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La radio miniature enfoncée dans son oreille gauche grésilla et la voix de Fade, pas plus forte qu’un soupir, s’éleva :

— Ici, c’est O.K.

Lacey exhala un grognement et demanda dans le cure-dents micro qu’il avait glissé entre ses mâchoires :

— Jojo ? Comment ça se passe ?

— C’est plein de cafards, j’en ai jamais vu d’aussi gras. Mais, à part ça, rien à signaler.

— Bon. Restez à couvert.

Lacey replaça le cure-dents derrière son oreille droite et, sortant de l’encoignure où il s’était tapi, il émergea sur le trottoir baigné d’une lumière bleutée et avança en direction de l’étranger.

Le zozo déambulait. Il n’entendait rien. Connard ! Je pourrais te dégommer ni vu ni connu et tu ne saurais même pas ce qui t’arrive ! Mais, respectueux des consignes, il rattrapa le pigeon et lui lança :

— Amène-toi !

L’autre fit un bond et se retourna vivement. Il tenait à la main un pistolet d’aspect peu engageant.

Les traits de Lacey se durcirent.

— Tu veux voir Leo ou tu veux te faire estourbir ? fit-il d’une voix grinçante. Naturellement, Jojo et Fade l’avaient dans leur collimateur.

— C’est Leo qui t’envoie ?

L’arme ne vacillait pas et le ton du pigeon était ferme. Chouette pétard, nota Lacey qui pensait à l’avenir. Laissant la question sans réponse, il se contenta de désigner d’un coup de pouce les obscures profondeurs de la 42e Rue en grommelant :

— Allons-y, mec. C’est par là.

L’autre glissa son pistolet dans le holster fixé sous son aisselle.

— O.K. Je te suis.

Lacey se mit en marche. Peut-être qu’il pourrait récupérer le calibre avant la fin de la nuit, qui sait ?

Le lieu du rendez-vous était l’immeuble locatif appartenant à la branche locale de l’Association, une bâtisse vermoulue dont les fenêtres étaient presque toutes brisées mais le dernier étage était encore en assez bon état. Il y avait même l’électricité.

Il était grand, Leo. Plus grand que n’importe qui, songeait Lacey. Sa puissante carcasse débordait du vieux fauteuil déchiré, menaçant de le réduire en miettes comme une bombe qui écrase une maison. Ses mains étaient aussi grosses que la tête de Lacey, ses bras plus épais que le torse d’un gamin. Il était gros mais son embonpoint était celui des pugilistes. Leo était capable de soulever une voiture par le train arrière et de casser des os comme d’autres décalottent une boîte de bière.

Et il était noir. Mais noir… Pas caramel comme Lacey ni même chocolat comme Jojo. Il était noir comme un Africain. Les petits Ritals l’appelaient melanzana, aubergine, à cause de la teinte violacée de sa peau.

À côté de Leo, le flic du G.M. avait l’air d’être blanc. Se balançant d’un pied sur l’autre sur le tapis rongé par les cafards, il balaya du regard les murs nus dont le plâtre s’écaillait, le plafond craquelé qui prenait des airs penchés, les fenêtres badigeonnées de peinture noire pour faire échec à d’éventuels tireurs embusqués sur les toits.

Finalement, ses yeux se posèrent sur Leo, un Leo très à l’aise ; sa boîte de bière disparaissait presque dans son poing.

— Salut, Elliot.

— Elliot ? (Leo éclata d’un rire tonitruant). Qui c’est que tu appelles Elliot, mon pote ? En voilà un drôle de nom !

Le flic garda le silence.

— C’est Leo que je m’appelle, reprit le colosse dans un ronronnement digne du fauve éponyme. Leo. Et tâche à voir à pas l’oublier.

— Entendu… Leo. (Bizarrement, le policier sourit.) On peut causer ?

— Ben voyons ! C’est pour ça qu’on est là, non ?

Le flic tendit le menton vers Lacey et ses deux acolytes.

— Et eux ?

— Y a pas de problème. Ils peuvent entendre tout ce que tu as à dire.

