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Evelyn éclata de rire.

— Je suis une nouvelle, expliqua-t-elle en descendant de la voiture et en se dirigeant vers l’escalator. Je travaille dans les médias… vous savez ? La télévision et les journaux.

— Ah bon ? fit-il avec intérêt. Et vous allez écrire un papier sur nous autres, les casse-cou de l’espace ?

— Pour le moment, je ne suis pas encore dans le bain. Mais dès que ma période d’orientation sera terminée…

Elle s’en tint à cette promesse à peine suggérée, le laissant achever la phrase restée en suspens.

— Formidable ! Je m’appelle Daniel Duvic.

Il tapota son badge du bout de l’index. Evelyn hocha la tête et se nomma à son tour.

L’escalator, succession ininterrompue de marches d’acier s’élevant vers d’invisibles limbes, était interminable.

— Comment supportez-vous la gravité 0 ? s’enquit Duvic. Quand nous serons arrivés en haut, nous ne pèserons presque plus rien.

— Je m’y ferai… j’espère, murmura-t-elle d’une voix vacillante.

Sentant que son estomac recommençait à faire des siennes, elle agrippa la main courante d’un geste presque instinctif.

— Bien sûr, ça se passera très bien, la réconforta-t-il avec un grand sourire à l’appui.

Et, décidant comme de juste de jouer les vaillants chevaliers servants, il prit d’autorité Evelyn par le bras. Elle se laissa faire. La pilule que lui avait donnée le guide devait être efficace car ses entrailles étaient quand même plus paisibles. Néanmoins, lorsque l’ascension arriva enfin à son terme et qu’ils pénétrèrent dans la section des sas, elle avait les jambes en coton. Bien qu’elle vît le plancher carrelé entrecoupé de bandes de velcro colorées qui adhéraient aux semelles pour faciliter la marche, elle avait toujours l’impression de tomber dans le vide.

D’épais panneaux d’accès étaient sertis dans les murs d’acier du corridor à intervalles réguliers.

— Ce niveau est constitué d’une série de sas pneumatiques, lui expliqua Duvic. Les quais d’embarquement et de débarquement du personnel et du fret sont juste derrière les parois. Tous les tambours se scellent automatiquement si jamais la pression de l’air baisse. Sinon, toute l’atmosphère s’échapperait de la section en un rien de temps.

— Mais comment se fait-il qu’il n’y ait personne ? Je croyais que c’était l’un des endroits les plus actifs de la colonie.

— En effet, mais ce n’est pas une raison pour qu’un monde fou soit nécessaire. Les ordinateurs et les machines se chargent du plus gros du travail.

Sans lui lâcher le bras, Duvic fit entrer la jeune femme dans le centre de contrôle, une sorte d’étroit et sombre cagibi où s’entassaient une demi-douzaine de techniciens. Casque d’écoute aux oreilles, chacun installé à sa console, ils surveillaient les écrans tout en chuchotant dans leurs micros et en tapotant sur les claviers compliqués qu’ils avaient devant eux. La seule source de lumière était ces écrans d’observation d’où émanaient de mystérieuses fulgurations vertes et orange.

Sur le maître écran qui occupait toute la surface d’un mur, on distinguait un module de service flottant dans le vide à une douzaine de kilomètres de la colonie. Il était ouvert et ressemblait à un bivalve qui bâille. Et il était en train de cracher un satellite solaire terminé, disgracieux conglomérat de bras métalliques, de cellules solaires noires et luisantes qui avaient l’aspect d’ailes carrées et de micro-antennes. Ces dernières faisaient penser, songeait Evelyn, aux yeux protubérants d’un insecte grotesque.

— Je vais remorquer cette horreur jusqu’à la Terre pour la placer sur une orbite durant vingt-quatre-heures, dit Duvic en haussant la voix pour dominer le bruit de fond cacophonique des instructions que débitaient les contrôleurs.

