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Lennon le considéra en silence. Puis : « D’accord. C’était quoi, le grabuge entre Crozier et toi ? Cette conversation ne sortira pas d’ici. De toute façon, tu n’es pas en liberté sous caution.

— Il fait des deals foireux avec les Lituaniens.

— Ça, on le sait déjà. Tout le monde est au courant. Toi aussi, tu traites avec eux.

— Pas comme lui. » Rankin secoua la tête. « Moi, je les paie, ils me fournissent, c’est simple. Ils font venir des filles et nous fourguent parfois de la coke. On se sert d’eux, mais c’est tout. En tout cas, on ne les laisse pas rentrer chez nous. Pareil pour les autres étrangers. Si les taigs[11] veulent les avoir comme voisins, tant mieux pour eux. Moi, je n’en veux pas chez moi.  »

Trop tard, Lennon essaya de cacher sa colère. On ne l’avait pas traité de taig depuis longtemps.

Rankin fit une pause pour bien marquer l’effet de son insulte. « Quoi ? Vous êtes bien de l’autre côté, non ? reprit-il.

— Il ne s’agit pas d’être d’un côté ou de l’autre.

— Le meilleur flic que j’ai connu, c’était un taig, dit Rankin. Il en a mis un paquet en taule, y compris moi. Deux fois. »

Lennon ignora la flatterie maladroite de Rankin. « Alors ? dit-il. Crozier et les Lituaniens ?

— Ah oui… Rodney Crozier n’avait pas seulement un petit business avec les Lituaniens, il couchait carrément avec eux. Et quand Michael McKenna s’est fait dégommer, il y a quelques mois, ça a laissé un vide. » Il remarqua que Rankin ne disait rien et inclinait la tête. « Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

En entendant le nom de McKenna, Lennon serra les dents. « Rien », répondit-il.

Rankin le considéra un instant avant de poursuivre : « Bref, les Lituaniens ont commencé à s’installer dans les maisons des Lower Falls où McKenna faisait bosser ses filles. Mais il avait besoin de gros bras.

— Pas des gros bras républicains ?

— Bien sûr que non. La hiérarchie de McKenna a refusé de s’en mêler. Depuis qu’ils se targuent de faire de la politique, ils ne veulent plus se salir les mains. Vous imaginez, les vieilles conneries de McKenna qui leur reviennent à la gueule au moment des élections ? »

Lennon hocha la tête. « Oui, je comprends.

— Les Baltes ne peuvent pas vraiment s’incruster dans ces quartiers-là de Belfast, mais du côté de Brodway, il y a une place à prendre. Pour ça, ils se servent des gars de Crozier. Eux, ils vont au turbin, et en échange, Crozier se taille une belle part du gâteau. Il s’en met plein les poches, tandis que moi, je mange les restes.

— Il y a quand même un sacré marché tout autour, dit Lennon.

— Oui, sauf que lui, il a pris les autoroutes. Tous les pigeons de Lisburn, Craigavon, Lurgan, Dungannon. Dès qu’ils sortent de la bretelle, ils n’ont que l’embarras du choix.

— Alors, le rendez-vous avec Crozier, c’était pourquoi ?

— Pour essayer de le raisonner, dit Rankin. Je ne sais pas pourquoi, j’imaginais qu’il m’écouterait. Ça a toujours été un sale connard. Une grande gueule, tant qu’il a ses gars derrière lui. Mais j’ai pensé que si on se rencontrait tous les deux, en tête à tête, on pourrait réussir à s’entendre.

— Apparemment, tu te trompais. »

Rankin émit un petit rire, sourit, et leva les mains dans un geste fataliste. « Faut croire… Mais au moins, j’ai essayé. Je suis même allé trouver mes agents pour voir si la police interviendrait. J’ai promis de faire tout ce qu’ils voudraient pour écraser Crozier, et de les tuyauter. Ils m’ont jeté en expliquant qu’ils n’avaient pas assez d’hommes ni assez d’argent pour le faire tomber. À mon avis, Rodney Crozier aussi était une balance. » Rankin considéra longuement Lennon. « C’est vrai ?

