78
« Où sont-elles ? » demanda Fegan, son visage tout près de celui de Lennon.
Écrasé, Lennon se débattit en tordant les épaules. Fegan essayait de garder l’équilibre.
« Je ne sais pas. »
Fegan resserra la prise sur sa gorge, cherchant la trachée. « Tu aurais dû les garder en sécurité. »
Lennon leva les mains en direction des yeux de Fegan. Celui-ci recula en dégageant sa tête. Il vacilla. Ses doigts se desserrèrent autour de la gorge de Lennon. Encore un assaut, et il tomba à plat dos sur le bitume, un Glock appuyé contre sa joue.
« Gerry Fegan, dit Lennon.
— Pourquoi tu les as laissées ? demanda Fegan.
— J’étais obligé. » Lennon haletait. « Personne ne savait où elles étaient.
— Mais il les a trouvées. »
Le Glock s’enfonça plus fort dans la joue de Fegan. « Putain, je sais qu’il les a trouvées, reprit Lennon. Elles ont été données. Moi aussi, j’ai été vendu. Maintenant tire-toi, sinon je t’explose la tête.
— Non. » Fegan se dressa sur ses coudes, malgré la pression du canon de l’arme qui pesait sur sa pommette. « D’abord, je veux savoir où elles sont.
— Pourquoi ? » Lennon le repoussa à terre. « C’est toi qui es la cause de tout ça. Sans toi, elles seraient en sécurité. Toute cette histoire est arrivée par ta faute, espèce de malade.
— Je sais. » La force se retira de Fegan et rejoignit la terre froide sous lui. Il ferma les yeux. « Je sais », répéta-t-il.
La gueule du pistolet s’écarta de sa joue. Soulagé du poids qui écrasait sa poitrine, il ouvrit les yeux. Lennon se relevait, pointant toujours le Glock sur son front.
« Comment tu m’as trouvé ? demanda-t-il.
— J’ai parlé à celui qui les tient, répondit Fegan. Sur le portable de Marie. Il a dit qu’il était à Carrickfergus. En faisant le tour du quartier, j’ai vu une voiture de police. J’étais sûr que c’était ça. Je t’ai suivi. »
Lennon recula et désigna la rue déserte avec le pistolet. « Tire-toi. Allez, disparais, sinon je t’amène au poste. »
Fegan s’assit. « Je ne peux pas. Je partirai quand elles seront en sécurité.
— Elles ne seront jamais à l’abri tant que tu traîneras dans les parages, dit Lennon. Tu comprends pas ça ? Bon sang, on n’a pas le temps. »
Il enjamba Fegan et se dirigea vers l’Audi.
« Où sont-elles ? » Fegan se leva. « Qu’est-ce que tu as trouvé là-bas ?
— Rien qui te concerne, répondit Lennon en ouvrant la portière de l’Audi. Tire-toi, et ne reviens pas.
— Raconte-moi ce qui s’est passé. » Fegan lutta contre la colère qui lui soulevait la poitrine.
De nouveau, Lennon pointa le pistolet. Sa main tremblait. « Fiche le camp, ou je te tue. »
Fegan se dirigea vers la porte du pub.
« Arrête », lança Lennon dans son dos.
Fegan lui fit face. « Alors, raconte.
— Il ne sait pas où elles sont allées, dit Lennon, les épaules basses. Mais il m’a parlé de quelqu’un qui le saurait peut-être. Celui qui les a vendues.
— Qui est-ce ?
— Un vieil ami. Un flic. »
Fegan s’approcha plus près. « Emmène-moi le voir.
— Non. Bon sang, non. T’es dingue ? Mais oui, bien sûr ! Tu es malade. »
Lennon rangea son arme et prit place dans la voiture. Fegan se jeta sur la portière avant que Lennon n’ait eu le temps de la fermer.
Assis au volant, Lennon leva des yeux furieux. « Lâche.
— Il te dira où elles sont ? demanda Fegan.
— Je ne sais pas, répondit Lennon. Peut-être. Peut-être que non. Lâche la poignée. »
Fegan s’appuya contre la portière. Il respira la sueur et la peur de Lennon. « Emmène-moi le voir.
— Pourquoi ?
— Parce qu’il me parlera.