Bien qu’elle sût que le temps dont elle disposait pour s’introduire dans le cylindre B fondît à vue d’œil, Evelyn, c’était plus fort qu’elle, resta bouche bée à contempler le satellite qui émergeait progressivement du module-usine. On aurait dit une gigantesque araignée de métal en train d’éclore. Enfin, la voix de Duvic brisa le charme :

— Il va falloir que je me mette en tenue. Nous avons un horaire très strict à respecter.

Et moi donc ! rétorqua silencieusement Evelyn.

— Je dois également rentrer, fit-elle tout haut.

— Vous pourrez vous débrouiller toute seule ?

— Oui, merci.

— Avez-vous un appartement ou vous a-t-on attribué un pavillon individuel ?

Elle éluda la question :

— Vous pourrez me joindre au centre d’instruction.

Duvic sourit devant sa circonspection.

— Ah ! J’aimerais vous revoir. Sous gravité normale.

— Ce sera avec plaisir. Appelez-moi au centre.

Evelyn sortit avec autant d’aisance qu’elle put de la salle de contrôle en dépit de la succion du revêtement de velcro sur ses semelles et bien que son estomac s’obstinât à croire qu’il faisait du toboggan.

Mais ce ne fut pas vers l’escalator du métro et la section résidentielle de la colonie qu’elle se dirigea. Son objectif était de trouver le téléférique reliant les deux cylindres.

Elle inspecta les uns après les autres les tambours alignés de part et d’autre de la coursive. Sur chacun était apposée une petite carte imprimée portant un numéro de code. Sauf le dernier sur la pancarte duquel on lisait simplement : ENTRÉE INTERDITE AUX PERSONNES NON AUTORISÉES. Sous l’écriteau s’alignaient les touches multicolores d’une serrure électronique. Evelyn commença par essayer le loquet manuel mais en vain. La porte était verrouillée.

Elle jeta un coup d’œil derrière son épaule. Le couloir était vide. Alors, elle glissa la main dans la poche de sa tenue de saut. Jusque-là, tous ses faits et gestes pouvaient s’expliquer par son ignorance. Avec un garçon comme Duvic, il suffisait d’un battement de cils pour l’empêcher de se poser des questions en la voyant dans un endroit où elle n’avait rien à faire.

Mais maintenant, c’est une autre paire de manches. Elle sortit de sa poche un décodeur grand comme la main qu’elle appuya sur la serrure. Il ne fallut pas plus de quatre secondes au micro processeur de l’instrument pour décrypter la combinaison : des chiffres s’allumèrent en rouge sur le minuscule voyant. Evelyn enclencha les touches correspondantes. Le panneau joua et s’ouvrit tandis qu’une bouffée d’air aux relents métalliques assaillait la jeune femme.

Les nerfs tendus comme les cordes d’un violon, Evelyn entra dans l’espèce de cercueil qu’était la cabine et rabattit le tambour. Les commandes étaient bloquées mais le décodeur eut vite fait de trouver la combinaison. Le capot de plastique se dégagea, révélant seulement deux boutons. L’un portait la lettre A, l’autre la lettre B. Elle enfonça le second.

Et attendit, le cœur battant.

Si la cabine s’était mise en marche, elle ne s’en apercevait pas. Elle éprouvait un sentiment de claustrophobie. Les parois nues l’écrasaient et elle s’efforçait d’ignorer l’impression de chute qui ne la lâchait pas.

Soudain, elle se rendit compte qu’elle décollait du plancher et son crâne faillit heurter le plafond. Luttant pour maîtriser la vague de panique qui montait en elle, elle écarta les bras et plaqua de toutes ses forces ses paumes contre les parois. C’était solide. Elle respira profondément et réussit en se contorsionnant à reprendre pied.

Non, je ne crierai pas !

Elle ressentit une très légère secousse et la porte de la cabine s’ouvrit. Elle avait dû effectuer une rotation complète : maintenant, elle tournait le dos au sas.