L’envoyé du Gouvernement mondial pinça les lèvres. Tour à tour, il dévisagea Lacey, Fade et Jojo. Son regard revint à Leo qui, vautré dans son fauteuil, arborait un sourire jovial. Il a même pas proposé à l’autre tordu de s’asseoir, pensa Lacey en décochant un coup d’œil à Fade. Ce dernier, comprenant le sens de son ricanement muet, envoya son coude dans les côtes de Jojo.

— Bon, d’accord, soupira le flic. On a besoin de toi. Le moment est venu de te remettre en piste. Ce sont les ordres.

— J’en ai rien à foutre, des ordres, répliqua Leo, toujours souriant, avec suavité.

— Ce n’est pas une plaisanterie, Elliot. Ces messieurs parlent sérieusement. Ils craignent que tu tournes à l’aigre, que tu deviennes un autochtone.

— Ils n’ont pas tort.

Le mouvement de la main droite du flic fut suffisant pour que Lacey extirpe son propre soufflant de dessous son blouson dépenaillé et fasse un pas vers lui. Mais Leo leva un index massif et l’agent du G.M. s’immobilisa. Lacey en fit autant.

— Si tu ne viens pas volontairement, ils iront te chercher de force.

— Je leur souhaite bien du plaisir.

— Ils le feront, Leo. Tu sais très bien qu’ils en ont les moyens.

Leo se mit posément debout. On aurait cru voir se lever un nuage d’orage.

— Non. Ils croient seulement qu’ils le peuvent, Frank.

Lacey n’avait encore jamais entendu Leo parler avec cette voix. C’était presque comme celle du poulet !

— J’ai appris pas mal de choses sur la façon dont ça se goupille ici, dans les rues, reprit Leo. Sur le pouvoir — comment le prendre et comment s’en servir. Ce n’est pas dans les services et les agences du gouvernement qu’il est, le pouvoir. Il n’est pas plus dans les couloirs qui relient les bureaux que chez ces automates anonymes et interchangeables auxquels tu fais tes rapports. Le pouvoir est ici, dans les rues, dans les villes, chez les gens qui ont suffisamment faim, qui ont suffisamment peur, qui sont suffisamment aigris et suffisamment désespérés pour se battre.

Le flic recula.

— Tu dis des absurdités ! Tu es fou !

— Tu crois ?

— Tu ne peux pas survivre sans nous, Elliot. Les traitements à la mélanine, les stéroïdes, les hormones… ils te couperont les vivres.

Leo haussa ses lourdes épaules.

— J’ai d’autres sources d’approvisionnement, Frank. Je n’ai plus besoin de vous.

— Mais vous ne pouvez vous dresser contre le Gouvernement mondial !

— Tu crois ? (Leo avança lentement et le flic battit en retraite.) Ici, dans cette piaule, le Gouvernement mondial, c’est toi. Si je demandais à ces deux gars de t’effacer, combien de temps resterais-tu vivant, à ton avis ?

Le flic sentit le canon du pistolet de Lacey dans son dos. Et la main de Lacey tremblait, tant il était impatient d’appuyer sur la détente.

— Non, ordonna Leo. Laissez-le repartir. Ramenez ce cul-blanc là où vous l’avez trouvé.

— Tu dérailles, Elliot. Toutes ces drogues t’ont liquéfié la cervelle. Ils viendront te chercher…

— Arrête tes conneries. (Leo parlait à nouveau de sa voix normale et Lacey se sentit soulagé.) C’est nous qui viendrons vous chercher. Nous avons plus de soldats que vous et davantage d’armes. Et on sait s’en servir. Dans le monde entier, mon vieux, les paumés foutront les culs-blancs en l’air partout où ils sont.

— C’est aberrant ! C’est impossible.

Mais, visiblement, le flic était secoué. Et il avait peur.

Leo se tourna vers Lacey.

— Ramène-le là où tu l’as trouvé. Et fais gaffe : qu’il revienne entier. T’amuse pas à faire le rigolo. Je sais qu’il a un chouette soufflant. Je compte sur toi pour qu’il rentre chez lui avec. Vu ?