Touché ! L'apôtre rembrunit monstrement. Il soupire à fendre une paire de fesses, vaincu.
— Je t'avais prévenu, fais-je sans pitié ! Allez, tchao, Sherlock !
Je pousse Maurice à l'arrière de la voiture du cousin, lequel continue de me taxifier à l'œil.
Il fait noye lorsque je me pointe au château. J'ai récupéré ma Maserati et je ramène dame Agnès après que M. Blanc en ait usé et abusé. II a dû la régaler foutralement, Bamboula Ier, car elle paraît épuisée. Ne s'est même pas refardée. Elle a tellement de cernes sous les châsses que ça fait comme une pierre jetée dans l'eau calme d'un étang. Des cercles, et puis d'autres et d'autres encore, à l'infini.
Assise à mon côté, elle ne risque même pas une main tombée sur ma braguette, laquelle constitue un important centre d'hébergement. Comment qu'il l'a essorée, mon pote ! Déclavetée complet ! Mise sur cales ! Les bougies huilées, le coupe-batterie en position « out ».
— C'est beau, l'Afrique, hein ? je ricane.
Elle soupire :
— Inoubliable. « Il » n'a pas voulu me laisser son numéro de téléphone, le salaud !
— Avec lui, on ne communique que par tamtam !
— Mais il a promis de m'appeler.
— Alors, il le fera ; c'est un garçon de parole.
— Je vais devoir attendre sa fantaisie ?
— Vous n'êtes pas obligée.
— Si, dit-elle. En quelques heures, il a relégué aux oubliettes tout ce que je savais de l'amour. Avant lui, commissaire, je n'avais jamais joui. Des illusions ! Je courais après le plaisir. De la fumée sans feu ! Mais lui, quel brasier !
Chapeau, Jérémie ! Ça, c'est du paf !
Nous arrivons.
Ces messieurs-dames viennent de quitter la table. Une ambiance ternasse flotte sur le groupe de désœuvrés. La télé est certes branchée, mais personne ne la suit vraiment. Ils se parlent à l'éconocroque, tous, sans croire à ce qu'ils profèrent et sans s'écouter. Ma venue (inquiétante puisque j'arrive, moi, flic, dans la maison du crime), paraît au contraire soulager l'assistance.
— J'apporte une bonne nouvelle, lancé-je ; j'ai arrêté le meurtrier de Riton.
Exclamations diverses, cris et suçottements dans le public. Des questions s'entrecroisent : « Qui est-ce », « Comment », « nani-nana », « nana-nanère »…
— Un fou sadique, révélé-je. Vieux mec traumatisé dans sa jeunesse par un massacre familial et qui a entrepris une croisade pour venger les siens.
Voilà, ça suffit. Ils en sauront plus au dernier journal.
Je coule mes pattounes dans mes vagues et me mets à centpasser[8]. Je me sens devenir Bourdaloue sur les bords. Voire Bossuet. Qu'à la fin, ayant pris du recul et m'étant plante devant la cheminée où crépitent des embûches de Noël, je déclare :
— Ecoutez, vous autres. L'obus est passé très près de cette demeure ; il eût été dommage qu'il tombât dessus. Je la trouve belle. Il conviendrait de lui rendre un peu de sa noblesse passée avant qu'un jour les promoteurs la rasent pour y bâtir des clapiers. Alors je vous conseille, aux unes et aux autres, de stopper vos turpitudes qui indignent vos proches et les gens de la région. Vous, les ci-devant taulards, vous allez décarrer d'ici aux aurores. Vous avez la nuit pour préparer vos baluchons. Le moment est venu pour vous d'opérer votre véritable réintégration. Essayez de ne pas retomber car, au gnouf, c'est vous qui devenez les caves. Cela dit, si vous avez la mentalité truandière, ça vous regarde. Sachez seulement que vous serez tenus à l'œil. Quant à vous, mes belles dames, je crois que vous seriez bien avisées en disloquant votre groupe de pétroleuses du réchaud. Il y a des moyens plus sympas pour se faire reluire dans la vie que de jouer les putes à marlous.
Une furie se détache du lot : la Francine de Saint-Braque. Elle est hors d'elle.
— Dites donc, monsieur le commissaire, vos fonctions de flic ne vous autorisent pas à venir faire la morale chez moi, moins encore à décider du comportement de mes invités. Si vous n'avez plus rien à faire ici, disparaissez !
Je la considère avec calme. Kif s'il s'agissait d'une actrice répétant une scène de véhémence.
