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Trente minutes plus tard, à la nuit tombante, il trouva la maison de Malloy. Une vieille bicoque à cent mètres de la route entourée d’un petit jardin, à laquelle on accédait par une route étroite.

Il arrêta la voiture à mi-chemin, suffisamment loin pour qu’on ne puisse pas le voir depuis la route et pas trop près de la maison, puis attrapa le IMI Desert Eagle sous son siège. La plupart des gens tenaient le Glock ou le Sig pour une meilleure arme de combat, et ils avaient probablement raison, mais quand on sortait un Desert Eagle, ça foutait une sacrée trouille à la personne en face. Le bruit, aussi. Pour dégommer quelqu’un dans un pub bondé sans se la jouer comme un héros, il n’y avait pas mieux. La détonation produisait un boucan d’enfer, et rien ne résistait aux balles de calibre.44.

La lumière filtrait à travers les rideaux fermés à l’étage. Il descendit de voiture et s’approcha de la maison. Lui, s’il habitait un endroit pareil, il aurait un chien. Un gros chien méchant. Il marcha sur l’herbe du bas-côté pour ne pas faire de bruit et guetta un grognement.

Kevin Malloy était marié, avait dit le Bull. Sa femme se trouvait peut-être à l’intérieur. Ou pas. Malloy n’était pas encore remis de ses blessures et gardait la chambre. Vraiment pas compliqué, comme boulot. Entrer, buter tout le monde, rafler l’argent avant de mettre la maison sens dessus dessous. Il faisait noir tout autour. Plus qu’une vingtaine de mètres. Le vent changea.

Là… Une sourde agitation. Le chien l’avait repéré. Le Voyageur s’immobilisa, tendit l’oreille, attendit. Le poids de l’Eagle était rassurant dans sa main, comme un pouvoir divin. Il repartit vers la maison.

Le chien commençait à gronder. Il haletait, à la fois d’excitation et de peur. Mais on ne le voyait toujours pas dans l’ombre. Le Voyageur guetta un autre bruit : le cliquetis d’une chaîne. Personne ne laisserait un gros chien ici sans l’attacher, mais il préférait s’en assurer.

Brusquement, l’animal donna de la voix. L’aboiement grave d’une bête puissante. Le Bull l’avait mis en garde, Malloy était un sale type. Un sale type avait forcément un chien qui le confortait dans son image. Une race stupide, méchante, peut-être un rottweiler ou un genre de mastiff, plutôt qu’un chien de garde plus intelligent tel un berger allemand ou un doberman.

Les aboiements s’intensifièrent. Le Voyageur entendit une bousculade de pattes sur le gravier, puis le bruit d’une chaîne, un jappement quand l’animal s’arrêta dans sa course. Bon. Maintenant, il savait.

Plongeant la main dans sa poche, il sortit les bouchons d’oreilles. Les batteurs instrumentistes, pour se protéger, se servaient de ces petites boules de caoutchouc en forme de ruche qui bloquaient les fréquences dangereuses mais laissaient passer les bruits normaux tout autour. Un coup de feu, par exemple, serait assourdi, alors qu’on pourrait entendre un pet de souris. Il enfonça le dispositif relié par un cordon en plastique dans ses oreilles, ouvrit et referma la mâchoire, avala sa salive, et s’avança.

C’est alors qu’il le vit, une sorte de bâtard croisé avec un mastiff. Un muret entourait la maison et le chien se tenait de l’autre côté du portail. Il cessa d’aboyer en regardant l’intrus approcher. Ses yeux luisaient dans la faible lumière. Le Voyageur engagea une cartouche dans l’Eagle et releva le cran de sécurité. Le chien tremblait sur ses pattes, un grondement sourd s’échappait de son poitrail.

Le Voyageur braqua l’Eagle à deux mains, crispant les poignets pour contrôler le recul de l’arme, et appuya sur la détente jusqu’au point de résistance. Parfois, il confondait sa main droite avec la gauche. Encore une séquelle du morceau de Kevlar dans son cerveau. Mais peu importait ; il s’était entraîné pour que ses deux mains soient aussi fortes l’une que l’autre.