— Pourquoi te répondrait-il, grands dieux ? »
Fegan répondit : « Parce que, moi, il m’écoutera. »
79
Au volant de la Volkswagen, le Voyageur roula jusqu’au portail de la maison de retraite qu’avait annexée Bull O’Kane. Un homme émergea de l’ombre et braqua une torche électrique sur la voiture. Le faisceau éclaira la femme et l’enfant.
L’homme frappa quelques coups à la fenêtre. Le Voyageur abaissa la vitre.
« C’est qui, elles ? »
Le Voyageur distinguait seulement une veste sombre et un jean. On voyait une bosse dans la poche de l’homme. « Des vieilles copines de ton patron, répondit-il. Ouvre. »
L’homme se gratta la barbe un instant puis agita la torche en direction de quelqu’un. Le portail s’ouvrit. Aucune trace de concierge. Le Voyageur passa.
La vieille bâtisse se dressait, noire contre le ciel bleu du matin qui approchait. Elle grandit à mesure que la voiture s’avançait sur le gravier. La lumière de phares se refléta sur des fenêtres traditionnelles. La tête du Voyageur lui faisait mal à exploser de fatigue. Il espérait que le Bull lui accorderait une heure ou deux de sommeil quand il en aurait fini avec la femme et l’enfant.
Le frein à main couina lorsqu’il s’arrêta devant la porte. Le battant était ouvert, la lumière à l’intérieur éclairait la silhouette de Orla O’Kane. Le Voyageur descendit de voiture.
« Qu’est-ce que vous faites là ? demanda-t-elle.
— Juste une petite visite. »
Elle s’avança sur le gravier. « C’est…
— Oui. »
Orla s’approcha tout près du Voyageur. « Mais bon Dieu, pourquoi vous les avez amenées ici ?
— Votre vieux voulait qu’on attire Fegan, non ? Je crois que ces filles-là sont bien placées pour ça, du coup je les ai prises avec moi. »
Orla secoua la tête. « Non. Pas de cette manière. Pas ici. Il ne voudra rien entendre. Il a déjà fait cette erreur.
— Ici, c’est son repaire, vrai ? »
Elle pointa un doigt épais sur sa poitrine. « Vous aussi, il vous surveille maintenant. Vous avez intérêt… »
Le Voyageur repoussa son doigt. « Écoutez, j’ai fait ma part, et j’en ai sacrément bavé. Vous voyez dans quel état je suis ? Faites-en ce que vous voulez, de ces deux-là, du moment que je suis payé. »
Orla le dévisagea fixement pendant que la machine tournait derrière ses yeux, des vies perdues ou épargnées dans chaque option qu’elle considérait. Finalement, elle acquiesça : « D’accord. » Elle regarda vers la voiture. « Elles sont intactes ?
— La môme, oui. La femme est blessée. »
Orla s’approcha de l’arrière de la voiture et jeta un coup d’œil à l’intérieur. « C’est grave ?
— Plutôt. Il y a des infirmières ici ?
— Non. Elles rentrent chez elles la nuit. Le service ne recommence que dans une heure ou deux. Je suis seule avec deux gars pour faire le guet.
— Dommage. Faudrait qu’elle soit examinée. Sinon, je lui donne pas longtemps.
— Aucune importance », reprit Orla. Elle ouvrit la portière et se baissa pour se mettre à la hauteur des yeux de l’enfant. La dureté de son visage s’assouplit pendant qu’elle tendait la main vers la petite. « Bonjour, chérie. Comment tu t’appelles ? »
Le Voyageur fit asseoir Marie McKenna sur une chaise devant la chambre du Bull. Orla tenait toujours l’enfant dans ses bras. Elle lui chuchotait à l’oreille, la berçait.
Marie leva les mains vers sa fille. La sueur perlait sur sa peau à cause de l’effort. « Je vous en prie », dit-elle dans un filet de voix.
Orla hésita, puis déposa Ellen dans les bras de sa mère. La poitrine sifflante, Marie enlaça la petite fille. Elle regarda le Voyageur avec des yeux sombres, enfoncés dans un visage gris comme la cendre, puis toussa et éclaboussa de gouttelettes rouges les cheveux de la fillette.