Выбрать главу

— Oui, très.

— La table est bonne ?

— Excellente.

— La baise aussi ?

Il marque un temps. Sa jolie figure d'ange-voyou se crispe.

— Comment ça ? il balbutie.

— Je pressens des partouzettes somptueuses au manoir, fais-je. Quand la bourgeoisie de province se dévergonde, elle sort pas les aéro-freins, c'est carrément l'embellie à grand spectacle. Vous devez niquer comme des fous, les malfrats libérés ; prendre des panards géants, vous faire sucer jusqu'à la moelle. C'est comme si j'y étais, tu vois, petit mec. Des séances de trou du cul à s'en faire éclater les miches. Je les visionne sur écran large. Cris et suçottements, comme j'aime à plaisanter. C'est quoi, sa spécialité à la Francine ? Elle prend du rond, elle broute les copines ? Je devine du particulier pour elle. Elle a une frime à se faire reluire dans les étrangetés, les combinaisons bien savantes. Elle flagelle ? Elle en prend cinq à la fois ? Elle vous promène en laisse avec des colliers étrangleurs ?

Riton a rougi. II détourne les yeux. Il fatigue à rester debout devant moi, mais je prend un malin plaisir à ne pas lui proposer de siège.

— Tu ne veux pas répondre, môme ?

Il hausse les épaules.

— On se marre, quoi, murmure le gredin.

— Tu trouves que c'est marrant, l'amour ? On voit que t'as jamais aimé. Y a rien de plus terrible ni de plus beau. Tu ne veux pas me raconter un peu les fantasmes de votre chère bienfaitrice ? Je te promets de garder le secret. Je sais tenir ma langue, tu sais. Pour ça et pour les cassements nocturnes dans les pharmacies.

Mon regard doit pas lui choyer l'âme car il a la pomme d'Adam en folie, l'artiste. Je n'ai pas de difficulté à l'accoucher aux petits fers. Il me bonnit quelques déviations charmantes de son hôtesse que je veux pas te retracer parce que Wolinski serait cap' de les illustrer, et alors on se ferait interdire d'afflchage, voire castrer si ça se trouve !

Faut pas trop exagérer, y des ligues, des digues des gigues pour te faire chier la bite quand tu dépasses la double ligne jaune. C'est le retrait du permis d'écrire à la clé. Le bannissement, le pilori, le supplice de la roue ! Du pal ! On est encore au Moyen Age quelque part, t'illusionne pas. Y a toujours des geôles, des bagnes, des Guernesey. On meurt encore pour pas grand-chose. L'homme n'abolit les brimades qu'après en avoir découvert de nouvelles, plus subtiles, plus tartuffières. On a remplacé la « guerre mondiale » par la guérilla permanente. On ne tue plus, on élimine. Verdun, Pearl Harbor, c'était jadis, du vieux folklore à la con, des délires de généraux étoilophages. A présent on pratique dans le suave, on est revenu à l'onguent gris et c'est nous qui sommes les poux. On est soporiflés, dévertébrés en douceur. On crève sans s'apercevoir de rien. En cas isolés qui n'intéressent personne.

Quand le dadais m'a lâché ses confidences, je joue avec un stylobille. J'appuie sur le rétracteur. Clic ! (la bille est sortie), clac ! (elle rentre). Au bout d'un peu c'est intolérable.

— Maintenant que tu m'as parlé de bites vivantes, raconte-moi les autres, Riton : les bitounes sous cellophane de la pharmacie.

— C'était affreux, chuchote-t-il. Je ne pouvais pas croire.

— Explique en détail !

— Ben voilà, y avait ce frigo, pas très grand, avec un revêtement imitation bois et des montants blancs. Il fermait à clé. Il se trouvait dans une espèce de placard, j'ai cru que…

— Qu'il contenait de quoi te schnouffer, petit con ?

— Ben oui.

— Continue !

— J'ai trouvé ces quelques paquets empilés. Transparents. Dedans y avait des zobs. Sur le moment, je me suis dit que ça ne se pouvait pas, que je me gourais. Alors j'ai pris un des paquets et j'ai vu que c'était vrai ! Une bite, avec une grosse tête violette, et des roustons pleins de poils. Je vous jure que je n'invente pas !

