Mon confrère qui connaît la répute du Mastar, rengracie :
— Merde ! Si on ne peut plus plaisanter, c'est à désespérer de la France !
Tout de suite les grands mots ! L'envolée de la patrouille de France !
Il sourit jaune, ajoute :
— Chiotte d'enquête, je couve la grippe. Je dois cogner le 39.
— J'ai un remède efficace, déclare le Gros : le café-marc.
— Je connais, merci, dit Mazurier.
— Tu connais, mais pas les proportions, Louis, affirme Sa Majesté. V'là la recette exaguete et testuelle. Tu prends un bol. Tu mets une pièce d'un franc au fond. N'ensute, tu verses du café dessus jusqu'à ce que tu voyes plus la pièce ; tu m'suis ?
— Fiévreusement, ricane Mazurier.
— Après ça, reprend Béru, tu verses du marc sur le café jusqu'à ce que tu revoyes la pièce. Et alors là, t'écluses sans l'avaler.
Le commissaire a le tact de rire. Puis, me prenant par le bras.
— Pourquoi as-tu parlé d'un vieux pistolet de l'armée, Antoine ?
— Au pif, Loulou, au pif, parole ! Mais il se peut que je me goure.
Je le plante sur une bourrade. Retour à ma chignole. Plus de Jérémie. Rarissime qu'il se débine sur le sentier de la guerre, le Négus. Lui, c'est l'assiégé modèle, style « Je meurs mais ne me rends pas ». On le tue sur place, M. Blanc. Il est stoïque. N'a peur de rien, pas même du temps qu'on use à attendre, c'est-à-dire qu'on gaspille alors qu'il nous est si chichement imparti.
— Où a-t-il z'été ? peste Bérurier, toujours disposé à en remettre pour casser la cabane au Noirpiot.
Il pète un bon coup franc et massif dans la grand-rue, faisant se retourner Mme Mongenoud, la femme du notaire qui revient de la teinturerie.
Elle le foudroie d'un regard outré.
— C'est la vie, lui objecte Bérurier. Le gaz part !
Puis, à moi :
— J'vas faire un câlin à Germaine en attendant l'retour d'ce grand chien panzé.
Il pénètre dans la pharmacie.
Je reste seul au volant de ma belle chignole blanche. Faudrait que je la change contre une tire qui consomme moins, plus maniable. J'arrive pas à me décider. C'est mon luxe. Quand j'enfonce le champignon, il se passe quelque chose. Et puis, trousser une frangine dans ce carrosse ajoute au plaisir. J'en ai déjà ramoné quelques-unes sur le cuir fauve de la banquette arrière ; c'est le privilège des vitres teintées spéciales que j'ai fait poser. Tu peux loncher sur les Champs-Elysées sans choquer personne. Juste que la caisse remue un peu, mais le badaud pense que t'as laissé ton bouvier des Flandres à l'intérieur.
Je renverse ma tronche sur l'appuie-tête et je récapitule.
Le problo du château reste à élucider. Un qui me titille la pensarde, c'est le cousin Gonzague. Où était-il la nuit au cours de laquelle Riton a été égorgé et découillé ? Est-ce lui qui a écrit ce message qui enveloppait le caillou balancé dans la vitre de l'office ? Lui qui a glissé l'appareil reproducteur de l'ancien taulard sous le traversin de sa cousine ? Franchement, je fais une plongée dans un drôle d'univers ; cette fois, j'ai touché des gens bizarres, complètement azimutés les uns et les autres.
Une somnolence me gagne. Dans un flou irréel, j'imagine mon Toinet sautant la grosse Berthe. Ce gamin besognant une baleine, intrépide Jonas de communale ! L'éveil, la poussée irrésistible des sens ! Il joue encore et baise déjà ! Ligne de partage des zoos, comme ce point indiqué sur l'autoroute Paris-Lyon où la flotte cesse d'aller à l'Atlantique pour couler vers la Méditerranée. Le môme est toujours un gamin, mais avec des pulsions d'homme. Toujours est-il qu'il promet !
Une silhouette sombre s'inscrit dans mon champ de vision : M. Blanc qui radine.
