— Immunisé ?
David confirma d’un hochement du menton tout en actionnant le démarreur.
— On m’a rendu invulnérable à toutes les maladies connues.
La machine roulait. Evelyn, cramponnée au torse musclé de David, le visage collé sur son dos puissant, se disait : Oui, c’est bien lui. Tout ce que j’ai à faire, c’est de m’arranger pour qu’il se déboutonne, qu’il parle librement. Elle se frotta la joue contre l’omoplate de David. Cela devrait être amusant tout plein !
Quand ils furent parvenus au village où étaient installés les services administratifs et les logements, David arrêta sa mécanique sous un lampadaire pour que la jeune fille fouille dans son sac à la recherche du papier portant sa nouvelle adresse — son adresse définitive.
— Ils m’ont vidée du pavillon de quarantaine ce matin même, tambour battant, pour m’expédier là, expliqua-t-elle en fourrageant dans le mystérieux assortiment d’impedimenta que contenait ledit sac, et avant même que j’aie eu le temps de reprendre mon souffle. Cobb m’a appelée… Ah ! la voici !
David prit connaissance de l’adresse et du numéro de l’appartement et se remit en route. Deux rues plus loin, il fit halte devant un gracieux bâtiment de quatre étages au toit plat hérissé de balcons qui paraissaient flotter dans l’air. Les fenêtres des maisons du village étaient allumées mais il n’y avait pour ainsi dire pas un chat dans les rues calmes bien que, par rapport aux usages de la Terre, il fût encore très tôt.
En silence, Evelyn suivit David dans le hall d’entrée de l’immeuble. Elle lui sourit quand, dans l’ascenseur, il appuya sur le bouton du second.
Elle ouvrit la porte de son appartement en effleurant la plaque d’identification du bout des doigts.
— Voulez-vous un peu de thé ou je ne sais quoi d’autre ? Je n’ai aucune idée de ce qu’il y a comme denrées dans la cuisine.
— Probablement du café. Nous produisons notre propre café, vous savez.
— Cela ne m’étonne pas.
Elle ôta le poncho qu’elle lança à la volée sur le divan et tendit le doigt vers les sacs de voyage posés devant la porte béante de la chambre.
— Je n’ai même pas encore eu le temps de déballer mes affaires.
David remarqua néanmoins que le lit était fait. Prêt à être occupé immédiatement.
— Excusez-moi un instant, voulez-vous ? (Elle entra dans la chambre. Quand elle en ressortit quelques instants plus tard, elle souriait.) Vous aviez raison. Il y a bien un récureur à ultrasons dans les toilettes mais ni baignoire ni douche.
— Ils vous ont sûrement prévenue pendant votre briefing.
— Je n’y ai sans doute pas fait attention.
David s’assit sur le divan et replia le poncho tandis qu’Evelyn s’occupait du café. C’était un petit studio, le logement classiquement attribué aux nouveaux arrivants : une chambre, un living, une kitchenette, une salle d’eau. Spartiate. Quand même, il bénéficiait d’un balcon et de fenêtres qui donnaient sur de la verdure. Mais c’était la même chose pour tout le monde.
Avant même que David s’en fût rendu compte, Evelyn s’était assise à côté de lui et ils bavardaient en sirotant le café.
— Vous ne souffrez pas de la solitude ? lui demandait-elle. Les autres peuvent aller sur la Terre rendre visite à leurs amis et à leur famille quand ils le veulent. Mais être coincé ici en permanence, ça ne doit pas être drôle tous les jours.
— Ce n’est pas tellement épouvantable. J’ai des amis.
— Votre famille habite-t-elle aussi la colonie ?
Il secoua la tête.
— Je n’ai pas de famille.
— Ah bon ? Elle est restée sur la Terre ?
— Non. Je… je n’ai personne.
— Vous êtes seul au monde ?
— Franchement, je n’ai jamais envisagé les choses sous ce jour mais, au fond, c’est vrai. Je suis seul au monde.