— Si, fais-je, oh ! si, Miss de Saint-Braque, j'ai encore à faire !
Et je te lui mets un double soufflet (de forge) qui la fait trembler sur ses fondations, son fondement et tout le cheese.
Un « oh ! » horrifié dans l'assistance.
Je n'en ai cure, comme disait un prêtre défroqué. J'empoigne cette pécore par un bras.
— Viens par ici, connasse, que je te dise deux mots, et ne ramène pas ton claque-merde, sinon je te dérouille à mort, comme tu aimes !
A grandes enjambées, nous quittons le salon (elle, elle fait des petits pas, mais elle en fait beaucoup et rapidement). Je la drive jusqu'à la bibliothèque dont je referme la lourde d'un coup de cul. Vlan ! Je la propulse sur la bergère. Mes deux tartes lui ont empli les yeux de larmes. En tout cas, elles l'ont calmée. La châtelaine dépravée ne songe plus à m'apostropher. Elle est devenue infiniment soumise, comme la fille de joie dérouillée par son mac.
— Bon, fais-je, te voilà toute douce. Je vais te raconter la triste histoire de Riton, ma poule. La version réelle, non expurgée. Ce petit gars, vois-tu, était absolument certain d'avoir vu des zobs coupés à la pharmacie. Comme notre expédition s'était avérée négative et que personne ne le croyait, il a joué la partie tout seul. Dans le fond, c'était un vaillant petit casseur. Il a contacté la pharmacienne et l'a fait chanter. En somme il l'a menacée de faire ce qu'il avait déjà fait : tout dire à la police. Mais la pharmacienne était en réalité son frère jumeau, trop chiant à t'expliquer, cette histoire me pompe l'air, tu auras des détails ultérieurement, mes éminents lecteurs détestent la rabâche.
« Toujours est-il que ce type est un dangereux sadique. Se sentant démasqué, il a fait semblant de céder aux exigences de Riton et lui a promis un paquet d'osier. Il lui a proposé le fond du parc comme lieu de rendez-vous. Riton qui pensait avoir comme interlocuteur une chétive vieillarde a accepté sans méfiance. Seulement il est tombé sur un sacré os. Purgon frère l'a anesthésié proprement, par surprise, d'un coup de marteau, puis l'a traîné dans le labyrinthe et lui a sectionné la veine jugulaire. Propre en ordre ! Exit le maître chanteur. Le meurtrier est tellement rusé qu'il a apporté un tube de rouge à lèvres en vente dans la pharmacie de sa frangine et l'a laissé sur les lieux, histoire d'orienter la police sur une fausse piste. Il était au courant, comme tout le monde dans la région, des bacchanales qui ont lieu ici, et plaçait cet indice à bon escient auprès du corps.
« Cela a failli marcher, du reste. Quelque chose me dit que Riton t'avait plus ou moins parlé de sa manœuvre pour piéger la pharmacienne. Toujours est-il que, le soir de sa mort, tu l'as vu sortir. Au bout d'un moment, tu es partie à sa recherche. Il t'appartient de me fournir les précisions souhaitées pour que l'affaire s'emboîte, mais cela reste marginal. Seuls importent les faits. Tu es donc partie à la recherche de Riton et tu l'as trouvé, gisant dans les fougères, avec sa gorge béante. Et alors, la chienne que tu es, Francine, la désaxée sexuelle a perdu la tête. La prudence te poussant aussi, il faut bien le dire, tu as sectionné la bite du pauvre petit bonhomme. Pourquoi ? Pour prouver qu'il avait été assassiné par quelqu'un de la pharmacie. Un seul homme pouvait comprendre la chose et en porter témoignage : moi. Moi que vous étiez venus trouver, le môme et toi, pour m'exposer l'affaire ; moi qui ai risqué une expédition illicite à la pharmacie.
« C'est pour cela que, le lendemain, au lieu de prévenir la gendarmerie du coin, tu as absolument tenu à t'adresser à moi. Tu as passé la journée à me chercher, ma belle. J'étais ton ange gardien, en l'occurrence ; ton service de blanchiment. Sais-tu que j'ai eu un doute après avoir examiné le corps ? Si la gorge était proprement tranchée, les génitoires, par contre, avaient été sectionnés en dépit du bon sens, bassement, mochement. Dans l'hémisphère nord, travail de pro, dans l'hémisphère sud, boulot d'amateur. Donc, possibilité de deux interventions différentes.
8
Verbe du premier groupe, à gauche en sortant de la grammaire, qui signifie « faire les cent pas ».