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Son doigt se crispa sur la détente, mais une voix lointaine l’appela.

« Quoi ? »

En prononçant ce seul mot, ses poumons se vidèrent. Il dut reprendre son souffle dans l’air vicié. Aussitôt, sa tête se fit légère. Il chercha autour de lui la source de l’intrusion.

Là, près de la porte, la silhouette d’un homme aux cheveux blonds noircis, brûlés, qui pointait un doigt sur lui. Non, pas un doigt. Qui le visait avec quelque…

Deux coups à l’épaule, l’un après l’autre, et le plancher vint brutalement heurter son dos. Le plafond ressemblait à une rivière charriant du noir. Partout, le silence, sauf dans ses oreilles bourdonnantes. Il essaya d’inspirer mais ses poumons ne lui obéissaient pas. Ses mains refusaient de se porter à sa poitrine pour y ôter le poids et la chaleur qui l’oppressaient.

100

Penché en avant, Lennon respirait aussi peu que possible. Ses yeux pleuraient et le piquaient. Il attrapa Fegan par son col et le traîna sur quelques mètres puis dut s’arrêter, les poumons sur le point d’éclater.

Fegan roula sur un côté et gémit. Lennon s’agenouilla près de lui.

« Tu peux te lever ? demanda-t-il.

Fegan le regarda avec des yeux hagards, la bouche ouverte.

Lennon gifla sa joue en sang pour le faire revenir à lui. « Il faut que tu bouges. Ce n’est pas loin. Juste de l’autre côté de la porte. »

Fegan regarda vers la porte. Il essaya de se concentrer, le visage crispé. Son regard s’éclaircit, il parut comprendre ce que Lennon demandait. Il se mit à quatre pattes et avança vers l’embrasure de la porte. La fumée tourbillonnait, en proie à des courants d’air contradictoires.

Lennon le rattrapa, tête baissée. Il glissa une main sous son bras pour le relever. Ils vacillèrent ensemble, mais Lennon les stabilisa. S’ils pouvaient seulement atteindre l’escalier de secours, cinq mètres plus loin… Poussés en avant par leur élan plutôt que par une action volontaire de leurs jambes, ils furent engloutis par l’épaisse fumée que le brasier soufflait dans la cage d’escalier.

« Allez », dit Lennon d’une voix étranglée, en soutenant Fegan dans sa progression vers la lumière au fond du couloir.

Fegan trébucha, tomba à genoux. Passant les bras autour de sa poitrine, Lennon le remit debout. Il le poussa vers la porte de secours, ouverte, et l’escalier en caillebotis métallique de l’autre côté.

Il s’effondra à la suite de Fegan sur la plate-forme extérieure. Fegan haletait dans l’air du dehors. Le sang gouttait des chairs tuméfiées autour de sa plaie, sous l’œil gauche, et ruisselait aussi de son oreille au lobe à demi tranché, jusqu’à son cou où il commençait à se figer. Lennon se releva et inspira profondément, puis cracha par-dessus la rambarde à laquelle il s’accrochait, luttant contre l’étourdissement qui le prenait et s’attaquait à ses jambes.

« Où sont-elles ? » demanda-t-il.

Fegan hoqueta et toussa.

Lennon s’accroupit près de lui. « Qu’est-ce qu’ils en ont fait ? »

Fegan tourna son visage vers lui. « En haut », articula-t-il avec peine à cause de sa langue enflée.

Lennon leva la tête pour regarder le palier supérieur. « Où ça, en haut ? Dans quelle pièce ? »

Une nouvelle vague de chaleur surgit par la porte. À travers la fumée, Lennon vit les flammes s’avancer.

« Il m’a dit, au bout du couloir. Dans une chambre de bonne. »

Fegan se leva en s’agrippant à la rambarde. Il réussit à faire un pas vers l’escalier et commença à monter. Lennon le suivit, puis le dépassa, prenant les marches deux par deux malgré la faiblesse de ses jambes. Fegan accéléra l’allure derrière lui. Ses pas désordonnés claquaient sur le métal.

Lennon atteignit le palier et se précipita. Comme à l’étage inférieur, l’issue de secours était fermée par une vieille porte-fenêtre en bois. Il fit exploser le verre avec la crosse de son pistolet et passa la main à l’intérieur. Il sentit sur sa peau une chaleur presque insoutenable tandis qu’il cherchait le verrou à tâtons. Après avoir ouvert la porte, il se plia en deux pour éviter le nuage noir qui se ruait vers l’extérieur.

