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Discret coup de sonnette.

Personne ne répond.

— II est peut-être dur des feuilles ? suggère Alexandrovitch-Bénito.

Je bisse mon concerto, de manière plus prolongée ; toujours en vain. Mes potes me considèrent d'un air significatif. C'est le moment d'en appeler à mon sésame.

Deux trois rapides manigances dans la serrure et nous entrons. C'est une pièce assez vaste, éclairée par un chien-assis. Le mobilier est réduit : un lit, une garde-robe, une table, trois chaises, un fauteuil. Des hardes masculines sont accrochées à une patère. On trouve un poste de télé en noir et blanc, vieux comme les pionniers du petit écran, une quantité de livres empilés sur le plancher, des photos anciennes, agrandies et pompeusement encadrées, sur les murs. Toutes représentent une dame d'autrefois, avec les cheveux mousseux, le regard clair, le sourire doux, sur fond de véranda exotique, et une charmante petite fille, pas très jolie, à la tête trop forte, mais rieuse à t'en émouvoir un douanier allemand. Des brins de buis (sans doute bénits) sont fichés dans chacun des cadres. Je me dis qu'il s'agit de toute évidence des portraits des deux femmes massacrées en Afrique : la mère et la sœur des Purgon. Maurice leur voue un culte car il n'y a pas moins de huit photographies dans le studio.

— Ça pue le vieux, déclare Béru en prenant place dans le fauteuil.

Son énorme tarbouif pompe l'air douceâtre du studio.

Il déclare :

— Tout compte fait, j'aime pas les vieux : y m'font chier. J'les voye, tout mités, tout branlants, avec des manies, des saloperies partout, des odeurs. En rogne d'viv' encore, on dirait ! Ils en veuillent à la terre entière d'êt' toujours là, dans un monde qu'a changé et qui leur tire des bras d'honneur !

« L'plus pire, c'est les vieux couples. Y a des gens qu'ça attendrisse. Moi, y m'foutent la gerbe. Toujours un des deux à houspiller l'aut'. Tu croives qu'ils s'aiment ? Mon cul ! Ils s'haient. S'entre-surveillent la crevaison. Se guignent les misères dans l'espoir qu'c'est l'conjoint ou la conjointe qui lâch'ra la rampe en premier. Fumiers, si vous sauriez ! Mauvais ! A rouscailler cont' les jeunes ; à prétend' qu'c'était beaucoup mieux d'leur temps à eux. On dit qu'y faut les respecter. Et pourquoi il faut les respecter ? Pac'qu'ils font du rabe ? Qu'ils éternisent ?

« Moi, voiliez-vous, c'est ceux qui crèvent tôt qu'j'respecte. Ceux qu'est mort à la guerre, ou d'accident, ou d'une maladie d'merde. Ceux qu'a pas eu son taf. Qu'a largué la vie en plein soleil, juste qu'ils commençaient à bronzer. Mais les vieux rats d'ombre, mercille beaucoup : cadeau ! Moi, d'en c'qui m'concerne personnellement, je voudrais pas viv' jusqu'à la Saint-Trou. Dieu m'rappelle à Lui à quatre-vingts ans et j'Lu signe une décharge pour solde de tout compte. Enfin, mettons quatre-vingt-cinq si j'serais en bon état. Quand t'as vraiment la santé y a pas l'feu ! »

— Tu es sûr qu'il vivait seul ? demande M. Blanc.

Il revient de la salle de bains tenant une culotte de femme d'un air dégoûté. C'est du sous-vêtement vénérable, couleur saumon tourné, lâche et flasque. L'entrejambe en a été récemment souillé et mal lavé.

— Sa propriétaire l'avait mise à sécher sur le radiateur et l'a oubliée, dit le Négro.

— P't'êt' qu'elle va r'venir, émet le Dodu.

A cet instant, la sonnerie du téléphone retentit. On se met à chercher l'appareil et on ne l'aperçoit nulle part. Jérémie a l'idée de chercher la prise au bas des murs et ensuite de remonter le fil jusqu'au combiné, lequel est sous le lit.

— Tu réponds ? me demande-t-il.

Je décroche.

— Allô ! fais-je d'un ton de vieil asthmatique enrhumé (de surcroît).

— Ah ! bon, dit une voix d'homme. J'ai déjà appelé il y a un quart d'heure et ça ne répondait pas. J'ai eu peur que tu fusses déjà parti(e) ( ?).

