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— Le colonel a été appelé il y a une minute, expliqua Jamil al-Hachémi, le représentant du Moyen-Orient. Un coup de téléphone urgent de Buenos Aires.

— Je parie que ce sont les révolutionnaires d’El Libertador qui font encore parler d’eux, dit Williams, le délégué nord-américain.

Il était le plus jeune — et le plus beau — des six hommes. Sa peau était couleur chocolat au lait.

— J’espère qu’il ne sera pas trop long, fit le directeur.

— Gardons-nous de tout optimisme exagéré, répliqua le représentant russe, Malekoff, dans un irréprochable International English. Il est bien rare que ce bon colonel soit bref quand il est en conversation.

Les autres sourirent poliment.

Tandis qu’ils échangeaient d’insignifiantes plaisanteries en attendant Ruiz, De Paolo se prit à songer : Comme ils sont semblables et, en même temps, différents ! C’est le nouvel internationalisme avec toutes ses colorations paradoxales.

Chacun d’eux venait d’une autre partie du monde : l’Arabe à la peau tabac, le Chinois bistré, l’Africain noir, le Russe au poil roux, le blond Danois et l’Américain à l’épiderme foncé. Mais tous portaient le même costume gris à la coupe sobre. La couleur de leurs vêtements était plus uniforme que celle de leur épiderme. Et c’étaient tous des hommes. Nous n’admettons toujours pas que des femmes puissent accéder au Conseil exécutif. Ce serait trop cruel.

— J’ai bien peur, dit De Paolo au bout de quelques minutes, qu’il ne nous faille commencer en l’absence du colonel Ruiz.

Le brouhaha des conversations cessa et les six représentants se tournèrent vers le directeur, l’air attentif et intrigué.

— J’ai convoqué cette réunion extraordinaire du conseil exécutif pour m’entretenir personnellement avec vous des résultats de vos investigations concernant d’éventuelles manipulations météorologiques illégales et clandestines. Qu’est-ce que vos services de renseignements respectifs ont découvert ?

Les six hommes se regardèrent et De Paolo eut l’impression de six petits garçons interloqués par une question épineuse posée par un vieux maître d’école autoritaire.

Ce fut Chiu Chan Liu qui prit le premier la parole. Son visage lunaire ne révélait rien de ses émotions profondes :

— Compte tenu de la guerre civile qui déchire actuellement mon pays, il ne nous a pas été possible d’enquêter sur ces modifications climatiques illicites. Je puis toutefois préciser que mon gouvernement n’est pas impliqué dans une telle action de sabotage bien qu’il en souffre gravement. La récolte de riz a été inférieure de quarante pour cent aux prévisions. Quarante pour cent !

— Pensez-vous que ces altérations de votre climat puissent être imputées aux Taïwanais ?

C’était Victor Andersen, le Danois, qui avait posé la question. Les lunettes qu’il portait n’étaient pas pour la vue ; elles servaient à dissimuler ses prothèses auditives.

— Non, répondit Chiu en agitant la main. Non, ils ne possèdent pas la technologie adéquate. Nos scientifiques demeurent loyaux envers le gouvernement central. Les Taïwanais n’ont ni le personnel ni les équipements nécessaires pour produire des modifications du temps sur grande échelle.

— C’est absolument vrai, murmura Jamil al-Hachémi.

C’était l’aristocrate du groupe, un cheik aux traits hautains, descendant du fils du Prophète.

— Mais ils pourraient acheter le matériel dont ils auraient besoin, répliqua Malekoff. Les multinationales n’hésitent pas à vendre de la technologie militaire au plus offrant. Peut-être vendent-elles aussi de la technologie météo.

— Non, laissa laconiquement tomber al-Hachémi.

— Pouvez-vous vous porter garant pour toutes les firmes multinationales ? lui demanda Malekoff dont un sourire railleur retroussait les lèvres minces.

— Je peux parler avec assurance en ce qui concerne les holdings de mon groupe et je me suis informé sur les opérations des autres grands consortiums. Les administrateurs de ces entreprises sont parfaitement conscients que les manipulations climatiques sont non seulement illégales mais qu’elles sont, en outre, sans intérêt en tant qu’arme stratégique. C’est mauvais pour le commerce, cela nuit aux bénéfices.

Malekoff émit un grognement qui était peut-être un ricanement.

— Ainsi, les capitalistes renoncent au sabotage météo pour des raisons morales. Pour eux, tout ce qui porte atteinte au profit est un péché mortel !

— Mais ce n’est pas le cas pour les communistes, riposta al-Hachémi d’une voix égale. Détériorer le climat de la planète serait dans le droit fil des théories marxistes-léninistes, n’est-il pas vrai ?

— Absolument pas ! lança avec hargne Malekoff dont le visage s’était subitement empourpré.

— Cessez de vous quereller, les morigéna De Paolo.

Il n’avait pas haussé le ton mais son intervention suffit pour mettre un terme à la dispute naissante.

— Dois-je comprendre, enchaîna-t-il, qu’aucun d’entre vous n’a trouvé le moindre indice d’agissements illégaux visant à perturber le temps ?

Kowié Bowéto, le représentant africain, se pencha en faisant saillir ses puissantes épaules :

— Ce sont les consortiums — les grosses multinationales. Elles ne vendent pas la technologie climatique aux nations : elles l’utilisent directement à leurs propres fins. Ce sont elles qui font la guerre… qui la font contre nous ! Contre le Gouvernement mondial !

Les yeux d’Andersen clignèrent derrière ses verres.

— C’est une accusation gratuite.

— Et bien dangereuse si vous insinuez que j’ai menti, renchérit al-Hachémi.

— Non, pas du tout, fit Bowéto sur un ton conciliant. Mais vos pairs, les hommes qui constituent avec vous votre directoire, savent que vous êtes membre du conseil exécutif du Gouvernement mondial. Croyez-vous qu’ils vous disent toute la vérité ?

— Je me suis livré à une enquête approfondie.

La voix d’al-Hachémi était d’autant plus menaçante que son timbre était sourd.

— Ils ont les moyens de bloquer n’importe quelle enquête. Il n’est pas difficile de cacher une équipe de manipulation climatique dans une région reculée et isolée. Il suffit de quelques hommes, d’un peu de matériel très léger et d’un ordinateur.

— Mais pourquoi les consortiums feraient-ils une chose pareille ? objecta De Paolo. Il semble peu vraisemblable…

Bowéto le coupa :

— Parce qu’ils se sont mis en tête de détruire le Gouvernement mondial ! Ou, tout au moins, de nous rendre impotents. Ils veulent être les maîtres de la planète et, si nous les laissons faire, ils ont toute la puissance et tous les capitaux qu’il faut pour parvenir à leurs fins.

— Je ne peux pas croire une chose pareille.

Les poings noirs et massifs de Bowéto se nouèrent.

— Pourquoi les consortiums n’autorisent-ils pas nos représentants à se rendre sur Île Un ? Ils contrôlent totalement l’énergie que nous recevons des satellites solaires. Ce sont eux qui les ont construits, ce sont eux qui les font fonctionner, ce sont eux qui décident qui bénéficiera de cette énergie et à quel prix. Nous sommes pris à la gorge. Sommes-nous le Gouvernement mondial ou une poignée de vieux radoteurs débiles ?