Parvenu à son tour sur le palier, Fegan entra directement dans l’obscurité enfumée.

Lennon le suivit. « Quelle chambre ? » cria-t-il à Fegan. La fumée l’assaillit en pleine poitrine. Il s’accroupit et toussa à s’en déchirer les flancs.

« Là. » Fegan ouvrit la porte la plus proche et tomba en avant dans la pièce.

À travers les tourbillons de fumée, Lennon aperçut la silhouette d’un homme couché quelques mètres plus loin dans le couloir, peut-être un garde, inconscient ou mort. À quatre pattes, il pénétra dans la chambre où Fegan était à présent affalé contre le mur, le regard dans le vide, la poitrine haletante. Des larmes mêlées de sang coulaient sur ses joues.

Marie McKenna était étendue sur un lit, le visage gris, une large tache rouge sur son chandail. Allongée par terre près de Fegan, Ellen avait les yeux fermés et les lèvres légèrement entrouvertes.

« Oh non, dit Lennon. Non. »

Il alla prendre la main de Marie. Un grand froid le saisit tout entier au contact de cette peau fine et sèche. Son estomac se retourna. Il déglutit et obligea son esprit à rester concentré, puis caressa la joue d’Ellen.

Encore chaude.

Collant son oreille contre la poitrine de la fillette, il occulta tout le reste, le crépitement des flammes, le gémissement lointain de l’alarme incendie, et écouta. Là, peut-être, un battement imperceptible.

Il leva les yeux vers Fegan. « Je crois que… »

Fegan se redressa.

Lennon approcha sa joue de la petite bouche. Un léger souffle, doux et tiède, lui caressa la peau.

« Elle est vivante », dit-il.

Fegan sourit. « Emmène-la. Sors d’ici. »

Lennon reprit la main de Marie, serra les doigts froids dans les siens et murmura : « Pardon.

— Dépêche-toi », dit Fegan.

Lennon prit l’enfant dans ses bras et se leva. « Tu y arriveras. Ce n’est pas loin.

— Je ne peux pas. Je suis fatigué. Je veux dormir. C’est ce que je désire depuis toujours. Dormir. »

Portant Ellen sur un bras, Lennon attrapa Fegan par son col. Fegan le repoussa.

« Non. » Il toussa. « Va-t’en, et laisse-moi dormir. »

Lennon hocha la tête. Il serra Ellen contre lui et abandonna Fegan dans la chambre. La fumée formait à présent un mur compact dans le couloir. Seule une faible lueur indiquait la sortie. Il se baissa et fonça dans cette direction.

Brusquement, le plancher vint à sa rencontre, avant même qu’il ne sente la main qui lui serrait la cheville. Il amortit sa chute en se recevant sur les avant-bras, les coudes broyés, manquant d’écraser Ellen.

Des mains puissantes le saisirent aux jambes. Il n’aurait su dire si leur propriétaire cherchait à s’échapper, ou à le tirer en arrière. Quand il donna un coup de pied, il se heurta à une masse énorme et lourde. Les mains revinrent s’agripper à lui.

Luttant pour se dégager, Lennon vit le visage noirci de O’Kane, ses yeux fous, sa bouche tordue par une grimace.

Le Bull hurla quelque chose au moment où Lennon lui envoyait son pied dans la mâchoire.

101

Fegan n’aurait pu expliquer ce qui le remit en mouvement. Un basculement, une voix intérieure lui disant qu’il voulait vivre ? Peut-être était-ce la peur de brûler vif, quoiqu’il sût que la fumée aurait raison de lui bien avant les flammes. Dans tous les cas, ce fut une clairvoyance subite. Mais quelque chose l’avait précédée. Une silhouette dans l’obscurité étouffante, une femme tenant un bébé dans les bras, une femme avec un sourire doux et triste qui autrefois lui avait témoigné de la compassion. Il pensa un instant qu’elle venait l’accueillir, à l’orée d’un monde dont il ignorait tout. Mais lorsqu’elle s’évanouit, ne resta plus que le désir de bouger malgré sa fatigue.