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Elle-même n’avait guère souri, cependant, ces derniers jours. Après sa balade inaugurale dans le cylindre principal et sa première nuit passée dans les bras de David, elle s’était exclusivement consacrée aux activités de base des néophytes — amphis et exploration. David l’avait appelée à plusieurs reprises et elle avait finalement accepté de dîner avec lui le vendredi. Mais de la réserve, hein ? C’est bien gentil de s’amuser un peu mais tu ne vas pas t’éterniser ici. Attention à ne pas te brûler les ailes, ma fille !

Le guide, qui était enfin arrivé au bout de sa conférence, s’apprêtait à faire rejoindre la navette à son troupeau.

— Mais, monsieur, l’interpella une recrue, il n’y a personne. Est-ce que le travail est entièrement automatisé ?

— Le plus possible, répondit le moniteur, impavide. Les modules ne sont pas aussi bien protégés des rayons cosmiques durs et des radiations solaires que le cylindre principal et nous nous efforçons de réduire au minimum l’exposition des hommes au rayonnement.

Merci beaucoup ! fit Evelyn dans son for intérieur.

Si les autres s’inquiétaient de la dose de radiations qu’ils étaient en train d’encaisser, ils ne manifestaient aucun souci apparent. Ils réintégrèrent docilement la navette dans un silence tel qu’Evelyn avait l’impression d’être revenue à l’école de catéchisme de Notre-Dame-des-Larmes quand elle se préparait pour sa première communion sous l’œil sévère de bonnes sœurs renfrognées.

Elle prit subitement conscience qu’une nouvelle balade sous faible gravité l’attendait. Juste au moment où mon estomac commençait à se calmer ! Enfin, c’était peut-être la dernière de la journée…

Quelqu’un lui tapa sur l’épaule. Elle se retourna. C’était le guide à la triste figure. Il la dévisagea fixement. Si seulement il souriait, il ne serait pas vilain garçon.

— Il m’a semblé que les passages sous faible G vous ont éprouvée, lui dit-il.

Sur le moment, Evelyn fut tentée de nier mais elle se dit, réflexion faite, que jouer les matamores serait pire que de reconnaître ses faiblesses. De toute évidence, le guide avait remarqué qu’elle avait viré au vert.

— J’ai peur que mon estomac ne fasse pas très bon ménage avec l’apesanteur, répondit-elle en essayant de prendre un ton badin.

Les autres recrues s’introduisaient pendant ce temps dans la navette à la queue leu leu comme une file d’automates.

— En principe, reprit le guide en farfouillant dans les poches de sa tenue de saut, en principe, nous ne sommes pas autorisés à administrer des médicaments aux nouveaux mais je ne crois pas que ceci puisse être nocif.

Il avait extrait de sa poche une petite boîte d’où il sortit une pilule qu’il tendit à Evelyn.

— Ce remède supprimera vos spasmes. Le retour au cylindre principal prend une quinzaine de minutes et nous serons pendant presque tout ce temps sous une gravité inférieure à un cinquième de G.

La jeune fille contempla la pilule dans le creux de sa paume, puis elle leva les yeux.

— C’est… c’est très gentil à vous.

Enfin, il sourit et son visage se plissa de rides.

— Je m’appelle Harry… Harry Bronkowski.

— Merci, Harry.

Il lut le badge qu’elle arborait.

— Evelyn Hall.

— C’est moi.

Il l’aida à franchir l’écoutille, alla lui chercher une ampoule d’eau en plastique, s’assit au bord de la couchette, et lui tint compagnie jusqu’à ce que l’on eût regagné le cylindre, lui parlant de sa vie, de son travail de moniteur et de guide, de ses violons d’Ingres et de la tristesse de l’existence solitaire des célibataires. Evelyn était consciente des coups d’œil au vitriol que lui décochaient quelques femmes. Si vous le voulez, ne vous gênez pas, leur lança-t-elle silencieusement. Je préférerais encore avoir le mal de l’espace.

De retour au cylindre principal, le groupe eut droit à deux heures de pause pour déjeuner. On avait le choix : ou manger à la cafétéria du centre d’instruction, ou aller dans l’un des mini-restaurants du village. Evelyn annonça à la cantonade qu’elle rentrait chez elle pour faire un somme : elle préférait ne pas provoquer son estomac mal luné en le gavant de nourriture.

Elle s’éloigna donc mais, au bout de quelques pas, s’arrêta et se retourna vers l’édifice en terrasses bariolé de couleurs vives. Plus personne en vue. Les recrues s’étaient dispersées.

Evelyn fit précautionneusement le tour du bâtiment. Du côté opposé des voix d’enfants chantant une comptine s’échappaient des fenêtres ouvertes d’une classe maternelle. Il n’y a pas de place dans les écoles réglementaires ? s’interrogea-t-elle. Ou est-ce une classe spéciale ? Elle finit par trouver ce qu’elle cherchait : l’escalier conduisant au métro de la colonie.

Le quai était désert. Evelyn scruta le tunnel. Pas de rame à l’horizon. Elle se mit à faire les cent pas avec énervement. Les palpeurs du tourniquet signalent automatiquement à l’ordinateur qu’il y a un passager qui attend, se récita-t-elle. Alors, où est-il ce fichu train ?

Soudain, elle aperçut une lueur dans le tunnel et avant même qu’elle en eût conscience, le métro surgit silencieusement. Il n’y avait qu’un unique wagon aux étincelantes parois d’aluminium traité. Prestement, elle arracha le collant vert des recrues de son badge et le glissa avec soin dans sa poche.

Les portes s’ouvrirent en chuintant et elle monta. Elle eut l’impression que la voiture oscillait légèrement sur ses coussinets magnétiques, mais le mouvement était si imperceptible que c’était peut-être simplement un effet de son imagination. L’automotrice redémarra.

Il n’y avait qu’un seul voyageur dans le wagon, un garçon brun à la figure carrée assis à l’avant en train de mastiquer placidement un sandwich.

On déjeune où on peut, pensa Evelyn en s’installant sur la banquette la plus proche de la porte.

La voiture filait dans un silence presque total, s’enfonçant sans faire d’arrêts dans le tunnel qui traversait d’un bout à l’autre le cylindre de la colonie et elle sourit en se rappelant comme elle avait souffert le premier jour au cours de sa randonnée pédestre.

La voiture ralentit. Evelyn se leva et attendit que les portes s’ouvrent. L’autre passager se mit debout à son tour et se dirigea vers elle après avoir jeté l’emballage de son sandwich dans la poubelle installée à cet effet. Il était un peu plus petit qu’elle mais avait une carrure athlétique. Il y avait un peu de moutarde sur son menton.

— Vous êtes perdue ?

Il avait un léger accent continental.

Evelyn jeta un coup d’œil sur le symbole professionnel jaune de son badge. Une paire d’ailes stylisées. C’était un astronaute.

— Non. Qu’est-ce qui vous le fait croire ?

— Je ne vous ai encore jamais vue là. Vous n’êtes ni astronaute ni contrôleur de vol. Une fille aussi jolie, je m’en souviendrais.

Evelyn lui sourit — le genre de sourire destiné à persuader les hommes qu’ils avaient une touche.

— Et vous n’êtes sûrement pas le type de femme à faire partie d’un chantier de construction, ajouta-t-il en faisant saillir ses biceps et gonflant ses pectoraux à la manière d’un poids lourd.