Il prend place à mon côté. Il a des toiles d'araignée dans ses cheveux crépus et les larges ailes de son pif palpitent comme les flancs d'un animal forcé.
— D'où viens-tu ?
— De la grange du père Maréchal.
Car je lui ai relaté ma converse avec dame Purgon.
— Tu y as trouvé un élément intéressant ?
— Plutôt !
— Quoi donc ?
— La Mercedes.
Je suis sidéré. Et moi qui, certain que l'ancien médecin militaire était parti avec sa caisse, négligeais d'aller vérifier !
— Elle y est encore ? effaré-je.
— Empoussiérée, avec des brins de paille et des fientes de poules. C'est un modèle vénérable, un peu genre tank ; peut-être que le maréchal Goering a traîné son gros cul sur ses banquettes de cuir !
— Donc, Maurice Purgon est parti en empruntant un autre moyen de transport ?
— Donc, oui, fait M. Blanc.
Il murmure :
— II est chié, ce mec.
Je pénètre dans la pharmacie, histoire de poser certaines questions à Germaine Letailleur.
Elle est accoudée à la banque-vitrine contenant des parfums, des savonnettes et de l'after-chèvre (comme dit le Gravos). Je la trouve toute bizarre. L'air abasourdi, si tu vois ; comme une qui vient de recevoir les résultats de ses examens médicaux et qui aurait appris du fâcheux. Elle se tient penchée, les coudes écartés, la tête rentrée, le regard en flaque, la bouche entrouverte sur une langue mousseuse.
— Tiens, lui dis-je, je croyais que mon collaborateur était ici.
Un grognement m'informe qu'il y est bel et bien. Je contourne la banque et j'avise l''Energumène agenouillé derrière la femme du taxidriver dont il a relevé la jupe et tombé le slip, en train de lui faire « feuille de rose ». Ninette, c'est la première fois qu'on lui décerne cette haute distinction. Broutée, elle l'a déjà été (plus ou moins bien, d'ailleurs), mais langue de velours dans l'obturateur, jamais encore. C'est une grande première.
Sachant combien il est déplaisant d'être interrompu durant une aussi délicate manœuvre, je prends place sur l'unique chaise du magasin. Décidément, il est en rut inassouvissable, Bérurier, ces temps-ci. Je me dis que c'est la pleine lune et que ça doit lui turgescer la membrane, lui mettre la folie en tête. Si ça continue, il va sauter sur les dames dans la rue, tel un clébard sur une chienne !
Le bruit de lapage, discret au début, s'accentue. II met l'accent tonique, Alexandre-Benoît. Les coudes de la préparatrice s'écartent de plus en plus. Elle finit par poser sa joue sur le comptoir.
Et que voilà un livreur arbi qui radine avec une pile de cartons dans les bras.
— Salut, maâme Germaine !
Because son chargement, il voit pas que la personne part en brioche. Va déposer sa charge dans l'arrière-boutique. C'est en revenant qu'il avise mon pote en prière devant le magistral fessier tourmenté de vergetures. « Fluctuat nec vergetur ». Il stoppe, surpris.
Regarde avec intérêt. Puis, à moi :
— Qu'est-ce qui s'passe, m'siou ?
— Elle a eu un malaise, dis-je, le docteur Bérurier lui fait la respiration artificielle anale.
— C'est pas grave ?
— Non. Tout de suite après, il va probablement lui faire une componction lombaire et le tour sera joué. Certes, elle aura de la peine à marcher pendant quelques jours et elle devra mettre un oreiller sur sa selle de vélomoteur, sinon tout sera O.K.
— Ah ! bon, se réjouit cette belle et saine nature.
— Vous êtes le garçon de course de Mme Purgon ?
— Oui, m'siou.
— Vous pouvez me dire s'il y a souvent des autobus pour Paris, depuis Vilain-le-Bel ?
— Oui, m'siou, y en a toutes les deux heures, ou toutes les heures paires, au choix.
J'interroge ma tocante. Elle annonce 11 heures moins cinq. Rapide calcul mental. Maurice Purgon a dû prendre le bus de 10 plombes.
— Le bus met combien de temps pour aller à Paris ?
— Une heure vingt.
— La tête de ligne se trouve où ?