Evelyn demeura un moment sans parler. On dirait une petite fille effrayée, se dit David.
— Moi aussi, je me sens très seule, reprit-elle doucement. C’est… terrible d’être loin des miens, de tous mes amis.
Elle leva son visage vers lui et David l’embrassa. Elle resta quelques instants immobile, serrée contre lui, puis ses lèvres s’ouvrirent et, soudain, elle ne fut plus que passion déchaînée. Son corps se nouait à celui de David qui l’étreignit de toutes ses forces. Ils tombèrent sur le divan à la renverse, allongés côte à côte, et il entreprit de faire glisser sa robe.
— Pas comme ça, murmura-t-elle, un soupçon de rire dans la voix.
Elle se dressa sur son séant tandis qu’il caressait ses jambes souples et lisses et ôta sa robe. Une brève contorsion des hanches et elle fut nue. David commença à déboutonner sa chemise à son tour.
— Tss Tss ! chuchota-t-elle. (Elle l’embrassa à nouveau.) Laisse-moi faire. Étends-toi et ferme les yeux.
Il lui fallut beaucoup plus de temps pour le déshabiller qu’elle n’en avait mis à se dévêtir elle-même mais David n’y trouvait rien à redire. Il sentait sur lui les mains de la jeune fille, son corps, sa langue, la caresse de son épaisse chevelure sur ses cuisses. Il tendit les bras et l’attira à lui. Elle l’enfourcha comme elle avait enfourché la bécane et il explosa en elle.
À présent, il était dans la chambre. Sous un drap léger. Allongée près de lui, le menton dans la main, elle effleurait la poitrine de David du bout des doigts de sa main libre.
— Je crois bien que je me suis endormi, balbutia-t-il.
— Hm-mmm.
Elle se pencha sur lui pour l’embrasser. David répondit du tac au tac et ils refirent l’amour.
Ils étaient l’un contre l’autre. David regardait fixement le plafond qui se perdait dans l’ombre.
— Tu n’as plus peur du noir, maintenant ? fit-il.
— Non. C’est bon. Je te sens contre moi. Je ne suis pas seule.
— Je parie que tu ne dormais jamais sans ton ours en peluche quand tu étais petite.
— Bien sûr. Pas toi ?
— J’avais un terminal près de mon lit. Et, en face de moi, un écran mural. Mais je connais très bien les ours en peluche grâce à mes lectures.
— Tu as toujours été seul ?
— Oh ! je n’étais pas réellement seul. Il y avait toujours des tas de gens autour de moi… des amis, le Dr Cobb…
— Mais tu n’avais pas de famille ?
— Non.
— Pas même une mère ?
Il tourna son visage vers elle. Il n’était pas possible de distinguer l’expression d’Evelyn dans l’obscurité. Il ne discernait que le reflet lunaire de ses cheveux et la courbe d’une épaule nue.
— Je n’ai pas le droit de parler de ça, Evelyn, répondit-il d’une voix lente. Ils ne veulent pas donner matière à de grands articles à sensation avec mon histoire. Les médias se précipiteraient comme un essaim de mouches.
— Tu es le bébé éprouvette.
David laissa échapper un soupir.
— Alors, tu es au courant ?
— J’avais des soupçons. Sur la Terre, je travaillais dans la presse. Il y a des années que la rumeur circule.
— Je suis le résultat d’une sorte d’expérience génétique. Je ne suis pas né comme on naît habituellement. Ma gestation a eu lieu dans le laboratoire de biologie de la colonie. Je suis le premier — et le seul — bébé éprouvette au monde.
Evelyn resta longtemps silencieuse. David attendait qu’elle dise quelque chose, qu’elle le harcèle de questions. Mais non. Rien. Finalement, il lui demanda :
— Est-ce que cela t’embête ? Je veux dire…
Elle lui caressa la joue.
— Mais non, cela ne m’embête pas, grosse bête ! Je me demandais seulement… pourquoi t’ont-ils fait ça ?