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S’il n’avait pas eu aussi faim, cela aurait été follement sensuel. Denny avait l’impression d’être infirme mais il s’en moquait et il s’abandonna à la main qui le nourrissait. Cuillerée par cuillerée, elle lui fit avaler le bouillon, le chich-kebab et des fruits. En guise de boisson, il n’y avait, hélas, que de l’eau. Si c’était vraiment le paradis, il y aurait de l’ale. Au moins une pinte de blonde.

Au moment où sa nourricière reposait la dernière assiette vide sur le plateau, un homme aux cheveux gris entra. Il s’immobilisa devant le lit, son regard intense fixé sur Denny. La jeune fille s’empara de son plateau et s’esquiva.

Quand elle eut refermé, le nouveau venu inclina imperceptiblement la tête en manière de courbette et dit :

— Je suis le cheik Jamil al-Hachémi et cette demeure est la mienne. Soyez-y le bienvenu.

— Je vous remercie, répondit Denny. Je suis Denny McCor…

— Je sais qui vous êtes.

Al-Hachémi était de petite taille mais il émanait de lui une impression d’autorité sereine. Son visage aristocratique à l’ossature marquée était celui d’un authentique cheik. Sa peau avait la teinte du tabac blond. Il était habillé à l’occidentale : complet blanc et chemise saumon à col ouvert.

— Nous ne nous sommes pourtant jamais rencontrés, fit Denny.

— Mes gens ont pris la liberté d’examiner vos vêtements et votre portefeuille quand on vous a eu conduit ici. J’ai naturellement entendu parler de vous. J’ai passé bien des soirées à regarder le palais que vous construisez de l’autre côté du fleuve.

— J’espère qu’il vous a plu.

L’ombre d’un sourire effleura les lèvres d’al-Hachémi.

— J’ai étudié vos plans et la maquette du projet. Ce sera un très beau palais… si vous le terminez.

— Si je…

— Je pense à cet attentat dont vous avez été victime. J’ai peur que ce soit là une réaction de mécontentement dirigée contre le palais.

— Contre le palais ?

Il n’était pas facile de soutenir une conversation dans la position horizontale.

Al-Hachémi acquiesça.

— Vous avez probablement entendu parler du Front révolutionnaire des peuples ? Il semble que votre œuvre ne soit pas de son goût.

— Mais le gouvernement irakien…

Le cheik l’interrompit d’un geste de la main.

— Je suis membre du gouvernement irakien. Et également du Gouvernement mondial. Je n’ignore rien de notre programme officiel mais il faut que vous vous mettiez une chose dans la tête, M. McCormick : le F.R.P. s’oppose au Gouvernement mondial… et à tous les gouvernements nationaux qui ont adhéré à l’organisation mondiale.

— Mais qu’est-ce que cela a à voir avec le palais ?

— Peut-être ces gens le considèrent-ils comme une mascarade attentatoire à leur histoire… ou comme une entreprise commerciale avilissante pour notre peuple. Mais il est plus vraisemblable que, comme il s’agit d’un projet du Gouvernement mondial, ils sont résolus à l’empêcher d’aboutir. Leur raisonnement n’est jamais très subtil, vous savez.

— Et ils pensent qu’ils peuvent arrêter l’entreprise en m’assassinant ?

Al-Hachémi leva les bras avec un fatalisme tout oriental.

— Une poignée de tueurs à gages coûte moins cher que des explosifs.

— Qui sont ces personnages ? Ne peut-on discuter avec eux ? Leur expliquer ?

— Je fais l’impossible pour essayer de savoir exactement qui ils sont et quand je le saurai, il n’y aura ni discussions ni explications.

Denny se remémora subitement un détail qui lui fit froid dans le dos :

— Je crains qu’ils n’aient des complicités parmi les ouvriers du chantier.

— C’est peu probable, encore que le F.R.P. a les moyens d’obtenir, au moins, la coopération tacite d’un certain nombre de gens en les intimidant.

Un certain nombre de gens… Tous les habitants du souk, par exemple !

— Puisque vous êtes apparemment condamné à mort, vous serez mon hôte et vous resterez chez moi où vous n’aurez rien à redouter.

— Mais la construction du palais ?

Les narines d’al-Hachémi en palpitèrent d’indignation :

— Il attendra. La courtoisie exige, même dans des pays aussi barbares que le Canada, que l’on remercie celui qui vous offre son hospitalité.

Denny fut trop surpris pour se mettre en colère.

— Je vous remercie, croyez-le bien. Je ne voulais pas être impoli. C’est simplement le palais qui me tracasse.

Le cheik se détendit visiblement.

— Je comprends très bien et je ne vous retiendrai pas plus longtemps que nécessaire. En attendant, considérez ma demeure comme la vôtre. Si vous désirez quoi que ce soit, vous n’aurez qu’à le dire.

— Je vous suis infiniment reconnaissant.

Avec ce type-là, il faut des kilos de pommade ! pensa Denny.

— Si vous n’avez besoin de rien d’autre pour le moment…, commença l’Arabe avec une nouvelle inclinaison de la tête à peine ébauchée.

— Si, justement, dit Denny, l’interrompant.

Les sourcils de son interlocuteur se haussèrent d’une fraction de millimètre.

— Quoi donc ?

— Comment suis-je arrivé chez vous ? Je… je me rappelle avoir été encerclé par ces… par ces tueurs à gages comme vous dites, je me rappelle m’être battu avec eux et l’un d’eux a dû me frapper. Et puis ensuite…

Denny laissa sa phrase en suspens, se rendant compte qu’il n’avait pas entièrement confiance dans le souvenir qu’il conservait de la ravissante de la limousine.

Une ombre effleura les traits altiers du cheik.

— Vous avez été retrouvé par une jeune personne. Une jeune personne exagérément émotive et très romanesque qui aurait dû vous conduire à l’excellent hôpital que nous avons dans cette ville mais qui a jugé bon de vous transporter chez elle.

— Chez elle ?

— La jeune personne en question est ma fille. Elle était dans le souk après la nuit tombée, ce qui est d’une folle imprudence. Témoin de la rixe, elle a ordonné au chauffeur d’intervenir. Vos assassins putatifs se sont enfuis à l’approche de la voiture, pensant très certainement que c’était la police. Vous baigniez dans votre sang et elle vous a conduit ici.

Elle existe pour de vrai !

— Quand… quand cela s’est-il passé ? Combien de temps suis-je resté inconscient ?

— L’agression remonte à la nuit dernière. Vous avez dormi toute la journée. Le médecin a dit que c’était excellent dans votre état.

— Votre fille m’a sauvé la vie.

— En effet.

— J’aimerais la remercier.

Al-Hachémi se raidit.

— C’est impossible. Elle est sur le départ. Elle doit poursuivre ses études sur Île Un.

Denny découvrit deux jours plus tard que le cheik lui avait menti.

Les deux seules personnes dont il recevait la visite étaient la servante et le médecin. Sa luxueuse chambre était équipée d’un gigantesque écran mural grâce auquel il pouvait regarder la télévision mondiale et même s’entretenir directement avec son patron à Messine et son contremaître sur le chantier. Le premier eut l’air ennuyé du retard éventuel que risquait de prendre le programme, le second, qui semblait avoir mauvaise conscience, promit qu’il ferait travailler le personnel aussi dur que si l’architecte était sur place.

La blessure de Denny se cicatrisait rapidement mais on continuait de lui interdire de quitter sa chambre. Le deuxième jour, il essaya de faire quelques pas mais il avait les jambes si molles qu’il dut agripper la poignée de la porte quand il parvint à l’autre bout de la pièce.