Il ajusta la ligne de visée entre les yeux du chien. La balle fusa. Le crâne de l’animal se fracassa.

La détonation du.44 roula en écho. Le Voyageur guetta une réaction dans la maison. Inutile de compter sur un effet de surprise maintenant. Il n’y avait plus qu’à entrer et à agir. Il gagna la vieille porte en bois et balança son pied sous la poignée. Après un deuxième assaut, le battant céda. Il pénétra à l’intérieur, arme au poing, prêt à tirer sur tout ce qui bougerait.

Une minuscule cuisine, séparée du salon par un comptoir. Personne… Des bouteilles vides et des cannettes de bière s’entassaient autour de l’évier. Les restes d’un repas chinois à emporter traînaient sur la table. L’endroit sentait le tabac froid et l’alcool, l’humidité, les aliments pourris. Il n’y avait que deux portes dans la pièce. L’une permettait de passer dans une salle de bains comportant une baignoire crasseuse et des toilettes. Il s’approcha de l’autre porte, tenant l’Eagle calé contre son épaule.

Le Voyageur ouvrit d’un coup en faisant exploser le chambranle et tira à l’aveugle, trois fois, bousculé en arrière par le recul de l’arme. Il avait les poignets douloureux ; des éclats de bois et de la poussière de plâtre lui piquaient le visage.

Il poussa un juron et s’essuya les yeux avec sa manche. Son œil droit le brûlait. Il secoua la tête pour tenter de chasser ce qui l’irritait.

Quand il se passa la main sur la paupière, elle était rouge de sang. « Merde. »

Après avoir calmé sa respiration, il tendit l’oreille. Des gémissements, des sanglots lui parvenaient depuis un coin de la pièce. Il se dirigea dans cette direction, tenant l’Eagle à deux mains.

Kevin Malloy était couché par terre, entre le lit et une armoire ouverte, les jambes prises dans un drap, un fusil à ses côtés. Un trou sanglant s’ouvrait dans son épaule.

Le Voyageur ramassa le fusil, admira la crosse de bois verni et le canon d’acier. « Joli matos », dit-il en le posant sur le lit. Il reconnaissait l’emblème à tête de cerf. « Un Browning. Je vais peut-être te le taxer. Il te reste des balles ? »

Malloy tremblait de tous ses membres. Il se vidait de son sang. Le Voyageur s’approcha sur la moquette détrempée et lui envoya un coup de pied dans l’épaule. Malloy hurla.

« Je t’ai posé une question, dit le Voyageur. Il te reste des balles ? »

Malloy tourna la tête. « Oui… là… »

Le Voyageur l’enjamba et trouva trois boîtes de cartouches de calibre.20 dans le bas de l’armoire. Il les lança sur le lit à côté du Browning.

« Y a quelqu’un d’autre ici ? » demanda-t-il.

Malloy fit non de la tête.

« Elle est où, ta femme ? »

Malloy se mit à pleurer.

Le Voyageur lui envoya un autre coup de pied. Lorsque Malloy eut fini de hurler, il reposa la question.

« Où est-elle ?

— Elle est partie faire des courses. Je vous en prie, ne me tuez pas.

— Elle revient quand ?

— Je ne sais pas. Je vous en supplie, ne me tuez pas. J’ai de l’argent. Vous pouvez prendre ma carte de crédit avec mon code. Là, dans mon portefeuille. »

Le Voyageur attrapa le portefeuille sur la table de chevet et le mit dans sa poche. De quoi faire croire au cambriolage, mais il s’en débarrasserait très vite. Quant à la carte de crédit, pas question de s’en servir.

Il se frotta l’œil droit avec sa manche, serra les dents pour ne pas gémir. « T’as failli me niquer l’œil !

— Pardon, dit Malloy. S’il vous plaît, ne me tuez pas. »

Le Voyageur remit le cran de sécurité sur l’Eagle et le coinça dans sa ceinture. Il s’approcha du lit, prit le Browning et l’examina, soupesant le poids de l’arme. Dense et légère à la fois. « Superbe », dit-il. Logeant la crosse contre son épaule, il visa la tête de Malloy.