari, non ? rebiffe ce teigneux. Quand c'est que la police interroge ma femme, je dois être présent !

— Rassurez-vous, nous n'avons absolument rien à lui reprocher. Il s'agit de renseignements de routine.

— Pourquoi vous la questionnez pas à la pharmacie ?

Béru intervient :

— Moi, j'vas vous l'dire, mon pote : parce que !

Et il foudroie le taxi driver de son regard rubis plein de sang et de fureur. L'autre rengracie.

— Bon, du moment que vous pouvez faire sans moi.

— On peut ! déclare nettement l'Hénorme.

Alphonse Letailleur rabat la lourde de son garage et grimpe au volant de son bolide. Il ravale ses rancœurs et démarre.

Nous traversons le jardinet. Juste qu'on gravit le petit perron, deux fillettes sortent avec des cartables dans le dos. Elles nous récitent gentiment un « Bonjour, monsieur. Bonjour, monsieur. Bonjour, monsieur » qui nous fait apprécier de n'être que trois au lieu de cent-vingt.

Et voilà Germaine Letailleur, la maman. Ce qu'on appelle « une bonne grosse ». Sympa, dodue, fondante, blondasseuse, le pif en petite pomme de terre nouvelle lisse et rose, le regard breton, la bouche gourmande. Elle est encore en peignoir et savates, pas coiffée.

Confuse, elle nous constate et s'effare. Je lui brade un vanne comme quoi le ministère de la Santé a demandé de procéder à une enquête concernant les pharmacies du département. C'est le genre de « brave personne » à tout accepter d'emblée, quitte à se poser des questions après.

— Vous m'excuserez de vous recevoir dans cette tenue, je me suis occupée de mes enfants et…

— C'est nous qui vous prions de nous excuser, chère madame, m'empressé-je-t-il.

— D'autant, renchérit Béru que j'vous trouve drôlement sexy dans c'te tenue. Je raffole les dames qui sentent encore le plumard, ça me porte au sang.

La digne épouse est un peu décontenancée par le compliment abrupt. Timide, elle se croit obligée d'en sourire.

Béru me chuchote à l'oreille :

— Ça, c'est pour ma pomme, dis-moi pas l'contraire. Une gerce commak, j'en fais mes beaux dimanches.

Je le rebuffe d'un regard peu complice.

— Madame Letailleur, depuis combien de temps travaillez-vous à la pharmacie de Vilain-le-Bel ?

— Sept ans.

— Vous êtes satisfaite de votre employeur ?

— Oh ! oui : Mme Purgon est très gentille.

— C'est une dame âgée, n'est-ce pas ?

Elle fait une moue gentille.

— Ça commence, bien sûr, mais elle reste très active.

— Comment vit-elle ?

— Fraise ! pouffe Bérurier.

— Pardon ? lui fais-je.

Il redit :

— Fraise. « Comment vit-elle, fraise. » Vittel-fraise, tu piges ?

Et il rit.

— Je suis impayab', annonce-t-il à Germaine Letailleur. Dès qu'j'su en présence d'un' jolie femme, j'fuse !

Elle sourit. Il s'approche, s'assied sur la table, près d'elle.

— Je raffole votre odeur. Vous sentez la nichée d'lapins. J'en él'vais, jadis, à not' ferme. Vous permettez ?

Il se penche, écarte le col-châle du peignoir et renifle.

— Pile exaguetement, ma jolie : la nichée d'Iapins. On d'vine qu'c'est aussi pareillement doux, là-dedans. Si j'oserais, j'y mettrais ma figure pour m'goinfrer le nez un grand coup !

— Tu veux bien ficher la paix à madame, j'ai à lui parler ! dis-je sévèrement.

— En quoi gèné-je ? Cause-z'y tant qu'tu veux, j'peux y humer l'décolleté sans qu'ça l'empêchasse d'répond', non ?

Force m'est de poursuivre car il est d'une obstination de morpion, le bougre !

— Vous n'avez pas répondu à ma dernière question, madame Letailleur. Comment vit Mme Purgon ?

Elle arrondit bouche et yeux.

— Mais… très simplement. Elle ne sort pas. Elle adore ses chats. Elle va à la messe le dimanche.

— Bref, une personne irréprochable ?

— Absolument.

— Des relations ?

— Son frère jumeau qui vient passer une huitaine à la pharmacie, deux ou trois fois l'an ; ils sont très liés.

— Et à part lui ?

— Il y a quelques années elle recevait également une de ses amies de faculté, mais elle est morte.

— Vous avez un réfrigérateur à la pharmacie, n'est-ce pas ?