Indéniablement, il paraît sincère ; épouvanté rétrospectivement.

— Tu n'as pas pensé que ce pouvait être des bites en plastique, Riton ?

Il a une mimique commisératoire.

— Pensez-vous ! Y avait du sang séché à l'endroit où on les avait sectionnées. Et puis elles étaient toutes différentes, si je vous disais…

Il a du mal à respirer. Cette fois je lui désigne une chaise :

— Pose-le là, fiston !

Il ne se le fait pas répéter. Se tient voûté, les coudes sur ses genoux écartés, la tête basse chaviré. Genre délinquant à qui on assène le preuves de ses forfaits après l'avoir laissé battre à Niort. Il ressent une sorte d'étrange culpabilité, pas à cause de ses dires, mais parce que j n'y crois pas. Il est honteux de ne pas savoir me convaincre. Soudain, ce n'est plus qu'un gamin, un pauvre gosse mal dans sa peau qui ne sait pas par quel bout il faut attraper l'existence. Il a pris un faux départ et la merde s'est mise à pleuvoir sur sa pauvre vie banlieusarde.

— Dis-moi, reprends-je doucement, cette pharmacie, tu l'avais repérée avant d'aller la craquer, nécessairement ?

Il acquiesce.

— Raconte-moi à quoi elle ressemble et à quoi ressemblent les gens qui l'exploitent, patron et employés.

Riton se redresse un peu.

— C'est la pharmacie de Vilain-le-Bel, à trois kilomètres de « chez nous ». Au bout de la grand-rue, vers les nouveaux immeubles. C'est une vieille qui tient ça, complètement miraud ; elle a des lunettes aux verres si épais que ses yeux ressemblent à des glaves. Elle sucre les fraises.

— Sais-tu si elle demeure au-dessus de sa pharmacie ?

— Oui, en effet. Elle élève des chats angoras.

— Et tu crois que c'est pour les leur donner à bouffer qu'elle stocke des chibres, Riton ?

Il hausse les épaules.

— Je ne crois rien, monsieur le commissaire ; je vous raconte ce que j'ai vu, aussi dingue que ça puisse sembler. Un tas de bites, je vous le jure ! Dégueulasse !

Il passe sa main devant ses yeux comme s'il espérait arracher l'atroce vision de sa rétine, ainsi que l'écrit Mme de Sévigné dans ses « Lettres Persanes à Elise ».

— Qui travaille chez cette vieille pharmacienne ?

— Elle a une préparatrice : une grosse gonzesse blondasse qui vient travailler à vélomoteur.

— Je vois que t'as pris soin d'étudier les lieux.

Il ne moufte pas.

— Et en dehors des deux gonzesses, qui d'autre ?

— Un gars, genre Maghrébin, jeune, qui fait des livraisons avec une 2 CV fourgonnette ; mais lui ne travaille pas dans le magasin, il m'a semblé qu'il fonctionnait le matin seulement.

— Comment t'es-tu introduit dans la pharmacie ?

Il sourit.

— Facile.

— C'est-à-dire ?

— La porte ferme avec une forte serrure de sureté. La vieille laisse la clé sur la lourde pendant les heures d'ouverture. Un matin, je suis allé acheter de l'aspirine à un moment où il y avait des clients. J'ai piqué la clé en douce. Je suis allé faire un moulage dans l'église où j'avais planqué du mastic, et ensuite je suis retourné acheter des pastilles pour la gorge et j'ai remis la clé en place. Du beurre !

— Dis donc, t'es futé dans ton genre, gamin.

Mon compliment le fait sourire.

— Tu as su bricoler une fausse clé, partant de l'empreinte ?

— Dame, je vous ai dit que j'étais mécano de métier.

— Tu sais que tu devrais le redevenir, mon drôle ? Si tu persévères dans les conneries, ton existence va ressembler à un gros tas de merde pas fraîche. C'est pas pour te faire la morale que je te tiens ce langage, c'est parce que j'aime la vie et que je trouve qu'un individu de ton âge est davantage fait pour aller tirer des souris dans les sous-bois que pour se laisser défoncer le pot en taule par des méchants à la trique d'acier !