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Lorsqu’il ouvrit, il aperçut dans le hall un jeune homme musclé au visage marqué par la petite vérole, une cigarette au coin de la bouche, un magazine porno sur les genoux et un énorme pistolet noir à la ceinture. Le garde dévisagea Denny, puis pointa un doigt sur lui. Il n’y avait pas à se tromper sur la signification de ce geste : rentrez et restez chez vous.

— Que ça te plaise ou non, je suis un invité, murmura McCormick en anglais.

Il obéit quand même : il ne se sentait pas assez gaillard pour ouvrir la discussion.

Il passa les heures les plus fraîches de la matinée sur la terrasse qui s’ouvrait derrière ses fenêtres, au milieu du fouillis des colonnes qui soutenaient le toit, à regarder la brume montant du fleuve et la masse verdoyante des plantations qui se déployaient au-delà de la ville.

Ce fut là qu’il la vit. Ce matin-là, une électrobécane grand sport entra dans la cour et s’arrêta dans un strident crissement de freins. La jeune femme qui pilotait l’engin sauta à terre. Une longue chevelure brune retomba en cascade sur ses épaules quand elle enleva son casque. Elle leva la tête. Et Denny distingua ses traits. C’était elle.

Le cheik sortit en trombe et lui dit quelque chose à voix basse. Et en français. Pour que les domestiques ne sachent pas qu’il l’engueule ! Les mots ne parvenaient pas aux oreilles de Denny à cette distance, mais le ton ne laissait pas de place au doute : al-Hachémi reprochait à la jeune fille de rouler comme une folle en ville — et de n’être pas rentrée de la nuit.

Elle éclata de rire, eut un haussement d’épaules — très français —, piqua un baiser sur la joue de son père et, le plantant là, elle rentra à grandes enjambées dans la maison.

Quand la servante lui apporta son déjeuner, Denny lui demanda si elle comprenait l’anglais. Il avait déjà essayé d’entrer en conversation avec elle mais, chaque fois, elle tressaillait et le regardait en ouvrant de grands yeux et en baragouinant quelque chose en arabe, l’équivalent de « moi, pas compris ».

Comme elle secouait négativement la tête, il s’exclama allégrement :

— Très bien. Dans ce cas, mon enfant, on va faire appel aux miracles de l’électronique.

Sur quoi, il composa un indicatif chiffré sur son communicateur portatif. Les mots SERVICE DE TRADUCTION INTERNATIONAL se formèrent sur l’écran mural tandis que s’élevait une voix féminine :

— S.T.I. à votre disposition.

Denny savait que c’était un répondeur.

— D’anglais en arabe et vice versa, ordonna-t-il. Langue courante. Le dialecte de Bagdad, si cela existe.

— Certainement, monsieur.

L’ordinateur connaissait déjà le code de facturation de McCormick : c’était l’un des éléments d’information qu’il avait tapé sur le clavier du communicateur pour obtenir la liaison.

— Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il à l’adolescente.

La question s’inscrivit en caractères arabes sur l’écran et une voix masculine — assez proche de celle de Denny — la posa dans cette langue.

La servante considéra tour à tour l’écran et l’architecte.

— N’aie pas peur, lui dit ce dernier en souriant. Je veux seulement connaître ton nom.

L’écran répéta en arabe.

— Irène, répondit-elle faiblement en faisant sentir l’e muet.

— Mais c’est un nom grec !

— Vous ne direz pas au cheik al-Hachémi que j’ai causé avec vous ? Il m’a défendu de vous parler bien que je ne sache même pas l’anglais.

— Ne t’inquiète pas, il n’en saura rien.

— Je suis grecque, reprit-elle. Employée comme servante par le cheik. Mon père est son comptable.

Denny s’étendit sur le lit.

— Eh bien, ça alors ! Mais peut-être que tu préférerais parler en grec ? C’est facile pour l’ordinateur, tu sais.

— C’est ma langue maternelle. Je parle aussi français et un peu l’italien.

— Allons-y pour le grec. Ce sera plus simple pour toi.

Quelques minutes plus tard, Irène était assise sur une chaise à côté du lit et ils n’étaient pas seulement une paire d’amis mais, aussi, de conspirateurs.

— Al-Hachémi m’a choisie pour vous servir parce que je ne connais pas l’anglais. J’ignore pour quelle raison mais il ne veut pas que le personnel de la maison vous parle. Si le garde qui est dehors savait…

— Mais pourquoi ? l’interrompit Denny en baissant instinctivement le ton. Est-ce que je suis prisonnier ?

— Je ne sais pas. Le cheik tient à vous protéger. Je crois aussi qu’il se fait du souci pour sa fille, celle qui vous a amené ici.

— Du souci ? Qu’entends-tu par là ?

— Il veut la maintenir à l’écart des hommes. Il est très vieux jeu quand il s’agit d’elle.

— Oh ! C’est pour cela qu’il…

— Mais il l’est beaucoup moins en ce qui le concerne personnellement, enchaîna la servante.

— Combien d’épouses a-t-il ?

Elle secoua la tête avec embarras :

— Il n’en avait qu’une seule et elle est morte depuis bien des années. Mais il a beaucoup de maîtresses. Et d’amants. Il m’a fait des avances mais sa fille y a mis le holà.

— Qu’en pense ton père ?

— Il fait tout ce qu’on lui dit de faire, répondit amèrement Irène. Un peu d’argent et il ferme les yeux.

— Pourtant, la fille d’al-Hachémi vit auprès de son père.

— Pour le moment. Elle doit partir très bientôt. Le cheik veut l’envoyer sur Île Un, dans l’espace, pour y faire des études.

— C’est une scientifique ?

Irène s’esclaffa.

— Non. Et elle n’a aucun désir de quitter Bagdad. Cela fait des semaines qu’ils se disputent. Un vrai scandale ! Une jeune fille arabe ne discute jamais les ordres de son père.

— Elle est entêtée, hein ?

— Elle a été élevée à Paris et en Italie. On lui a mis des idées occidentales dans la tête.

Denny pouffa.

— Eh bien, j’en suis ravi. Comment s’appelle-t-elle ?

— Bahjat. Et son père lui a interdit de vous voir.

— Mais est-ce que j’ai dit…

— Vous êtes amoureux d’elle, laissa tomber Irène, une lueur malicieuse dans les yeux. Toute la maison sait qu’elle vous a sauvé la vie et que c’est elle qui vous a conduit ici. C’est son sang qui vous a sauvé.

— Son sang ? Tu veux dire que l’on m’a fait une transfusion ?

— Oui. Autrement, vous seriez mort. Le cheik était fou de rage quand il l’a appris. Le sang d’une al-Hachémi donné à un infidèle ! Il a piqué une de ces rages !

Son sang coule dans mes veines !

— Mais cela ne signifie pas pour autant que je sois amoureux d’elle.

— Alors, pourquoi me posez-vous toutes ces questions sur son compte ?

Denny réfléchit un instant avant de riposter :

— Pourquoi risques-tu de perdre ta place en y répondant ?

— Parce que… (Elle hésita.) Parce que c’est très romantique. Bahjat a cherché à vous voir, vous savez ?

— Vraiment ? (La voix de Denny était mal assurée. On aurait dit un collégien.) Je… oui, bien sûr, je serais très heureux de la rencontrer… pour la remercier convenablement, je veux dire.

— Je lui ferai la commission.

— Parfait ! (Il se rendit brusquement compte de ce qu’impliquait cette promesse.) Tu ne vas pas lui raconter que je suis amoureux d’elle, n’est-ce pas ?