— Non, pas encore, risqué-je en conservant la même voix chevrotante.

Raté !

L'homme raccroche sans ajouter une broque. Mon « allô » l'avait abusé, mais je ne pouvais me permettre davantage, ces quatre syllabes viennent de m'être fatales.

Furax, j'appelle les écoutes.

— Ici San-Antonio. On vient de parler à Vilain-le-Bel, n'est-ce pas ?

— A l'instant.

— La pharmacie ou le domicile ?

— Le domicile !

— Merci.

Je coupe la communication pour composer en vitesse le numéro de la pharmacie. Une bonne voix placide et ronde me répond.

— Pharmacie de Vilain-le-Bel, j'écoute.

— Madame Letailleur ?

— Elle-même !

— Je suis l'un des trois policiers qui vous ont rendu visite ce matin, pas le Noir ni celui qui a une énorme queue : le beau !

— Ah ! oui, je vois.

— Demandes-y si ell' a r'trouvé ma moumoute ! lance Bérurier, toujours pratique.

Mais j'ai des soucis plus prioritaires.

— Vous avez vu votre patronne, ce matin ?

— Oui.

— Où se trouve-t-elle ?

— Elle est remontée à l'appartement car elle ne se sentait pas bien.

— Elle va partir, il faut que vous l'en empêchiez !

— Moi ! Mais…

— Ecoutez, Germaine, il s'agit d'une affaire beaucoup plus grave que vous ne l'imaginez. Voilà ce que vous allez faire, c'est très simple. J'ai remarqué que Mme Purgon accroche sa clé à un clou dans son vestibule. Montez lui demander un renseignement quelconque. Emparez-vous subrepticement de la clé en entrant. Quand vous repartirez, vous fermerez la porte depuis l'extérieur. Bien entendu, quand elle s'apercevra qu'elle est enfermée, elle vous téléphonera à la pharmacie pour vous demander de la délivrer. Afin d'éviter toute discussion, vous n'aurez qu'à laisser le téléphone décroché.

— Mais, monsieur, ce que vous me demandez là…

— Vous paraît extravagant, je m'en doute. Mais je vous demande pourtant de le faire. Nous sommes à Paris et il ne nous faut pas plus de quarante minutes pour arriver.

Le Gros m'arrache le combiné.

— Allô, c'est ma grosse louloute d'amour ? Dis-moi, ma mésange, t'aurais-t-il pas r'trouvé ma moumoute dans ta chatte, des fois ? Hein ? Ben oui, c'tait ma moumoute ! Qouaaaâ ! Tu l'as jetée à la poubelle ! Oh ! merde, on n'est pas aidé ! A quelle heure passent les boueux dans ton bled ? Y sont passés quand tu partais ! Misère ! Un' moumoute d'c'prix-là ! Ah ! tu me la copiereras !

II raccroche sauvagement.

— Toutes les mêmes, renaude ce prince de l'amour. Tu leur grougnoutes la moulasse pour leur êt' agréab', et l'remercillement c'est d't' balancer ta moumoute aux ordures. Faut qu'ça va m'servir d'l'çon. Si j'penserais davantage à mon plaisir à moi, j'aurais encore mes crins pour rutiler auprès des gerces !

ASPIRINE ET CONFIDENCES

— En somme, réfléchit M. Blanc, c'est une véritable histoire policière que nous vivons là.

La voiture traverse des champs d'automne. La départementale est jonchée de feuilles mortes boueuses, et des écharpes de brume (comme c'est écrit dans les livres des dames) festonnent aux branches des arbres.

— Pourquoi est-ce une véritable histoire policière, Jérémie ?

— On tourne autour des lieux cruciaux. Ça fait la spirale… La pharmacie, le château ; le château, la pharmacie… A en attraper le vertigo. On sent bien que toute l'histoire mitonne entre ces deux pôles. La vieille mère Christie aurait mouillé devant un mystère pareil.

Un instant de silence. On entend — à peine — les cylindres suractivés de ma Quattroporte. Pour sortir de Paname, j'ai mis, ce qui est rarissime, mon gyrophare sur le toit, et branché ma sirène, mais je déteste alerter les populations, d'autant qu'ils éberluent vachement, les gus, de voir déferler la poule dans une Maserati blanche ! C'est pourquoi, une fois la voie dégagée, j'ai « rebanalisé » mon véhicule.