— Je n’en ai aucune idée. Tu sais aussi bien que moi que la C3 nous raconte que dalle.

— La C3 ? Quelle appellation de merde. On dirait le nom d’une bagnole. En fait, c’est toujours la même Branche Spéciale qu’avant. Alors, si vous ne pouvez rien me dire sur Rodney Crozier, j’ai une autre question à vous poser.

— Laquelle ?

— Pourquoi vous avez tiqué quand j’ai parlé de McKenna ?

— Je n’ai pas tiqué. »

Les lèvres de Rankin esquissèrent un sourire. « Oh si. Me racontez pas de craques. »

Lennon se leva. « Je crois que ça suffira, pour l’instant.

— Attendez, dit Rankin en braquant un doigt sur Lennon, les yeux plissés. C’est vous, le flic qui s’était mis avec la nièce de McKenna, non ? Même qu’elle a eu un môme, hein ? Le merdier que ça a causé… Il paraît qu’on voulait la descendre, sauf que McKenna s’y est opposé. »

Lennon se pencha sur Rankin, si près qu’il sentait l’odeur fade de son after-shave. « Tais-toi, dit-il. Tu ne me parles pas de ça.

— Pas étonnant qu’elle se soit tirée, elle et sa gosse. »

Lennon se raidit. « Qu’est-ce que tu sais à ce sujet ?

— Des rumeurs, c’est tout. Je connais des gars de l’autre côté, vous savez. Les infos tournent.

— Qu’est-ce qu’ils ont dit ? »

Rankin grimaça un sourire. « Vaut mieux que je la ferme, maintenant. »

Lennon se pencha sur le lit, menaçant. « Qu’est-ce qu’ils ont dit ? »

Rankin serra ostensiblement les lèvres, papillotant des yeux. « J’ai déjà trop parlé. Je la boucle. »

Lennon l’attrapa par le col de sa robe de chambre et le tira vers lui, de sorte que leurs nez se touchaient presque. « Qu’est-ce qu’ils ont dit ?

— Vous énervez pas », dit Rankin en souriant. Il posa une main sur l’épaule de Lennon. « Je vous fais juste marcher, c’est tout. Ils n’ont pas expliqué grand-chose. C’était pas très clair, quoi. »

Lennon le lâcha et Rankin retomba contre l’oreiller. « Continue.

— Tout le monde a pensé qu’elle avait eu les jetons quand son oncle s’est fait descendre et que les autres se sont butés entre eux. Mais après, j’ai entendu d’autres choses. Enfin, juste des bruits qui couraient…

— Comme quoi ?

— Comme quoi c’était pas des histoires entre eux. » Rankin lissa les plis de sa robe de chambre sur sa poitrine. « Sauf que personne n’y comprenait rien. En tout cas, les trois dissidents qui ont sauté sur la bombe n’étaient pas impliqués. Moi, j’en sais rien, mais on raconte qu’il n’y avait qu’un seul gars derrière tout ça. Un malade qui a pété les plombs et s’en est pris à McKenna, à McGinty et à tous les autres.

— Conneries, dit Lennon. Il y a eu une enquête. »

Rankin se mit à rire. « Et alors ? Depuis quand ça prouve quelque chose, une enquête ? Bref, voilà ce qui m’est revenu aux oreilles. Que ce soit vrai ou non… Mais c’est pas fini. »

Lennon soupira. « Bon sang, accouche.

— À ce qu’il paraît, la femme était mêlée à tout ça, elle et la môme. Votre môme. Bon sang, me dites pas que vous n’étiez pas au courant ! La Branche Spéciale vous raconte vraiment que dalle, hein ? »

Le cœur de Lennon accéléra. « C’est tout ?

— C’est tout ce que j’ai entendu », répondit Rankin.

Lennon partit vers la porte, manquant de renverser la chaise au passage.

« Surtout, me remerciez pas », lança Rankin au moment où Lennon sortait de la chambre.

11

« Thomas McDonnell », appela le médecin à la porte de la salle d’attente. Une grande carcasse efflanquée, avec un visage triste à faire peur.

« C’est moi », répondit le Voyageur.

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11

Catholiques (argot).