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Tu gagneras peut-être quelques batailles mais tu ne gagneras pas la guerre, se dit David. Je finirai par m’échapper de cette prison.

D’autres fusées quittaient régulièrement Île Un : les navettes lunaires, plus petites et d’un confort plus spartiate, qui convoyaient les hommes et le matériel entre la colonie et les mines d’Oceanus Procellarum. Ces mines appartenaient aussi à la Société mais sur le rivage opposé de ce sombre « océan » rocheux se trouvait la ville souterraine de Séléné, nation libre et indépendante, affiliée au Gouvernement mondial.

David sourit intérieurement.

— Tu surveilles peut-être les navettes terriennes, murmura-t-il. Eh bien, je prendrai un chemin plus long, mais j’irai où je veux aller.

Il ralluma le terminal et demanda communication des listes de passagers pour les prochaines sorties à destination de la Lune. L’écran papillota quelques instants. Et le visage de Cobb réapparut. Le sourire du vieil homme paraissait encore plus réjoui.

— David, ceci est un enregistrement. Je sais que tu essaies…

— Heureusement, il y a quand même des choses qui ne changent pas, dit Evelyn quand le taxi passa devant les gardes à cheval dans leurs ridicules uniformes rutilants, coiffés de casques dorés, à crinière, sabre au clair. Les sabots de leurs noires montures claquaient tandis qu’ils se dirigeaient au petit trot vers le palais de Buckingham. Les hordes habituelles de touristes bardés d’appareils de photo étaient déjà à pied d’œuvre, prêtes à immortaliser la relève de la garde.

— Alors, Île Un ne vous a pas plu ?

L’homme assis à côté d’Evelyn lui avait été présenté sous le nom de Wilbur St. George. Il était manifestement australien en dépit de son costume de tweed venant en droite ligne de Savile Row et de son élocution soignée. Son teint rougeaud, fouetté par le grand air, son franc-parler, sa décontraction frôlant presque l’impolitesse ne laissaient planer aucun doute sur ses origines.

— Si, j’ai beaucoup aimé, répondit la jeune fille. Je ne l’ai quittée que parce que ce que j’ai découvert était trop sensationnel pour qu’on passe à côté et, là-haut, ils ne m’auraient jamais laissé en parler. Mais cela fait quand même plaisir de rentrer.

St. George changea de position sur la banquette. C’était un personnage corpulent d’une cinquantaine d’années à vue de nez, mais il était trop débordant d’activité pour s’être empâté.

— Je voulais vous parler sans risquer d’être interrompu et, pour ça, j’ai pensé qu’il n’y aurait rien de tel qu’une balade en taxi. C’est que je n’ai pas souvent l’occasion de voir Londres, vous savez.

Je parie qu’il a aussi trop de tension, songea Evelyn en scrutant son voisin.

— M. Beardsley m’a dit que vous êtes l’un des propriétaires d’International News.

— Épatant, ce type… Beardsley. Ah ! Voilà la résidence royale.

Evelyn n’accorda qu’un coup d’œil distrait au palais de Buckingham.

— M. Beardsley m’a également dit qu’il fallait que je vous voie avant d’écrire un mot sur ce que j’ai appris à Île Un.

— Exact. C’est justement de cela que je voulais m’entretenir avec vous.

— Que désirez-vous savoir ?

St. George haussa les épaules avec bonhomie.

— Qu’est-ce que vous avez trouvé ?

Après une seconde d’hésitation, Evelyn commença à lui raconter la découverte qu’elle avait faite : le cylindre B vide et désert. Elle lui décrivit ensuite tout ce qu’elle avait vu touchant les activités scientifiques et industrielles d’Île Un. Mais elle ne fit pas allusion à David Adams. Rien, pas un mot sur lui, ni sur son histoire, ni sur son passé, ni sur les manipulations génétiques dont il avait été l’objet.

— C’est tout ? s’enquit St. George en regardant la Tour de Londres au passage.

— Comment, c’est tout ? Il se trame une gigantesque conspiration, là-haut ! Ils se préparent à nous vendre l’énergie que produisent leurs satellites à leurs conditions ! Et il y a ce cylindre assez vaste pour loger un million de personnes. Vide, inoccupé. Qui attend.

— Qui attend quoi ?

St. George avait soudain fixé sur la jeune femme ses yeux d’un gris métallique. Gris comme les canons d’un pistolet.

— C’est ce que j’essaie de savoir.

Il hocha la tête.

— Pour une enquête d’un mois, c’est un peu maigre comme résultat, non ? Plus d’un mois, même, si l’on compte la période d’instruction qu’ils vous ont imposée. J’ai examiné vos notes de frais.

— Ils cachent quelque chose. Il se passe des choses, là-haut, et…

St. George fit dédaigneusement claquer sa langue.

— Des rumeurs, des on-dit, des complots paranoïaques ! Moi, je veux des faits. Des faits solides. Où sont-ils ?

— J’ai des photos du cylindre vide.

— Je les ai vues. Et après ?

— Mais…

— Écoutez-moi sans m’interrompre. Votre histoire de cylindre vide… si vous aviez interrogé le Dr Cobb, je suis sûr qu’il vous aurait donné une explication tout à fait satisfaisante.

— Une explication parfaitement ficelée, ça, je vous l’accorde.

— Alors ? Qu’est-ce que vous ramenez ? Rien. En tout cas pas matière à un article.

Evelyn était trop estomaquée pour répliquer.

— Vous n’avez même pas dégoté quoi que ce soit sur ce type qui a été fabriqué de toutes pièces dans je ne sais quel laboratoire de génétique.

— Vous êtes au courant ?

L’expression de St. George s’était durcie.

— J’ai l’impression, chère mademoiselle Hall, que vous avez gaspillé beaucoup d’argent et de temps pour pas grand-chose. J’espère que vous vous êtes bien amusée pendant ces petites vacances exotiques.

— Si je me suis amusée ?

— Eh oui. Parce que vous ne faites plus partie de la maison. À partir de cet instant, vous n’appartenez plus au personnel d’International News. Vous pouvez retourner au bureau toucher votre chèque et vos indemnités de licenciement. Ils vous attendent.

Le taxi s’arrêta devant un pub à l’enseigne de Prospect of Whitby. Evelyn avait entendu dire depuis son enfance que c’était l’un des plus vieux de Londres, mais elle n’avait jamais pu se permettre la fantaisie d’y mettre les pieds.

Dès qu’il fut descendu, St. George claqua la portière sans laisser à la jeune fille le temps de bouger et lança au chauffeur.

— Ramenez mademoiselle au siège d’International News.

Il fit demi-tour et entra dans le pub sans avoir mis la main à sa poche.

Quand la marche devient dure, les durs continuent de marcher.

David avait lu cette phrase quelque part. Tout en pédalant le long du chemin tortueux qui serpentait dans la forêt — il n’avait pas mis le moteur de l’électrocycle et s’astreignait à gagner chaque mètre à la force du mollet —, il se la répétait sans relâche.

Au détour d’un virage, surprise par sa brusque apparition, une biche, un instant pétrifiée, le regarda de ses grands yeux liquides avant de détaler et de se perdre dans les broussailles.

C’est bien, songea David. Fiche le camp pendant que tu le peux.